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RDC - Réforme des entreprises d'Etat

Lettre ouverte à Madame Jeannine Mabunda,
Ministre du Portefeuille :
Ne bradez pas les bijoux de famille !

Par l'Honorable Jean-Claude Vuemba
Le 21 octobre 2007

Madame la Ministre du Portefeuille,

Vous êtes venue, mercredi 17 et jeudi 18 octobre 2007, dans l'hémicycle du Palais du Peuple présenter et défendre devant les Députés 4 projets de loi portant sur la réforme des entreprises publiques en RDC, à savoir: les dispositions générales applicables aux établissements publics ; la transformation des entreprises publiques ; les modalités relatives au désengagement de l'Etat des entreprises du Portefeuille ; et l'organisation et la gestion du Portefeuille de l'Etat.

De quoi s'agit-il au juste ?

Votre gouvernement veut obtenir le quitus de la représentation nationale sur la libéralisation et la privatisation des entreprises de l'Etat.

Pour justifier l'initiative gouvernementale de réformer les entreprises étatiques, vous nous avez parlé de l'impératif qu'il y a d'augmenter la productivité en vue d'accroître les recettes du Trésor public.

Hélas, il y a tout lieu de croire que votre gouvernement s'apprête à brader le patrimoine national au profit de certains charognards occidentaux ! Il est facile d'accuser la mauvaise gestion qui règne au sein de nos entreprises publiques lorsque soi-même on montre tous les jours, depuis que le gouvernement Gizenga a été formé, son incapacité à faire face à la situation et à lutter efficacement contre la corruption qui ronge la société congolaise.

Non, Madame la Ministre, vos arguments ne sont pas crédibles. Je citerai l'exemple de la Gécamines qui contribuait autrefois à près de 90% du budget national. Vos prédécesseurs pendant la période de transition ont cassé ce fleuron de l'industrie congolaise et l'ont livré en pièces détachées à des profiteurs sans scrupule. La productivité du secteur minier privatisé a certes augmenté, mais le Trésor Public ne bénéficie pas de nouvelles recettes. Bien au contraire ! Aujourd'hui, ce sont les importations de marchandises essentielles, par les ports de Matadi et de Boma qui souffrent d'un véritable racket de la machine gouvernementale et, aujourd'hui, c'est la province du Kongo-Central qui contribue à hauteur de plus de 50% au budget national.

Comprenez-moi bien, Madame la Ministre. Lorsque vous nous expliquez que votre " Projet portant transformation des entreprises publiques " a pour objectif de dissocier les unités à vocation marchande (entreprises industrielles et commerciales) de celles dont l'objet ou la mission est publique, je comprends : " privatisation des bénéfices et nationalisation des pertes ".

Pourtant, l'exemple chinois devrait pousser à la prudence. En effet, quelques 30 à 50 millions de travailleurs y ont perdu leur emploi depuis la fin des années 1980, à la suite des réformes dans les entreprises d'Etat. Mais autant la Chine est un véritable géant qui ne se laisse pas dicter les règles par les autres, autant la RDC est un géant aux pieds d'argile qui dit amen aux pressions du Mur de l'Argent et au grand capital international. Alors, je vous en conjure, Madame la Ministre, faites vôtre la remarque de prudence qu'a exprimée le Président de l'Assemblée Nationale, Vital Kamerhe, qui a insisté, comme la plupart d'entre nous dans l'hémicycle, sur le risque d'une privatisation aveugle.

Vous nous parlez de réaménagement, de re-dynamisation des entreprises, de réforme, etc. Vous avez parfaitement raison ! Le Congo a besoin d'être réformé… en profondeur. Le Congo, pays central et essentiel en plein milieu du continent africain, pays aux immenses richesses naturelles et aux cours d'eau puissants capables de produire de l'électricité pour une grande partie de l'Afrique, pays où la terre est fertile et pourrait nourrir beaucoup des affamés de notre continent, le Congo souffre d'une incompétence chronique de ses cadres et de ses dirigeants.

Il y a partout dans le monde et notamment en Europe (en France et en Belgique) ou en Amérique (aux Etats-Unis ou au Canada) un grand nombre de Congolais chefs d'entreprises qui auraient les compétences pour tenir les rênes de ces entreprises que vous vous apprêtez à livrer à des non-nationaux. Ici-même, nous avons des compétences peu ou mal exploitées. Il est peut-être temps de commencer une véritable réconciliation nationale qui donnerait envie à notre diaspora de revenir travailler pour le pays et qui dissuaderait beaucoup de nos nationaux de rechercher dans l'émigration la solution à leurs problèmes.

PARADOXE ? Au moment où le Congo tout entier s'embarque dans la politique de la réalisation des Grands travaux du Chef de l'Etat et de ses cinq chantiers prioritaires, Madame la Ministre, vous voulez vous lancer à corps perdu dans une politique de démembrement et de privatisation tous azimuts des entreprises publiques. Pourtant, certaines entreprises, compte tenu de leur importance stratégique sur la vie nationale, ne doivent pas, à mon avis, être privatisées. Je pense notamment à la RVA, la SNEL, la REGIDESO, l'ONATRA et la SNCC.

Après 10 années de guerre civile qui ont ravagé notre pays, c'est bien une politique interventionniste de type keynésien qui est nécessaire. C'est l'Etat qui devrait être renforcé plutôt que de livrer nos derniers bijoux de famille à des " entreprises privées étrangères " qui auront parfois du mal à prouver l'origine honnête de l'argent investi.

Nos grandes entreprises sont en effet dans un état de délabrement avancé, mais est-ce le bon moment pour s'en défaire ? Ne serait-il pas plus opportun de commencer par les redresser, de les requinquer, avant d'envisager une coopération plus étroite avec le secteur privé ?

L'urgence est de contribuer à l'émergence de capitaines d'industrie congolais dont notre pays a besoin. Je le redis ici, il est urgent de travailler à la réconciliation nationale et à insuffler un peu plus de patriotisme à nos cadres, à nos dirigeants et au peuple tout entier. Il existe dans notre pays des cadres et des agents administratifs qui souhaitent travailler dans le sens du redressement du Congo et renoncer aux anciennes méthodes détestables qui ont conduit le pays au bord du gouffre.

Je ne conteste pas la nécessité pour le Congo de développer le secteur privé. Je ne conteste pas plus l'idée d'une collaboration plus étroite entre le secteur public et le secteur privé. Oui, le Congo, pour se redresser, a besoin aussi de l'aide internationale et des capitaux étrangers. Mais aujourd'hui, c'est la souveraineté du Congo qui est en jeu.


Madame la Ministre du Portefeuille,

L'Assemblée Nationale vous a réclamé la liste des entreprises que vous souhaitez privatiser et les raisons qui pourraient le justifier, car toutes les entreprises ne doivent pas être privatisées. Madame, je vous demande d'aller plus progressivement dans votre réforme et de prendre en considération tous les autres éléments qui pourraient contribuer à redresser ces entreprises en difficulté.

Je le répète, donnons une chance à notre pays de se construire avec ses filles et ses fils. Notre système éducatif est entièrement à reconstruire. Notre système bancaire est quasiment inexistant. Les tracasseries administratives et les rackets en tout genre empêchent - et vous le savez - le développement d'un secteur privé digne de ce nom.

Enfin, dans l'objectif d'augmenter les recettes du Trésor Public que vous avez défendu devant notre assemblée, je vous suggère de rouvrir le dossier du secteur minier, à commencer par le rapport Lutundula et celui de la Commission des Experts de l'ONU.

Il n'y aura pas de redressement du Congo tant que les recettes minières atterriront quasi intégralement dans les poches de ceux qui ont été cités dans ses rapports et sur des comptes bancaires dans les paradis fiscaux.


Enfin, Madame la Ministre du Portefeuille, je vous mets en garde sur la néo-colonisation qui nous guette avec la nouvelle forme d'esclavage moderne qui va avec. Alors, pourquoi le Conseil Supérieur du Portefeuille, notre dernier rempart contre les risques d'une politique inadaptée, ne s'est-il pas encore exprimé sur votre projet de réformes ?

Notre souhait patriotique consiste à voir l'Etat s'engager dans un serment citoyen afin d'assurer, conduire et accompagner l'émergence d'une nouvelle classe des capitaines d'industries, capables de rivaliser et d'affronter la déferlante commerciale des Dragons d'Asie et d'ailleurs. Parmi ceux-ci, sans que cette liste soit exhaustive, citons en autres :

PASCAL KINDUELO, ALEXIS BUNGUDI KAYAMBA, MOISE KATUMBI, NGOYI KASANDJI, JEAN LEDYA, RAPHAEL KATEBE KATOTO, DIDI KINUANI, RAYMOND MOKENI EKOPI KANE, JOSE ENDUNDO BONONGE, GEZAYO, PIERRE PAY PAY, BONAVENTURE NZOLATIMA, DEO KASONGO, ALBERT YUMA, YAV MULAND, BOZANO, JEAN BAMANISA, Dr BAVI, GEORGES ET RAYMOND DOMBASI, FELICIEN SAMUNA , JEAN BAMANISA, JEAN FRANCOIS DAVID, etc.

Et parmi les anciens capitaines d'industries de l'ex-Zaïre, les pionniers bâtisseurs de l'économie nationale, source des Trente Glorieuses à la congolaise, disparus ou affaiblis, rendons hommage à :

BEMBA, BADJOKO, DOMBASI, DIOMI, KISOMBE, KIWEWA, MATANDA, SETI, MICHA MULONGO, VUEMBA VUETHOMS MASSAMBA ROBERT NEW MAN, BARON MANOKA, EDMOND NZEZA LANDU, PAPA MOYO WABO, ALBERT DELVAUX MAFUTA KIZOLA, DAMIEN KANDOLO, MASAMUNA FUNA, IGNACE MOLEKA PAPA BITAFU, LENGELO, LENGEMA, MVUNZA TOKO, RUAKABUBA, TAKIZALA, NENDAKA VICTOR, LE BANQUIER DOKOLO L, LITHO MOBOTI, LUNGWANA, LONGOLA MAYI, ADRIEN NZOLATIMA et MUKAMBA JONAS.

Kinshasa, le 21/10/2007

Jean Claude Vuemba Luzamba
Députe National