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RD Congo

Le pillage continue :
Un demi-milliard de dollars pour Dan Gertler (33 ans)

Par Victor Ngoy
16 février 2007


Tout le monde convient que le Congo est le pays le plus riche au Monde, sur la base de ses ressources naturelles. Cependant, le Congo est en même temps l'un des pays les plus pauvres de la planète. C'est en ces termes que se pose le problème du pillage et des contrats miniers. Les attributions des richesses non renouvelables ont été faites à vil prix - presque gratuitement - et le plus souvent à des amis, des alliés et à d'autres complices. Ceux qui en ont bénéficié ont spéculé sur les droits exorbitants ainsi acquis et les ont revendus pour un gros profit, parfois immédiat. Parmi les bénéficiaires que le pillage a rendus milliardaires figure un jeune israélien. Sorti de nulle part, il a fait fortune en pompant les diamants congolais et les ressources de la MIBA [l'entreprise nationale congolaise des diamants - la Minière de Bakwanga].

A leurs heures de gloire, le cuivre et le cobalt du Katanga procuraient près de 60% des devises. Ces dernières années, c'est le diamant du Kasaï qui a remplacé le Katanga dans la contribution budgétaire. C'est également au Kasaï que les nouvelles pratiques de pillage se sont manifestées de manière criante. Le pillage est une véritable idéologie de mal gouvernance, consistant à brader les richesses publiques et à les détourner à long terme au profit des élites nationales et d'alliés étrangers. Au Kasaï, Laurent-Désiré Kabila avait dépossédé la MIBA de 45% de ses réserves de diamant, pour les remettre, avec la complicité de Charles Okoto, à la Sengamines, une société à 50/50 entre l'armée du Zimbabwe (représentée par OSLEG) et la poche personnelle du chef de l'Etat congolais et de sa famille, représentés par l'entreprise individuelle COMIEX. Le sort actuel et confus des mines kimberlitiques de Senga Senga ne peut faire oublier que la motivation première avait été de solder et de voler l'Etat.

C'est dans ce contexte minier nouveau que Laurent-Désiré Kabila avait octroyé en 2000, le monopole de la commercialisation des diamants à la firme IDI Diamonds de l'israélien Dan Gertler. L'homme d'affaires n'en était pas encore un ; il n'avait à l'époque que 27 ans et dépourvu de références (succès ou expertise professionnels). L'accord IDI avait été conclu par deux membres de l'entourage du chef de l'Etat. Dan Gertler avait promis de procurer rapidement 20 millions de dollars US, entre autres pour acheter des armes, grâce à ses prétendues relations avec des généraux israéliens. Il s'agissait d'un pillage typique, dénoncé par le Groupe des Experts de l'ONU, et, en même temps, d'un accord criminel et classé dans la catégorie "les diamants de sang". Finalement, l'affaire fut un désastre national, sauf pour Dan Gertler, qui s'en était enrichi. IDI Diamonds aurait payé environ 3 millions de dollars US. Défaillante, la firme n'avait pas pu conquérir le marché en proposant des prix compétitifs. En conséquence, les diamants avaient été écoulés vers Brazzaville et Bangui. A l'époque, l'Observatoire Gouvernance Transparence (OGT) avait estimé que le monopole d'IDI avait favorisé la fraude et la criminalité dans ce secteur. Toujours à cette époque, les réseaux mafieux faisaient le trafic des diamants de la RDC et récoltaient 300 à 400 millions de dollars US par an. Lorsque Laurent-Désiré Kabila fut assassiné, les milieux diamantaires libanais, suspectés d'avoir commandité le crime, étaient très remontés contre le monopole de Gertler. Des "informations" auraient même couru contre ce dernier, l'accusant lui aussi de cet assassinat. Vengeance des Libanais ? Mystère. Toutefois, sur le plan militaire, Dan Gertler a été poursuivi en justice par Yossi Kamisa qu'il avait recruté. On a appris au cours du procès que Gertler s'était rendu à Kinshasa avec Avigdor Ben Gal et Meir Dagan pour y rencontrer Kabila. Puis ils ont ensuite demandé au Ministère israélien en charge de l'industrie militaire des autorisations d'exporter des armes légères, en vue d'entraîner la garde présidentielle. Dan Gertler avait tenté d'expliquer aux juges que le marché "IDI" avait visé à améliorer la sécurité dans les mines de diamants congolaises. Chose dont personne n'avait été témoin sur le terrain…

Le monopole désastreux d'IDI Diamonds prit fin en 2001. Dan Gertler chercha même à attaquer la RD Congo en justice, car l'une des caractéristiques du pillage et des contrats léonins est que les investisseurs bénéficient d'armes juridiques à sens unique pour poursuivre jusqu'au bout la logique du pillage. Des arrangements ont été trouvés et les affaires congolaises de l'Israélien ont été renforcées. En 2002, Joseph Kabila, qui a succédé à son père adoptif, a nommé Dan Gertler et Chaïm Leibowitz comme représentants personnels auprès de l'administration américaine à Washington. Gertler avait alors 29 ans et Leibowitz, un bailleur de fonds juif du parti républicain, entrenait des rapports étroits avec la Maison Blanche et le National Security Council (NSC) [le conseil de sécurité nationale américain]. Les deux alliés du nouveau président se sont attribués l'arrangement de la rencontre entre Joseph Kabila et George Bush, en novembre 2003.

En récompense, Dan Gertler et Leibowitz sont entrés dans le premier cercle des décideurs à Kinshasa. Ils ont même accompagné le président dans son voyage officiel en Chine. Dan Gertler a été nommé Consul honoraire de la RD Congo en Israël et a été l'un des rares invités étrangers au mariage présidentiel. En un mot, le jeune Israélien fait maintenant partie du décor et du système. Ses relations privilégiées ont été vite converties en dividendes. Chaïm Leibowitz et Dan Gertler ont obtenu, via la société Emaxon Finance International Inc. (Emaxon), quatre ans de monopole de la commercialisation des diamants de la Miba. Selon les termes de ce contrat "de prêt et de vente", qui court de 2003 à 2007, Emaxon capte 88% de la production de la MIBA au "prix Emaxon", un prix "convenu entre les parties et assorti d'une déduction de 5 %". En échange, la Miba bénéficie d'un prêt de 15 millions de dollars US, dont 5 millions devaient servir aux besoins de la Miba en fonds de roulement et les autres payés, à la discrétion de Dan Gertler, aux fournisseurs de matériel de production : la nouvelle laverie NLK2, d'une capacité de 200 tonnes à l'heure, et la gigantesque "Draline", une excavatrice en terrain marécageux. Ce contrat de "prêt et de vente" avait été décrié - et même renégocié -, mais sans toucher à l'essentiel. La propagande gouvernementale claironnait qu'Emaxon était le sauveur de la Miba, dans une période où les financements extérieurs étaient difficiles à trouver. On affirma même que la Miba, grâce à Dan Gertler, allait bénéficier d'une production supplémentaire de plus de 2.000.000 de carats et générer des recettes additionnelles de plus de 30.000.000 de dollars.

C'est Augustin Katumba Mwanke qui avait présenté Emaxon à la Miba. La Commission Lutundula a qualifié d'usuraire ce prêt de 15 millions de dollars, mais elle a estimé qu'une annulation du contrat nuirait au climat général des investissements. A quelques mois de l'échéance du contrat Emaxon, cette année, tout cela mérite d'être évaluer. Les 6500 agents de la Miba n'ont pas reçu leurs salaires depuis plusieurs mois et la production de diamants, au lieu d'avoir doublé ou triplé, a chuté de 80%. Au cours du deuxième semestre 2006, la Miba n'a exporté que 545.000 carats au lieu des 2,5 millions de carats exportés pendant la même période de l'année précédent. Les équipements imposés par Dan Gertler et qui ont coûté 10 millions de dollars sont à l'arrêt. On se pose des questions sur le sérieux de cet investissement. Pendant le peu de temps qu'elle a fonctionné, la fameuse pelleteuse "Draline" captait à elle seule la moitié de la consommation d'électricité de la ville de Mbuji Mayi. Chose plus grave, l'engin n'était piloté que par un seul opérateur, le sud africain Mike Baby. Ce dernier a été assassiné en juin 2006 et le fournisseur de ce matériel à 10 millions de dollars refuse d'envoyer un autre technicien pour le remplacer. Ce fiasco désastreux n'a pas enrayé l'essor de Dan Gertler, ni les faveurs en richesses naturelles de la RDC qui lui ont été accordées. Lors de la grande braderie de 2005, la société DGI (Dan Gertler Israel) a reçu une partie de la concession de la Miba. D'autres sociétés réputées se sont partagées le gâteau : De Beers (Afrique du Sud), Niznelenskoye (Russie) et BHP Billiton (Australie-Grande Bretagne). Gertler a également reçu la fameuse mine KOV de la Gécamines, à Kolwezi. Récemment, Dan Gertler a été classé par Forbes parmi les 40 Israéliens les plus riches. Comme il faut détenir une fortune d'au moins 500 millions de dollars pour faire partie du classement, cela veut dire que Dan Gertler, à 33 ans, pèse plus d'un demi-milliard de dollars US. Cette fortune a été bâtie en moins de six ans, essentiellement sur les diamants congolais. Même Chaim Lebovits d'Emaxon a pu quitter Dan Gertler pour lancer son propre groupe minier et pétrolier. Face aux deux, le Congo est perdant et la Miba est en faillite.

Victor Ngoy