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Les diamants de guerre

La tumultueuse saga des magnats du diamant

Par Christophe Ayad, Libération
mardi 30 janvier 2007

De Londres à Bombay, la pierre précieuse suscite un appétit
sans limite. L'histoire de cinq négociants en témoigne.


Ce n'est pas seulement au fin fond de l'Afrique que se joue la guerre du diamant. Anvers, Londres, New York, Tel-Aviv et Bombay sont les différentes capitales d'une jungle où se livrent des luttes d'influence aussi féroces que feutrées. Jeunes loups et vieux crocodiles s'affrontent sans merci : Oppenheimer, Tempelsman, Gertler, Leviev, Mehta, etc. Ils sont les princes de la planète, décrite par Roger Brunet dans le Diamant, un monde en révolution (Belin, 2003). Galerie de portraits et tour d'horizon de la carat connection.

Nicky Oppenheimer, 61 ans, est le dernier des géants. La famille Oppenheimer, des juifs émigrés en Afrique du Sud, est devenue indissociable de la De Beers depuis qu'elle en a pris le contrôle en 1929. Longtemps, De Beers a exercé un véritable monopole de la commercialisation du diamant, fixant les prix sans rapport avec l'offre ou la demande. Dix fois par an, l'entreprise convoque ses sightholders (ceux qui ont le droit de voir), à Londres. Ils se voient proposer, un à un, des lots de pierres brutes. Il n'y a pas de négociation sur le prix, la quantité ou la qualité. C'est à prendre ou à laisser. De Beers impose même de choisir ses propres sightholders. Tout en verrouillant l'amont, la société investit dans le marketing pour élargir l'aval. Le diamant, privilège des têtes couronnées jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, devient l'incontournable synonyme des fiançailles. La pierre se démocratise, notamment grâce à Marylin Monroe qui chante Diamonds are girls best friends.

Arrivé à la tête de l'entreprise en 1998, Nicky Oppenheimer trouve une maison en crise et un marché bousculé par l'arrivée de la Russie, du Canada et de l'Australie. De Beers se lance dans la commercialisation de détail. A la suite d'une alliance avec LVMH, des boutiques De Beers ouvrent aux galeries Lafayette à Paris. Pour répondre aux accusations d'alimenter les conflits en Afrique, De Beers a beaucoup oeuvré en faveur du processus de Kimberley, qui permet théoriquement la traçabilité et la certification du diamant. Maurice Tempelsman, surnommé "Tonton Maurice", est un des sightholders privilégiés de De Beers. Né en Belgique en 1929, dans une famille de diamantaires juifs, il émigre à New York au moment de la Seconde Guerre mondiale. C'est en Afrique qu'il fait fortune, notamment grâce à ses liens avec l'administration américaine, et plus particulièrement avec les démocrates. En cheville avec la CIA, il finance les campagnes électorales des Kennedy (il est le dernier mari de Jackie Onassis), de Lyndon Johnson, Jimmy Carter et Bill Clinton. Au temps de la guerre froide, il a été un proche du maréchal Mobutu, allié des Etats-Unis contre la menace communiste, notamment en Angola. Tempelsman aide Mobutu à détourner une partie de la production nationale et use de ses liens avec le chef de la rébellion, Jonas Savimbi, pour exploiter le sous-sol angolais, du moins en zone rebelle. On le trouve aussi en Namibie, en Russie et en Sierra Leone, où il travaille main dans la main avec De Beers. Dans les années 90, Mobutu est renversé et Savimbi tué. Dans la région, "Tonton Maurice" se fait supplanter par de jeunes loups comme Dan Gertler...

Dan Gertler, 39 ans, débarque une fois par mois en République démocratique du Congo, de son jet privé. Vêtu d'une kippa noire, entouré d'un rabbin et d'un garde du corps, il vient chercher son "dû". En 2000, il négocie avec feu Laurent-Désiré Kabila un contrat lui réservant l'exclusivité de l'exportation des diamants congolais... contre 20 millions de dollars, au grand dam des négociants libanais pourtant bien implantés. Joseph Kabila, son fils et successeur, a cassé le contrat sous la pression internationale. Pour en rédiger un autre, qui permet à l'Israélien d'acheter 80 % de la production à prix fixe. Sous-évalué, disent les mauvaises langues. Petit-fils de Moshe Schnitzer, président de l'Institut israélien du diamant et neveu de Shmuel Schnitzer, président de la Bourse israélienne du diamant, Gertler, proche des milieux ultraorthodoxes, illustre la montée en puissance de Tel-Aviv face à Anvers.

Lev Leviev fait partie, lui aussi, des magnats israéliens du diamant. Ce juif russe de 50 ans, fils de rabbin, émigre en Israël en 1972. Il use de ses liens en ex-URSS soutien de Gorbatchev, il est aujourd'hui proche de Poutine pour s'assurer un approvisionnement en diamants bruts, au nez et à la barbe de De Beers, avec qui il rompt avec fracas en renonçant à son statut de sightholder. Ses relations lui sont utiles pour mettre un pied puis les deux en Angola, où il traite avec le pouvoir ex-marxiste. Ensuite, c'est la Namibie, aux portes de l'empire De Beers. Dernier sacrilège : il aide l'Afrique du Sud à monter des usines de polissage, alors que De Beers avait toujours pris soin de cloisonner lieux d'extraction et de traitement. Mais les jeunes loups de Tel-Aviv ont fort à faire avec la concurrence de Bombay. En fait, c'est de Palanpur, une commune de l'Etat du Gujarat, que sont presque tous originaires les poids lourds indiens du diamant.

Dilip Mehta en fait partie. A la tête d'un petit empire, ce dernier appartient, comme ses confrères à la petite communauté jaïn, adepte de la non-violence et respectueux de la vie au point d'éviter de tuer les mouches. Très liés aux places d'Anvers et de Tel-Aviv, les diamantaires indiens se sont spécialisés dans la taille de tout petits diamants. Mais les Indiens aussi sont menacés, désormais, par la Chine, où le coût de la main-d'œuvre est encore moindre et le travail des enfants toléré.