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RD Congo

Les affrontements de Kinshasa heure par heure

Par Honoré Kanange
correspondant permanent de Questions Critiques à Kinshasa
Mardi 27 mars 2007


Jeudi 22 mars

10h30
Un camion rempli d'étudiants du campus d'ISTA, qui scandent "mboka eyinda" [le pays s'enflamme], descend le Boulevard du 30 juin en direction de la résidence de Jean-Pierre Bemba. Soudain, la foule se met à courir dans tous les sens. "Ça tire ! Ça tire chez Bemba !", s'écrie mon accompagnateur. Le temps de constater que les chars de la MONUC quittent la place au lieu de s'interposer et nous faisons demi-tour devant les portes du ministère des Affaires Sociales. Le siège de la résidence de Jean-Pierre Bemba vient de commencer.

12h00
Je retourne à mon domicile prendre quelques affaires et je pars en direction de la province, à quelques dizaines de kilomètres de Kinshasa, où des hauts responsables de la MONUC doivent nous rejoindre. Pendant le trajet, nos téléphones n'arrêtent pas de sonner. "Ça barde !" me dit mon accompagnateur, "les nouvelles sont mauvaises". Un Français qui m'accompagne appelle son ambassade qui lui répond que ça va très mal. "Y aura-t-il un avion pour rentrer ce week-end à Paris ?" demande-t-il. Réponse : "Après le ministère des affaires étrangères, ils tentent de prendre le Palais de la Nation. Ils sont en train de prendre l'aéroport militaire de Ndolo. Cette fois-ci, la situation est très grave…" Les chars de la MONUC s'interposent pour empêcher les hommes de Bemba de prendre le Palais de la Nation. Pendant ce temps-là, les employés sont évacués par des blindés de la MONUC, soit vers l'Hôtel Intercontinental, soit vers une destination inconnue.

14h00
A notre arrivée à notre retraite provinciale nous apercevons un hélicoptère et deux gros porteurs volant en direction de Brazzaville. Il semble que ces avions aient été détournés de N'Djili. L'hélicoptère, quant à lui, ressemble à s'y méprendre à celui du Président Kabila. Quelques instants plus tard, nous sommes rejoints par une jeep de l'ONU. Le meilleur moyen d'avoir des nouvelles fraîches et de suivre les évènements à distance. Au fur et à mesure que les nouvelles tombent, la situation empire. J'apprends que l'on vient de tirer au mortier sur la résidence de Jean-Pierre Bemba. L'obus est tombé sur l'immeuble qui abrite la banque BIAC ainsi que l'ambassade d'Espagne, faisant de nombreuses victimes. Ici, à 25 km à vol d'oiseau, nous entendons les explosions qui font rage à Kinshasa. Cela durera toute la journée, jusqu'à la tombée de la nuit.

15h00
Un ami de l'ANR (Agence Nationale de Renseignements congolaise) m'informe qu'il a été appelé tôt le matin à Kinshasa en vue de cette opération et qu'il attend toujours d'être briefé. Il me confirme que la situation s'aggrave d'heure en heure. Un publicitaire-cambiste de renom, Hugo Tanzambi, vient de tomber, frappé par une balle perdue.

16h00
On nous signale que des renforts arrivent du camp de Tshashi (là où sont logés les soldats angolais et namibiens). Là-bas, ils disposent de quelques chars et d'armes lourdes. Mais ce ne sera pas facile de déloger Jean-Pierre Bemba. Il y a beaucoup de gens là-bas à Gombe.

16h30
Après avoir pris l'inspection générale de la police, les gens de Jean-Pierre Bemba seraient en train de prendre Kin-Mazière, le centre de détention de la police politique. Pour régler des comptes ? Le Français qui m'accompagne appelle un Général à Kinshasa. Ce dernier pense que tout rentrera dans l'ordre dès le lendemain. Moi, j'en doute…

16h45
Nos sources onusiennes nous apprennent que l'armée devait se déployer à 4 heures du matin et encercler la résidence de Bemba. Elle n'est arrivée sur place qu'à 10 heures… A cette heure-ci, tout le monde est en ville. Le Français qui vient de s'entretenir avec un attaché de l'ambassade de France à Kinshasa semble interloqué. "Le type de l'ambassade m'a dit qu'ils espéraient qu'on en finisse une bonne fois pour toutes avec Bemba". Confirmation par notre ami de l'ONU : "L'ambassade de France a poussé Kabila dans ce coup de force". Le Français interroge : "Et l'ambassadeur Bernard Prévost dans tout cela ?" Réponse : "Ah ! Celui-là, il n'a rien à dire, alors il vaut mieux qu'il se taise".

16h50
Jean-Pierre Bemba vient de prendre le beach Ngobila (le port d'embarquement et de débarquement des passagers qui traversent le fleuve Congo entre Kinshasa (RDC) et Brazzaville (République du Congo).

17h00
Tentative d'assassinat du chef d'état-major des forces armées, le général Kisempia, près de Chanimetal, dans la commune de N'Galiema, à deux pas d'une station de la MONUC.

17h20
Une grosse déflagration vient de se faire entendre près de la MONUC. On apprendra un peu plus tard que c'était un lance-roquettes qui avait explosé.

17h30
Nous recevons un appel de l'Hôtel Memling. Une Irlandaise à eu le poumon perforé par une balle qui a traversé une vitre du salon. A nouveau, notre ami appelle pour obtenir une intervention.

18h30
Jean-Pierre Bemba appelle à un cessez-le-feu et serait prêt à discuter avec tout le monde.

18h50
Des Tanzaniens viendraient d'atterrir à N'Djili ; les forces de Bemba progressent vers l'aéroport. Le vol d'Air France a décollé.

Dans la commune de la Gombe, les employés et les cadres n'osent plus sortir et passeront probablement la nuit dans leurs bureaux, de même que les membres de la commission européenne présents à Kinshasa.

19h00
Selon nos sources de la MONUC, trois Antonov bourrés d'armement et de militaires, en provenance d'Angola, de Namibie et du Zimbabwe, viennent de se poser sur l'aéroport militaire de N'Djili.

Le ministre de l'information a donné une interview télévisée pour demander la réconciliation nationale. Mais le vendredi matin il commencera à insulter Jean-Pierre Bemba.

Vendredi 23 mars

7h00
J'apprends que les réserves de carburant, appartenant à la Sep-Congo, situées entre la gare de Kinshasa et l'aéroport de Ndolo, sont en feu. Les positions pendant la nuit n'ont guère évolué, mais les pillages orchestrés par les FARDC, peu ou pas payés depuis des mois, ont terrorisé la population des quartiers populaires. C'est la vieille technique congolaise : on laisse l'armée piller la population et après on accuse les opposants d'avoir orchestré le pillage. Dans notre province, pourtant peu éloignée de la capitale, tout est calme.

8h00
Petit-déjeuner avec nos amis de la MONUC, le Français venu en RDC pour des projets de développement et un député national de l'opposition radicale.

Pour tous, il ne fait aucun doute que cette opération est une tentative de supprimer le principal opposant et de mettre au pas les Kinois qui avaient voté majoritairement pour Jean-Pierre Bemba lors des élections présidentielles. Si les Kinois n'ont toujours pas digéré la victoire de Joseph Kabila, considéré comme un étranger - il parle le swahili et l'anglais, alors qu'ici on s'exprime en lingala et en français -, les "faucons" au pouvoir ne supportent pas la contradiction de cette population rebelle.

Depuis la veille, les chaînes de télévision n'ont plus de signal. Les autorités ont coupé toutes les possibilités de transmission et seule la chaîne nationale, la voix de Kabila, continue d'émettre. Il reste RFI et la BBC qui livrent quelques informations sur les postes de radio.

8h30
La supériorité numérique est largement en faveur du camp Kabila, qui bénéficie de l'appui des soldats angolais, namibiens et zimbabwéens. Mais ce sont surtout les 500 militaires angolais, stationnés au camp de Tshashi, qui ont prêté main forte. De peur que certains FARDC, issus du brassage des miliciens des armées rebelles des anciens rivaux, puissent se retourner contre le pouvoir, les opérations ont donc été confiées à la GR (la Garde Républicaine, acquise corps et âme à Kabila) et aux quelques 500 soldats angolais. La garde présidentielle est constituée de 8.000 hommes bien équipés avec des armes neuves et des gilets pare-balles. Les 15.000 FARDC de la capitale ne sont pas entrés dans la danse, particulièrement ceux du camp de Kokolo, qui comptent de nombreux supporters de Bemba.

Bemba, lui, dispose d'environ deux cents hommes dans la capitale mais d'aucune logistique permettant le ravitaillement en munitions. Ses positions ne tiendront plus longtemps.

9h00
Kabila que l'on dit parti à Lubumbashi ou à Brazzaville est introuvable. Jean-Pierre Bemba s'est réfugié à l'Ambassade d'Afrique du Sud. L'ambassadeur du Nigeria a été touché la veille de 4 balles et son garde du corps à été tué.

La femme irlandaise touchée à un poumon à l'Hôtel Memling a été évacuée vers l'hôpital dans la voiture de l'ambassadeur de France qui a prêté son véhicule. L'ambassade de France est à une cinquantaine de mètres de l'Hôtel Memling. La balle a été extraite et ses jours ne sont plus en danger.

Plusieurs ministres se sont réfugiés à l'Hôtel Intercontinental. Il semble qu'ils étaient terrorisés, surtout depuis que des balles ont été tirées à l'intérieur de ce sanctuaire. Ils ont passé la nuit sur des transats autour de la piscine. A l'intérieur de l'hôtel, des investisseurs allemands qui séjournaient à Kinshasa sont bloqués et ont hâte de repartir… Quel gâchis ! 500 millions de dollars dépensés par la communauté internationale pour organiser les élections et nous voyons le Congo reprendre à toute vitesse le chemin de la dictature. "On retourne dix ans en arrière !" s'exclame notre ami de la MONUC.

Ironie du sort, la veille au matin je me trouvais à l'hôtel Intercontinental où j'ai croisé un député national de l'opposition radicale qui discutait avec un sénateur du PPRD (le parti de Kabila). Ce dernier disait au député : "On ne te voit plus à la télé ! Ils ont réussi à te museler, toi aussi ?"

9h30
Des personnes réfugiées avec leurs familles dans les locaux de l'Onatra, au beach, toujours tenu par les hommes de Bemba, appellent nos amis onusiens, qui demandent à la MONUC de prendre le problème en main et de faire un tour là-bas avec quelques blindés.

Les tirs se poursuivent en ville, mais le quartier de la Gombe semble désormais sous contrôle de la GR. D'autres Gardes Républicains investissent la résidence de Jeannot Bemba, le père du sénateur. Notre ami intervient à nouveau pour envoyer une patrouille de la MONUC voir ce qu'il se passe. Intervention in extremis qui freine les ardeurs de la GR. Une heure après ils disparaissent.

10h00
Des rumeurs insistantes semblent indiquer que l'Afrique du Sud serait prête à livrer Bemba de façon unilatérale, alors que ce dernier a demandé l'asile politique et n'est plus du tout en contact avec ses troupes. Notre ami de l'ONU est très contrarié et appelle plusieurs ambassadeurs pour faire pression contre l'Afrique du Sud. Il contact aussi les gens de Human Rights.

La situation à Kinshasa est toujours incertaine. Les GR reprennent petit à petit le contrôle des points chauds, mais ça continue de tirer.

Au collège Bomboloko, les FARDC sont allés piller les profs (téléphones portables, argent, ceintures, chaussures) mais n'ont pas touché aux enfants. Les enfants belges et certains français ont passé la nuit dans leurs établissements sans même manger un biscuit.

10h30
A N'Djili, ce sont Angolais et Namibiens qui tiendraient l'aéroport. Les hommes de Bemba sont partis là-bas pour tenter de les déloger. "Si seulement ils pouvaient flinguer quelques éléments étrangers et ramener les cadavres pour prouver la complicité de ces pays !" s'exclame notre ami de la MONUC.

Mon ami de l'ANR m'appelle : "Les gens de Bemba ont pour objectif de prendre la prison de Makala et de libérer les prisonniers politiques. Ils se sont fondus dans la cité et ont l'appui de la population. Les nôtres rançonnent la population". C'est dans la prison de Makala qu'est enfermée l'avocate de Jean-Pierre Bemba (et ancienne candidate à la présidence de la république), Maître Marie-Thérèse Nlandu. La veille, un bulletin d'information sur la radio Top-Congo faisait état de sa santé qui se dégradait sévèrement à cause de la Malaria attrapée en prison.

11h00
Nous apprenons que les résidences de Jean-Pierre Bemba ont été pillées et brûlées pendant la nuit. Nos amis de la MONUC prennent congé et rentrent à Kinshasa.

19h00
Le pouvoir a décrété le couvre-feu jusqu'à 8 heures le lendemain matin et les jours suivants. Toute personne congolaise contrôlée sans sa carte d'électeur sera immédiatement arrêtée et conduite on ne sait où.

Les représailles et les arrestations arbitraires ont démarré. Les opposants politiques se trouvant en premier dans la ligne de mire du pouvoir.

Un mandat d'arrêt international est lancé contre Jean-Pierre Bemba pour haute trahison et entretien de milice.

Bilan de ces deux journées : plus de 600 morts et un millier de blessés… Les télévisions modérées et de l'opposition n'émettront plus. A présent, seule "la voix de son maître" risque de nous aboyer la pensée unique. C'était déjà le cas de la plupart des journaux kinois : Digital-Congo, le groupe l'Avenir, l'Observateur, Uhuru, etc.

Honoré Kanange