RD Congo
Après dix ans de guerre, la Minière de Bakwanga, qui exploite le "polygone minier" du Congo, est au bord de la faillite.
REPORTAGE.
LES MANGUIERS ont poussé devant les inscriptions "Scrabble" ou "Fléchettes" de la salle de jeux. L'eau de la piscine n'est plus qu'un dépôt nauséabond, tandis que les anciens vestiaires font office de toilettes, aux soldats de passage. Il ne reste plus grand-chose du très exclusif "Club privé" de Mbuji Mayi, qui fut jadis l'emblème de la splendeur de la Minière de Bakwanga (Miba). Après trente ans de mobutisme et dix ans de guerre, la société nationale de diamant, qui fournit encore 3 % de la production mondiale, est au bord de la faillite.
"Ça fait quinze ans que nous sommes en dessous du seuil de rentabilité", assure Gustave Luabeya Tshitala, le président administrateur délégué (PAD) de cette société détenue à 80 % par l'Etat congolais. Au cœur du polygone minier, une zone de 40 kilomètres carrés exploitée depuis 1914, on travaille encore 24 heures sur 24. Mais les cadres de la société évitent de circuler sans escorte après la tombée de la nuit. La concession est envahie par des dizaines de milliers de clandestins prêts à tout pour dérober quelques pierres. La brigade minière est impuissante. Les échanges de tirs sont réguliers.
La définition d'un "diamant de guerre" est bien vague dans cette région du monde où intérêts militaires, politiques et économiques s'entremêlent depuis toujours. La Miba a longtemps été "la poche du maréchal Mobutu", à l'époque où les entreprises publiques finançaient directement le parti au pouvoir. Quand en 1997, Laurent-Désiré Kabila a fait tomber le régime, la Miba s'est effondrée. On a alors réquisitionné son matériel, ponctionné son carburant ou signé à sa place des contrats...
L'exemple le plus flagrant est celui d'une société dénommée Sengamines, créée par Laurent-Désiré Kabila en juillet 1999 à partir d'une concession arrachée à la Miba. Conçue comme une association entre l'Etat congolais et le gouvernement zimbabwéen, cette société avait privé la Miba, de 45 % de ses réserves minières. La Sengamines était par ailleurs exonérée par contrat de toute forme d'impôt pendant vingt-cinq ans. On sait aujourd'hui qu'elle avait été créée pour remercier les militaires zimbabwéens de leur appui militaire dans la guerre contre le Rwanda et l'Ouganda.
Le monopole cédé pour 15 millions de dollars
Quand en janvier 2001, Joseph Kabila prend la relève de son père assassiné, il promet d'assainir le marché du diamant. Mais les réformes ne sont pas simples. L'homme d'affaires israélien qui avait obtenu, sous Kabila père, le monopole des exportations de diamants est toujours là. Dan Gertler, neveu du fondateur de la Bourse israélienne de diamant, a même été invité au mariage très exclusif de Joseph Kabila en juin 2006.
Emaxon Finance International, l'une de ses sociétés, qui a son siège social au Québec, a passé un "contrat de prêt et de vente" avec l'Etat congolais le 13 avril 2003. En échange d'un prêt de 15 millions de dollars, le diamantaire israélien peut commercialiser 88 % du diamant de la Miba pendant quatre ans. Il achète les pierres au "prix Emaxon" qui, selon les termes du contrat, est "le prix de livraison convenu entre les parties avec déduction de 5 %".
"Il fallait à tout prix investir pour maintenir la production. Nous sommes allés en Belgique, en Europe, partout. Impossible de trouver de l'argent. Notre pays est un pays à haut risque !" explique Gustave Luabeya Thsitala, comme pour se justifier d'avoir signé un tel contrat. Le PAD est même assez fier d'expliquer que le prêt Emaxon a permis d'acheter une laverie kimberlitique et une nouvelle drag line. Ce qu'il ne dit pas, c'est que sa pelleteuse géante est souvent immobilisée. L'engin draine à lui seul la moitié de l'électricité de la ville. Et puis il n'y a personne pour le manœuvrer. Mike Baby, le formateur sud africain, a été abattu par des clandestins.
Trois fois la Belgique
La concession de la Miba est grande comme trois fois la Belgique. Mais en quatre-vingt-dix ans, on n'en a exploité qu'un millième. Alors pour sauver la Miba, on se précipite dans les joint-ventures. En 2005, la Miba signe avec les sud-africains (De Beers), les russes (Niznelenskoye), les australo-britanniques (BHP Billiton) et Dan Gertler International (DGI). Des droits sont ainsi cédés sur les trois-quarts de la concession. Sud-africains, russes, australiens, britanniques, israéliens. "Je suis tout à fait d'accord qu'il y a beaucoup de faiblesses, mais quand on parle de contrat, tout ce qui s'est fait jusqu'à maintenant, c'est conformément à un Code minier adopté par l'Assemblée nationale de transition de l'époque", déclare Joseph Kabila, en promettant que des rectifications seront apportées si nécessaire par la nouvelle Assemblée.
À Mbuji Mayi, chacun sait que diamant ne rime pas avec développement. Cette bourgade de trois millions d'habitants n'a ni électricité ni eau courante pour tous. Mais ses habitants ne demandent qu'une seule chose : que la Miba, premier employeur de la ville, continue à fonctionner. Qu'ils soient propres ou sales, qu'ils alimentent les guerres ou financent les paix, les petites pierres blanches sont le seul moyen de survivre...