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RD Congo

L'interview de Jean-Pierre Bemba qui a rendu fou Joseph Kabila.

Jean-Pierre Bemba Gombo
samedi 17 mars 2007

Traduit du lingala en français par Nouvel élan.
Alexis Muyumba ( In Nouvel élan N°178 du mercredi 21 mars 2007)

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Presse : Quel est votre état de santé aujourd'hui étant donné que nombreux sont les Congolais qui avaient versé les larmes lors des obsèques du cardinal Frédéric Etsou en vous voyant avec des béquilles ?

Jean-Pierre Bemba : J'avais connu un accident comme vous le savez. Mon médecin m'avait demandé d'immobiliser ma jambe pendant 3 mois pour que les os rentrent en place et se consolident. C'est fait et le dernier contrôle de la radiologie a été concluant. Je suis donc bien portant aujourd'hui. Je vais bien marcher et reprendre mes activités d'ici là.

Presse : La population vous reverra en bonne forme comme d'habitude ?

J.P. Bemba : Bien sur que oui.

Presse : Après les élections, il en est résulté un Premier ministre qui a formé son gouvernement et élaboré un programme qui a été présenté et approuvé à l'assemblée nationale. Mais celui-ci a essuyé des critiques acerbes de la part de Jean-Pierre Bemba et de son parti, contrairement aux bailleurs de fonds qui manifestent un engouement. Pourquoi rejetez-vous ce programme ?

J.P.B. : Je fus un des responsables du gouvernement pendant la transition en charge du secteur économique et financier. J'ai la maîtrise et l'expertise de ce secteur dans notre pays. Je vous rappelle qu'à notre avènement en juillet 2003, l'économie était mal en point. Il n'y avait plus de confiance : notre monnaie était au plus bas. Pendant 3 ans, avec l'effort d'autres membres du gouvernement, la barre a été redressée. Il a été noté la reprise des activités économiques et j'ai parcouru le Congo de part en part pour évaluer les problèmes qui se posaient. En parcourant ce programme, je constate qu'il s'agit d'un chapelet d'intentions. Nulle part, il est indiqué où il y aura adduction en eau, desserte en électricité, la réhabilitation d'hôpitaux, de routes, d'écoles, etc. Par où vont-ils commencer, comment et avec quels moyens ? Quels sont les axes prioritaires ? C'est cela le programme. Ce que j'ai parcouru n'en est pas un. A l'allure où vont les choses, il est évident que rien ne va se réaliser.

Presse : Il ressort de ce programme que la lutte contre la corruption est une des propriétés, mais malgré cela vous continuez de soutenir que c'est un chapelet d'intentions ?

J.P.B. : Je suis d'accord avec la lutte contre la corruption et la fraude. A notre avènement pendant la transition, le budget de l'Etat était de 350 millions Usd. Celui-ci a atteint 1 milliard Usd grâce à la mobilisation des recettes, à la lutte contre la corruption. Je ne voudrais pas dire qu'il n'y avait pas de corruption pendant la transition, mais le niveau atteint aujourd'hui dépasse tout entendement. Pendant ces 3 mois, la corruption a atteint le sommet de l'Etat. L'argent sort pour acheter publiquement la conscience des politiciens. Vous vous rappellerez ce qui est arrivé lors des élections des sénateurs et gouverneurs de province. L'argent est sorti de la Banque centrale pour acheter les hommes politiques. Les preuves existent. Je ne crois pas en leurs intentions sur la lutte contre la corruption au regard de ce qui se passe. La corruption a atteint le sommet de l'Etat. En bas, on ne peut que suivre l'exemple d'en haut.

Presse : Qu'à cela ne tienne, selon vous, ce programme n'en est pas un. Mais qu'est-ce qui doit être fait ou quel peut être votre apport en tant qu'opposition républicaine pour améliorer la situation dans la mesure où, contrairement à la transition, tous les indicateurs vitaux ont viré au rouge : plus d'eau, de fourniture en électricité, de transport...

J.P.B. : Tout ce que vous venez d'énumérer est vrai. Autrefois, on a laissé entendre que le " 1+4 " était mauvais, mais comparativement à la situation actuelle c'est pire. En un mot, le pays n'a pas de dirigeants capables de résoudre les questions de la population. Tout remonte, en effet, à juin 2006 avec la campagne électorale 1er et 2ème tour de la présidentielle qui nous a éloigné de la gestion des affaires de l'Etat. Depuis cette époque, notre monnaie dégringole, les frais de transport, le prix de carburant, sont à la hausse. Aujourd'hui, on frôle la barre de 600 FRC pour un dollar Us, alors qu'en son temps, cela pendant 3 ans, la monnaie est restée stable pour protéger et préserver le pouvoir d'achat de la population.

La première chose à faire pour préserver la population de la misère, c'est de stabiliser et de protéger notre monnaie, de sorte que même les gagne-petit ne soient pas confrontés à la fluctuation de prix. Mais ce qui se passe aujourd'hui dépasse les bornes. Pendant seulement 2 mois, le taux de change est passé de 450 FRC à 600 FRC le dollar Us. L'argent sort du Trésor public, de la Banque centrale sans contrepartie productive. Raison pour laquelle il y a des billets pimpants neufs de 500 FRC sur le marché. C'est l'argent de la corruption. Le réflexe d'une personne à qui on a remis 50 ou 100 mille Usd de corruption, c'est d'aller sur le marché et de le changer à n'importe quel taux. Ceci avec raison, étant donné que c'est de l'argent sans valeur, sans effort. C'est un don, l'argent volé. Si cela perdure, ne soyons pas surpris que le dollar crève le plafond de 1000 FRC. Il n'y a plus ni politique budgétaire ni monétaire. En ce qui concerne l'appréciation positive du Programme par les bailleurs de fonds, ceci est bon pour eux et non pour la population congolaise. Ils ne s'occupent pas du pouvoir d'achat du peuple congolais. Quel est le sort des policiers, soldats, fonctionnaires… qui sont payés en FRC si le pouvoir d'achat chute ? N'oubliez pas que notre économie dépend de l'extérieur étant donné que tout est importé : poulets, poissons, sucre, sel, oeufs, etc. Autrement dit, le prix pratiqué sur le marché dépend de notre monnaie par rapport au dollar Us. Voilà ce qui explique la souffrance des Congolais au regard de l'instabilité de notre monnaie. A propos ds 1,4 milliard promis par les bailleurs de fonds, ce n'est pas autre chose que ce qui résulte des accords de Paris entre le gouvernement de la transition et la Banque mondiale en décembre 2003 d'où découle le DSCRP défendu par le ministre Sessanga. Attendons voir ce que le gouvernement actuel va faire de sa propre initiative. D'autant qu'il ne faut pas flouer par la suite la population que telle route, tel hôpital a été réhabilité. C'est l'argent de la Banque mondiale. C'est l'argent négocié avec les bailleurs de fonds pendant la transition.

Presse : Vous voulez dire que le Programme va échouer parce que l'argent viendra plus de l'extérieur, mais le Premier ministre a dit que l'argent pourrait être généré de l'intérieur notamment par les audits ?

J.P.B. : J'ai exigé des audits jadis et vous en connaissez les résultats : beaucoup de mandataires ont été pris la main dans le sac.

Presse : Ils n'ont jamais été arrêté ?

J.P.B. : Pourquoi ? Parce que dans notre pays il n'y a pas de justice. Les rapports d'audit ont été envoyés au Procureur général de la République. Qu'en a-t-il fait ? Il s'est assis dessus. Si nous continuons de la sorte, rien ne changera. C'est pourquoi il faut lutter contre la corruption à tous les niveaux, mais je n'en vois pas les signaux. Il faut gagner la confiance des opérateurs économiques. Quel message leur adresser pour qu'ils viennent investir au regard du désordre observé : pas de sécurité, corruption au sommet de l'Etat, désordre dans l'appareil judiciaire… Quelle confiance garantir aux opérateurs économiques désireux de venir investir dans notre pays ?

Presse : Ce n'est pas finalement un acharnement de votre part étant donné que vous n'êtes pas au pouvoir ?

J.P.B. : Je suis mu juste par la défense des intérêts de la population. J'ai choisi d'être en marge des institutions compte tenu des fraudes et tricheries qui ont caractérisé les élections. J'ai opté pour la paix afin qu'il n'y ait plus de guerre dans le pays. Tout ce que je dis, c'est de par ma petite expérience. Je ne vois rien de sérieux se profiler à l'horizon. Attendons voir.

Presse : En parlant de la corruption, vous avez fait allusion aux élections des sénateurs et des gouverneurs de province. A ce sujet, l'Union pour la Nation avait la majorité dans certaines provinces, dont la ville de Kinshasa. Mais à l'issue de ces élections, vous n'avez gagné que la seule province de l'Equateur ? Quel est votre avis à cet effet ?

J.P.B. : Nous nous sommes battus pour l'avènement de la démocratie dans notre pays, pour que le pouvoir émane du peuple et que celui-ci choisisse librement ses dirigeants. Au Bas Congo, à Kinshasa, au Kasaï-Occidental, les bureaux des assemblées provinciales sont entre les mains des membres de l'Union pour la Nation par la volonté des députés provinciaux. Mais comment expliquer que ces mêmes députés foulent au pied leur majorité au moment des élections des sénateurs et des gouverneurs de province. Voilà le résultat de la corruption. Qu'est ce qui s'est passé ? Avec l'argent de l'Etat, le pouvoir a corrompu nos députés provinciaux : 50, 100, mille dollars Us pour acheter leurs voix. Ce qui a fait qu'à Kananga, à Kinshasa, y compris le Bas-Congo, nous avons manqué deux voix. Comment expliquer que les mêmes députés qui ont voté à la majorité pour les bureaux des assemblées provinciales puissent voter autrement pour le sénat et les gouvernorats ? C'est la corruption au sommet de l'Etat. Le pouvoir refuse que l'opposition bénéficie d'un peu d'espace dans notre démocratie, dans notre pays. Nous avons lutté pour la démocratie et non pour l'instauration de la corruption. En réalité, ces gouverneurs ne reflètent pas la volonté du peuple. Quand nos compatriotes du Bas-Congo se sont levés contre cet ordre de chose, la réaction c'était de les tuer. Voilà les résultats de 3 mois de pouvoir : instaurer la corruption au sommet de l'Etat, interdire aux gens de manifester contre la corruption. Que ce soit à Kananga, au Bas-Congo et à Kinshasa, ce n'est pas la volonté du peuple. Ce n'est pas le jeu démocratique, mais plutôt le résultat de la corruption. C'est cela le bilan des élections. Nous avons donc régressé dans notre pays, nous sommes loin de la démocratie. C'est la dictature de l'argent. Pour avoir le pouvoir, il faut l'acheter. Où est la démocratie ? Où est la volonté du peuple, l'exemple de la lutte contre la corruption ? Tout s'est passé au vu et au su de la population. Quel message avez-vous envoyé à l'extérieur pour que les opérateurs économiques viennent investir dans notre pays, maintenant que l'argent a force de loi ? Les choses sont inversées : si tu veux le pouvoir, tu donnes l'argent, mais tu ne sollicite pas le suffrage du peuple.

Presse : Ce résultat n'est pas aussi le fait du système électoral ? Pourquoi n'avoir pas voulu que la population élise directement les gouverneurs ?

J.P.B. : Nous n'aurions pas accepté ce système si nous avions réalisé que la corruption pouvait émaner du sommet de l'Etat. Nous n'avions pas aussi pensé que les députés pouvaient vendre leurs voix à cause de l'argent. Ils sont là grâce au peuple et ils ne devaient que continuer à exprimer la volonté de celui-ci. Malheureusement, ils ont opté pour leurs intérêts personnels. Nous sommes donc dans un système perverti. Nous avons accepté ce système électoral parce qu'on a soutenu qu'il n'y a pas d'argent pour organiser les élections au suffrage direct. C'est une grande erreur.

Presse : Avez-vous des preuves sur la corruption que vous dénoncez, d'autant que dans l'autre camp l'on soutient que les gouverneurs ont été élus sur base de leurs programmes ? Aussi, l'opinion voudrait-elle savoir si c'en est fini avec la ville de Kinshasa étant donné que vous avez été débouté depuis la Cour d'appel jusqu'à la Cour suprême de justice ?

J.P.B. : Nous n'avons pas baissé les bras en ce qui concerne Kinshasa. Je ne peux dévoiler ici nos stratégies. Nous irons jusqu'au bout conformément aux lois du pays. C'est notre droit, le droit du peuple. A Kinshasa, par exemple, tout le bureau de l'assemblée provinciale est entre les mains de l'Union pour la Nation même si le MLC est majoritaire. Il en est de même à Kananga, en Equateur. C'est ici que je pose la question de savoir comment les mêmes députés qui ont élu les membres des bureaux se sont comportés autrement pour les sénateurs et les gouverneurs de province. Il n'y a pas eu seulement la corruption, mais aussi des menaces. A Kinshasa, les chefs coutumiers ont été menacés. C'est le cas aussi à Kananga. On a dépêché des soldats par avion à Mbuji-Mayi avec de l'argent. Ceux-ci ont corrompu les députés provinciaux et les ont menacés publiquement dans la salle au cas où le résultat n'était pas en faveur du pouvoir. A Kananga, les chefs coutumiers ont été instruits par téléphone de soutenir le candidat gouverneur du pouvoir, sous risque de perdre leur pouvoir. C'est ça la démocratie ?

Presse : Les élections ont généré la question de nationalité dans le Kasaï, question qui a suscité des débats houleux à l'assemblée nationale et qui s'est soldée par un moratoire. N'est-ce pas un échec pour votre parti, le MLC, qui en était à la base ? Par ailleurs, qu'en est-il aujourd'hui de l'Union pour la Nation. Existe-t-elle ou pas au regard du fait que le MLC et ses alliés ne cessent de se rejeter la responsabilité quant à l'échec aux élections ?

J.P.B. : EN ce qui concerne la nationalité, le MLC s'en était fait le champion car le pouvoir avait qualifié les candidats MLC d'étrangers. Nous avons voulu vider cette question en voulant savoir, du sommet à la base, qui est étranger. Devant notre attitude, le pouvoir a eu peur et a demandé que la situation reste figée. Réaction à laquelle nous n'avons pas accédé étant donné que nous voulions l'institution d'une commission d'enquête afin d'établir qui est étranger et qui ne l'est pas. Mais le pouvoir a plaidé pour un moratoire. A ce sujet, je voudrais qu'on y voie clair. C'est la loi. Où avez-vous vu qu'il y a moratoire sur la loi alors que celle-ci existe ? Ce qui est grave c'est que ceci émane de l'institution qui légifère. Il faut appliquer la loi, c'est après que celle-ci pourrait être changée. Où avez-vous vu les gens fouler aux pieds la loi en faveur d'un moratoire ?

En ce qui concerne l'Union pour la Nation, elle existe. D'ici peu, nous allons organiser les états généraux pour la restructuration, la définition des nouveaux objectifs et permettre l'adhésion de toutes les forces politiques et sociales désireuses de défendre les intérêts du peuple congolais.

Presse : Pour revenir aux évènements du Bas-Congo, vous avez été présenté comme commanditaire ?

J.P.B. : Ce gouvernement ne débite que des mensonges. Nous avons une lettre du gouverneur Mbadu demandant l'envoi de 300 soldats ; lettre qui sera versée à la commission d'enquête. Pourquoi devons-nous envoyer les militaires ? Ai-je des militaires à envoyer là-bas ? Ce n'est pas à mon initiative que nos compatriotes ont sollicité l'organisation d'une marche. Ils ont voulu protester contre la corruption, parce qu'ils voulaient que les membres de l'UN gèrent leur province. Ils n'acceptent pas que le Bas-Congo soit géré de nouveau par des gens qui l'ont mis en moule. C'est cela la vérité. Attendons le rapport d'enquête. Si vous vous mettez à suivre les racontars du gouvernement, vous allez vous perdre.

Presse : Mais une opinion laisse entendre que c'est par manque de stratégies que l'UN a perdu les élections ?

J.P.B. : Ce n'est pas par manque de stratégies, c'est plutôt la corruption. Malheureusement, beaucoup d'hommes politiques, de députés, n'ont pas le sens de l'honneur, de la parole donnée. Beaucoup sont faibles devant l'argent, alors que la politique requiert la conviction. Voilà pourquoi le pouvoir s'en moque et les achète. Ce n'est pas un secret. Comment quelqu'un qui était à pied est propriétaire aujourd'hui d'une jeep, celui qui était locataire est propriétaire d'une grande maison ? Il faut lui demander l'origine de tout cela. Si la justice existait dans notre pays, ils seraient poursuivis. D'autant que, par soupçon, un magistrat pouvait s'intéresser à leurs acquisitions. S'il y avait la justice, ces histoires n'allaient pas se faire comme dans d'autres pays. Ce n'est pas une question de stratégies. Dans 4 provinces, nous avons la majorité. C'est dire que les stratégies ont été bien montées. Ceux qui sont aujourd'hui présidents et vice-présidents des assemblées provinciales ne l'ont pas été avec leurs propres voix, c'est avec les voix de l'UN. Quand ils ont vu l'argent, ils ont perdu la raison.

Presse : Avant même la campagne électorale, le MLC s'était fait champion de la défense de l'intégrité du territoire national. Mais présentement, le drapeau angolais flotte à Kahemba. Qu'en est-il de cette situation ?

J.P.B. : Je suis peiné et attristé que les dirigeants du pays vendent notre pays aujourd'hui. Qui ignore que Kahemba est au Congo ? Qui ne connaît pas les bornes qui ont servi au partage entre les Belges et les Portugais ? Les archives sont là. Les députés de Kwango, du Bandundu, viennent de rentrer de Kahemba. Il faut leur demander les mésaventures qu'ils ont connues. Les chefs coutumiers, de groupement, propriétaires terriens, sont là. Ils les ont rencontrés. Nous sommes surpris d'apprendre aujourd'hui de la part des autorités que Kahemba n'est pas au Congo. Donc pour y aller, il nous faut un visa, un passeport. Ce qui m'attriste c'est le fait que j'ai révélé tout ceci en son temps. J'ai révélé tout ce qui va se passer dans notre pays. On va vendre notre territoire. C'est une réalité aujourd'hui. Si on n'y prend pas garde, ce n'est pas seulement Kahemba que nous allons perdre. A Kabungu, dans le territoire de Kamonia (Ndlr : territoire de Tshikapa, Kasaï-Occidental) , il y a risque que l'on vende cette potion de terre d'ici là. Il en sera pareil dans le Katanga et dans le Kivu. Cette situation est grave. C'est une haute trahison que de vendre le territoire national. C'est une haute trahison du chef des autorités du pays. Ça ne se fait jamais. Même s'il y a des problèmes entre pays, il n'est pas question d'envoyer des soldats pour une confrontation. Avant d'en arriver là, nous pouvions aller à la Cour internationale de la justice, aux Nations Unies, à l'instar du Nigeria et du Cameroun au sujet de la presqu'île de Bakassi. Le Cameroun est allé jusqu'à la Cour internationale de la justice, aux Nations Unies. C'est après 11 ans de procédure que le Cameroun a eu raison du Nigeria. Mais quant à nous, nous décidons de concéder le territoire. Où est le nationalisme, le respect de la prestation de serment, la défense de l'intégrité territoriale ? Vendre une portion du territoire national : notre patrimoine, la terre de nos ancêtres ? J'avais prédit tout cela. Malheureusement ça s'est fait.

Ce qui m'étonne encore, c'est que le chef du gouvernement est originaire du Bandundu, le théâtre des opérations. Il ne dit mot et accepte de perdre sa terre. Ça me trouble. A-t-il accepté cette situation, que Kahemba n'est pas une partie du territoire national ? A-t-il accepté que l'on perde ces 11 villages ? Il doit se prononcer sur cette question. S'il réalise que c'est un complot, qu'il démissionne ! Nos compatriotes à Kahemba larmoient. Ils demandent à ce que le gouvernement prenne ses responsabilités. Que deviennent ces enfants qui étaient sur les bancs de l'école. Leurs écoles, habitations, sont confisquées. C'est pitoyable pour nos populations.

Presse : Que pensez-vous faire ensemble avec ceux qui sont au gouvernement pour que pas un seul centimètre carré de notre pays ne puisse être cédé ? En plus de la contradiction entre les ministres d'Etat congolais en charge des Affaires étrangères et de l'Intérieur, il y a une opinion qui pense que les Angolais se sont payés ?

J.P.B. : En tant qu'opposant, je ne peux que dénoncer ce complot. Si j'étais au pouvoir, ma démarche allait être tout autre. Je devais d'abord rencontrer le président Dos Santos, notre frère et père, pour lui demander s'il est au courant que ses soldats sont au Congo. Par la suite, je devais mettre à la disposition des Angolais les archives datant de l'époque des Belges et des Portugais. En cas d'incompréhension, je devais aller voir le Secrétaire général des Nations Unies, l'impliquer pour qu'il convainque nos frères angolais de s'être trompés, s'être fait trompés ou avoir fait une erreur. Enfin et le cas échéant, je devais aller à la Cour internationale de Justice pour que cette affaire soit tranchée, à l'image du Nigeria et de Cameroun. Voilà quelle devait être la démarche pour défendre les intérêts du pays et non produire des communiqués alambiqués pour flouer le peuple congolais en voulant lui faire voir noir là où c'est blanc. Les dirigeants ne peuvent pas nous tromper. Les députés du Kwango, y compris ceux de l'AMP, étaient à Kahemba et ont signé une déclaration. Ne connaissent-ils pas aussi leur terre ? C'est irresponsable. C'est une haute trahison.

Presse : Au sujet de Kahemba, c'est comme s'il y a arrangement entre les 2 gouvernements. Il y a un risque que la situation reste telle quelle et que l'on perde définitivement cette partie du territoire car dans notre pays, comme ailleurs en Afrique, les dirigeants ne s'émeuvent pas des dénonciations. N'y a-t-il pas une autre manière d'agir en ce qui vous concerne que la dénonciation ?

J.P.B. : Dans notre pays, il y a d'une part l'opposition et d'autre part le pouvoir qui gère les affaires. L'opposition ne gère pas, il contrôle le pouvoir avec des moyens bien indiqués. A l'assemblée nationale, nous sommes minoritaires et n'avons pas de ministres au gouvernement. Comme nous n'avons pas de pouvoir, nous ne pouvons que subir. Mais cela n'est pas une occasion pour nous taire.

Nous attendrons jusqu'au moment où le peuple nous donnera le pouvoir pour pouvoir organiser et améliorer les choses. En attendant, nous ne pouvons que dénoncer.

Presse : Aujourd'hui, vous ne faites que dénoncer, mais une personne peut faire recours aux armes. Conséquence : tout ce qui est fait, y compris les élections, tombe à l'eau ?

J.P.B. : Ça dépend du choix de tout un chacun. En 1997, j'ai pris mes responsabilités vis-à-vis du pouvoir qui était en place que je n'acceptais plus.

Presse : Soutenez-vous le recours aux armes, que les fils de Kwango se rebellent ?

J.P.B. : Je n'ai pas dit que les fils du Kwango doivent se révolter. Que peut faire quelqu'un qui en a ras-le-bol ? Qu'il se tue ?

Presse : Les Congolais aspirent à la paix, mais il se trouve que celle-ci est loin d'être acquise. Quelle vision avez-vous en général de la sécurité, un de vos 3 thèmes de campagne, dans le Bandundu, le Bas-Congo, à Kinshasa, dans le Kivu, en Ituri… ?

J.P.B. : La sécurité est quelque chose d'important si vous tenez à développer votre pays, à ce que la population soit sereine et qu'elle vaque à ses occupations, que les investisseurs viennent. Pourrions-nous dire aujourd'hui que la voie empruntée après les élections peut nous conduire à la paix ? Observez la situation en Ituri, dans le Kivu, présentement à Kahemba. D'autres veulent provoquer des troubles à Kinshasa. Ce n'est pas une voie qui peut conduire à la paix.

Presse : Regrettez-vous maintenant les élections ?

J.P.B. : Non. Je me suis battu pour la démocratie et nous étions dans la transition, voire depuis Lusaka, pour l'organisation des élections. Cependant, ce que le gouvernement devait faire c'était rétablir la paix et la sécurité sur toute l'étendue du pays. Est-ce qu'au jour d'aujourd'hui il y a la sécurité au Nord Kivu, en Ituri, à Kahemba, dans le Bandundu ? Est-ce que les gens ont la paix ? La sécurité n'est pas l'apanage de l'opposition, mais plutôt du pouvoir. Est-ce qu'à Kinshasa, dans le Bas Congo, il y a la sécurité ?

Presse : Jeudi passé, il y avait la panique à Kinshasa étant donné qu'il était question du désarmement de votre garde. Selon une certaine opinion, vous avez refusé catégoriquement cette opération et mis en garde celui qui oserait. Qu'en est-il de cette question ?

J.P.B. : D'entrée de jeu, n'oubliez pas qu'on a attenté 3 fois à ma vie. Le 21 août 2006, on a dépêché des chars avec les soldats pour venir me tuer à ma résidence où j'étais avec 14 ambassadeurs. Au mois de novembre, ils sont revenus à la charge. Pour la 3ème fois, vous avez suivi qu'un de mes gardes rapprochés a été approché par les gens du pouvoir (les généraux et autres autorités) pour commanditer le bombardement de ma maison. C'est la 3ème fois qu'il cherche ma tête. Ils essaient maintenant pour que la 4ème fois. Au lieu de rétablir la sécurité ailleurs, ils oublient qu'il y a des accords signés sous l'égide des Nations Unies entre mon représentant et celui du président Kabila. Souvenez vous qu'à la veille de proclamation des résultats du 2ème tour, il y avait une forte tension dans le pays et des populations allaient se révolter. C'est ainsi qu'il y a eu ces accords qui stipulent que le gagnant va garantir au perdant la sécurité rapprochée appropriée. Il y a ces accords pour lesquels je n'entends nullement transiger. On envoie des militaires encercler ma maison et on les positionne au cimetière, est-ce qu'il y a un ennemi dans cette ville ? Ils connaissent là où il y a l'ennemi. Le chef d'état-major général doit envoyer des militaires en Ituri, à Kahemba. Nous sommes tranquilles et nous ne dérangeons personne. Est-ce que l'ennemi est dans cette ville ? Sur la base des accords, nous restons figés. D'autant plus qu'à 3 reprises, maintenant c'est la 4ème fois, on veut attenter à ma vie. Ils cherchent ma tête et ils ne l'auront pas. En ce concerne le chef d'état-major, que veut-il nous faire voir alors qu'il n'a pas fait face en Ituri, dans le Kivu et à Kahemba ? Son travail, ainsi que je le lui avais répété à 3 reprises au Conseil supérieur de la défense, c'est d'encadrer les militaires. A 3 reprises je lui ai demandé de nous donner la situation des 500 millions FRC résiduels chaque mois sur l'enveloppe de la solde militaire. Au début de la transition, il nous avait dit qu'il y avait 350 mille militaires et à la fin 117 mille après le contrôle. Avec ces chiffres, il ressortait de mes calculs que sur les 2 milliards 800 millions de FRC qu'on débloquait pour la solde des militaires, il se dégageait un bonus de 500 millions de FRC qui n'étaient pas retournés au Trésor. En présence d'autres vice-présidents de la République, de tout l'état major et du président de la République, il n'a pas su me répondre. Et moi de lui signifier que c'est un détournement. Voilà le travail qu'il devait faire : payer aux militaires une bonne solde, ne pas s'accaparer de la solde des militaires. Est-ce que les frais de fonctionnement, 600 mille Usd chaque mois pour assister, des divisions aux bataillons, des soldats en cas de maladie ou de décès, arrivent à destination ? C'est à ces genres de choses que je l'invitais pour améliorer son travail au lieu de s'acharner sur ma garde et nous insécuriser comme s'il y avait l'ennemi ici. Le peuple a besoin de la sécurité. Dans la ville ici, nous avons besoin de la sécurité. Que le chef d'état-major et ses gens s'abstiennent de chercher ma tête.

Presse : Que ressentez-vous maintenant alors qu'en son temps vous étiez prêt à troquer votre veste contre le treillis pour défendre l'Est du pays ?

J.P.B. : Beaucoup de pincements au cœur. D'autant que nous n'avons plus personne de capable au pouvoir pour défendre les intérêts du pays, des Congolais.

Presse : Quelle est l'issue ?

J.P.B. : Le peuple n'a pas les dirigeants qu'il mérite. Ce qui arrive aujourd'hui a été révélé solennellement pendant la campagne, mais le peuple a fait son choix. Attendons voir jusqu'où nous allons aller.

Presse : Vous venez de parler de la sécurité, mais la population voudrait savoir ce que vous entendez par opposition républicaine ? Que faire pour que tous ces gens croient toujours en vous ?

J.P.B. : Nous devons rester vigilants sur tout ce qui se passe dans notre pays. Nous ne pouvons que dénoncer si les actions du gouvernement ne sont pas en faveur de notre peuple. Nous ne nous fatiguerons pas pour défendre les intérêts de notre population. D'autre part, le peuple doit savoir défendre ses intérêts. Il ne doit pas se taire et a droit de s'exprimer. Il va s'exprimer, selon la Constitution, par des manifestations, grèves, etc. Ce sont les expressions démocratiques. Pour notre part, nous continuerons à le guider en ce qui concerne ses intérêts et ceux du pays.

Presse : Votre mot de la fin ?

J.P.B. : En guise de mot de la fin, j'aime mon pays et mon peuple. Je ne me tairai jamais devant toute situation bizarre qui ne cadre pas avec nos intérêts. D'ici peu, je participerai aux séances du sénat pour ainsi être dans le bain de notre vie politique au travers des activités de cette institution.