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RD Congo

Kinshasa : Les affrontements étaient planifiés par le pouvoir

Par Honoré Kanange
correspondant permanent de Questions Critiques à Kinshasa
Mardi 27 mars 2007


L'état-major avait prévu de déclencher l'opération, ce jeudi 22 mars 2007, à 4 heures du matin, pour profiter des rues désertes avant le réveil des Kinois. Mais le Général-major Kabila Kabange a prouvé une nouvelle fois son irresponsabilité et son inaptitude au commandement : ce n'est que vers 10 heures que les éléments armés lancés par le pouvoir ont pris position dans le quartier résidentiel de la Gombe. Notre correspondant Honoré Kanange se trouvait précisément sur le Boulevard du 30 juin, à deux pas de la résidence de Jean-Pierre Bemba, lorsque l'offensive a débuté.

Un camion rempli d'étudiants qui scandaient "mboka eyinda" [le pays s'enflamme] descendait le boulevard. La veille, le campus d'ISTA [Institut Supérieur de Techniques Appliquées], qui se trouve à proximité de l'aéroport militaire Ndolo et de l'état-major des forces navales, avait été investi par l'armée. Après que professeurs et étudiants furent dépouillés de leurs téléphones portables, de leurs ceintures, de leurs lunettes, de leurs chaussures et de leur argent, tous furent chassés et renvoyés du campus. En effet, c'est à ISTA que se trouvent les étudiants les plus radicaux du Congo.

Très vite, des tirs échangés entre des éléments de la DPP [Division de Protection Présidentielle] de Jean-Pierre Bemba et des G.R. [les Gardes Républicains] de Kabila se firent entendre. Aussitôt, les gens se mirent à courir dans tous les sens, fuyant les combats qui commençaient. Le temps de constater que les chars de la MONUC quittaient la place au lieu de s'interposer et notre véhicule fit demi-tour devant la porte du ministère des affaires sociales.

Les jours qui avaient précédé cette nouvelle explosion de violence, la tension était palpable. Les langues commençaient à se délier. Il faut savoir qu'en RDC tout le monde se méfie de tout le monde et, à par les parlementaires debout et les militants de l'UDPS, les discussions politiques sortent rarement des foyers. Pourtant, depuis plusieurs jours les Kinois se mettaient à hausser le ton. Il faut les comprendre : ces gens-là vivent dans une misère profonde, ont à peine de quoi manger et doivent parcourir quotidiennement des dizaines de kilomètres (le plus souvent à pied) pour trouver de quoi nourrir leurs familles.

Le samedi et le dimanche précédents (le 17 mars au soir, retransmis le 18) , le Sénateur Jean-Pierre Bemba, chef de file du MLC, s'était exprimé sur CCTV et Canal Kin, ses deux chaînes de télé, dans une intervention retransmise sur Antenne A, chaîne belgo-congolaise, et RLTV, la chaîne de Roger Lumbala. Dans un long discours en Lingala, il a dénoncé l'annexion de Kahemba, dans le Bandundu, par les Angolais, qui ont chassé les autochtones et pris leurs maisons. Désormais, il fallait un visa aux Congolais pour se rendre dans cette partie du territoire. Bemba a clairement accusé le Premier ministre Gizenga et le Président Joseph Kabila d'avoir vendu à l'Angola cette partie du Bandundu, riche en diamants et en minerais divers. Double crime de la part d'Antoine Gizenga qui est originaire de la Province du Bandundu, son fief électoral. Ensuite, le sénateur a longuement expliqué le détournement des salaires des soldats. Chiffres éloquents : 500 millions de FRC [850.000 €] par mois qui ne retournent pas au trésor sur le buget de 2,8 milliards de FRC [4,76 m €] pour soi-disant payer 317.000 soldats, alors qu'en réalité il n'y en a que 117.000.

Lors de la plénière parlementaire du lundi 19 mars, les députés nationaux ont voté la mise en place d'une commission parlementaire pour enquêter sur l'affaire de Kahemba. Cette commission sera dirigée par Roger Lumbala.

Rappelons que Joseph Kabila (Hyppolite Kabange pour ses intimes) a été officiellement investi président de la république le 6 décembre dernier et qu'il a fallu pas moins de trois mois pour former le nouveau gouvernement constitué de 59 ministres et d'un fantôme. Pendant ce temps, Kinshasa est restée une gigantesque poubelle aux rues défoncées et aux caniveaux bouchés et dont la population n'en peut plus des promesses jamais tenues et de la faim et des maladies qui la rongent.

Mi-mars, nous entrons dans la petite saison des pluies : chaleur torride pendant plusieurs jours suivie d'orages torrentiels. C'est le mardi matin que la pluie s'est mise à tomber. Très vite, les rues furent inondées sur environ 50 centimètres et les cratères qui parsèment les routes (véritables nids d'hippopotames) constituent autant de pièges pour les voitures. Je reviens de Limete avec le chauffeur d'un ami qui conduit une petite voiture diesel et nous nous abîmons dans un de ces trous profonds remplis d'eau, submergés par un 4X4 qui arrive en face à tout berzingue. Le moteur cale et l'eau commence pénétrer à l'intérieur du véhicule. Un groupe de shégués se précipite pour nous sortir de là et je m'en tire en payant 2.500 FRC [4€] sur les 10 dollars réclamés. Bien sûr, le moteur est noyé et j'appelle en renfort mon propre chauffeur qui arrive avec le 4X4.

Le lendemain matin, de grands travaux de nettoyage des caniveaux, bouchés par les immondices, débutaient dans le centre et les grandes artères. A Kinshasa, les eaux de pluie et les eaux usées sont évacuées directement vers le fleuve par des tranchées profondes d'un mètre à un mètre cinquante. Celles-ci étant continuellement bouchées par les immondices, les inondations sont agravées et la pestilence y est constante. Je me dis que le gouvernement a enfin décidé de faire quelque chose pour améliorer la situation. Je comprendrai dès le lendemain que les autorités préparaient les tranchées pour le combat urbain…



Honoré Kanange