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Présidentielle française 2007 :
Quelles conséquences pour l'Afrique noire francophone ?

Par Kovalin Tchibinda
kovalin.oldiblog.com, 18 février 2007


Si généralement les élections en Afrique francophone ne passionnent aucun français, en revanche les élections françaises intéressent au plus haut point les pays africains francophones, du subalterne aux élites dirigeantes. Dans ces pays, chacun suppute sur le prochain président français en s'imaginant qu'il va bouleverser les relations entre la France et ses anciennes colonies. Les partis d'oppositions africains espèrent que le nouveau locataire de l'Élysée sera moins complaisant avec les dictateurs (...) tandis que les membres des castes au pouvoir souhaitent perpétuer des relations qui leur permettent de piller allègrement leur pays.

Il est vrai que l'élection présidentielle française de cette année a un enjeu particulier. Elle consacre l'avènement au porte du pouvoir d'une nouvelle génération d'hommes et de femme politiques incarnée par Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy et François Bayrou.

Dans un discours prononcé à Frangy en Bresse le 23/08/2006, Ségolène Royal déclarait : "L'utopie réalisable du XXIe siècle, c'est que les pays pauvres, notamment l'Afrique, sortent de la misère grâce au co-développement. C'est là que se situe la vraie réponse au problème des migrations... Non seulement l'aide que nous apportons aux pays pauvres est parmi les plus faibles mais elle va à des pays peu démocratiques et la France est qualifiée de particulièrement performante pour la vente d'armes aux dictatures...nous devrons le changer si nous voulons être crédibles."

Nicolas Sarkozy devant le parlement béninois le 19 mai 2006 a affiché sa volonté de remodeler les relations entre la France et l'Afrique en tenant des propos révolutionnaires à contre-pied de l'ancienne classe politique française (de De Gaulle à Chirac.) Il affirme : "Seule la démocratie peut répondre aux aspirations des citoyens. Seule la démocratie peut permettre à un pays de se sortir d'une crise interne, aussi grave et longue soit-elle. Quoi qu'on ait pu penser pendant si longtemps, la dictature, ce n'est pas la stabilité. Seule la démocratie peut créer les conditions de la stabilité en profondeur... Je crois indispensable de faire évoluer, au-delà des mots, notre relation. L'immense majorité des Africains n'ont pas connu la période coloniale. 50% des Africains ont moins de 17 ans. Comment peut-on imaginer continuer avec les mêmes réflexes ?"

Dans la même appétence, François Bayrou affirme : "L'Afrique devrait être notre tourment. Tant que vous aurez les vingt pays les plus pauvres de la planète maintenue dans leur dénuement, à quelques centaines de kilomètres des dix pays les plus riches de la planète, vous aurez des vagues migratoires. Il n'y a qu'une politique juste et efficace de lutte contre l'immigration que nous devrions imposer à la communauté internationale et à l'Europe : C'est de garantir aux Africains qu'ils peuvent vivre convenablement en Afrique, de leur travail, comme des hommes debout."

L'épineuse question de l'immigration met au centre de la campagne présidentielle les relations de la France avec ses anciennes colonies. Beaucoup de jeunes qui se sont révoltés dans les cités françaises en 2005 avaient pour origine l'Afrique noire francophone. D'où l'intérêt pour les principaux candidats à l'élection présidentielle de proposer un nouveau partenariat avec l'Afrique.

Au-delà du baume au cœur que ces discours peuvent procurer à une partie de l'élite africaine rêvant de démocratie, il est nécessaire de s'interroger sur leur fiabilité. Déjà en 1981, François Mitterrand préconisait une métamorphose des relations entre la France et ses anciennes colonies ; De nombreux intellectuels africains de l'époque pensaient qu'il achèverait le processus d'émancipation des peuples africains mal amorcé par De Gaulle et Foccart. Malheureusement il fut sur les questions africaines 'un politicien virtuose de la routine'.

Peux t-on penser que l'heure du chambardement est arrivée dans les relations Franco-Africaine, avec l'émergence de nouveaux acteurs politiques en France ?

La réponse à cette question est négative. Et voici pourquoi :

1- L'érosion du pouvoir politique en France au profit des multinationales.

En réalité aucun des candidats à l'élection présidentielle ne pourra réformer les liens entre la France et l'Afrique s'il accède au pouvoir. De nos jours le 'Politique' a abandonné son pouvoir à 'l'Economique'. On assiste à une privatisation de la politique française en Afrique.

Ce sont les multinationales françaises qui gèrent l'Afrique francophone. Elles sont devenues des acteurs de premier plan dans les relations entre la France et ses anciennes colonies. Elles ont toutes été privatisées rendant le rôle de l'état quasi nul dans la politique de ces organisations.

Par conséquent, Les multinationales françaises ont les moyens de déstabiliser n'importe quel régime africain (démocratique ou dictatorial) sans que le Quai d'Orsay n'est rien à redire.

De ce fait, la politique africaine de la France, est d'abord la politique des multinationales françaises installées en Afrique. Ces dernières sont sans scrupule et ont les moyens financiers d'imposer à l'Afrique des dirigeants psychopathes travaillant pour leurs intérêts. En conséquence, les autorités françaises ne peuvent aller à l'encontre des intérêts de leurs multinationales. La place économique de la France dans le monde en dépend.

Il est aujourd'hui indéniable que la relation Franco-Africaine tissée après le "don des indépendances de 1960" est immorale et est à l'origine de la misère dans les pays d'Afrique francophone. Les candidats à la présidentielle souhaitent moraliser ces relations en passant de l'uni -développement en faveur de la France à un co-développement pour réduire la misère dans les pays africains. Or le capitalisme est un système économique qui ne prône pas le 'partage'. Ce qui compte pour les capitalistes c'est le profit. Si les multinationales françaises peuvent faire le maximum de bénéfice avec la complicité des dirigeants africains qu'elles ont aidé à placer et à maintenir au pouvoir, pourquoi se gêneraient-elles ? Au nom de quelle morale et de quel principe les capitalistes français feraient du co-développement surtout si ses principaux concurrents en sont dispensés?

Compte tenu des effets néfastes de la 'Françafrique', Il serait moral de modifier les relations entre la France et l'Afrique pour permettre aux africains d'entamer leur développement. Mais ce n'est pas la morale qui détermine les intérêts ou qui régit l'économie : C'est le 'Marché'.

Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy et François Bayrou font de 'L'angélisme moral' en transformant les relations France-Afrique en problèmes moraux, ce qui est la meilleure façon de ne jamais les résoudre. Si on compte sur le co-développement pour résoudre la misère en Afrique, on se raconte des histoires : on fait preuve d'angélisme puisque la misère en Afrique est d'abord la conséquence des liens spéciaux existants entre l'Elysée, les multinationales et les dictateurs ; Ces liens spéciaux favorisant la corruption et les dictatures en Afrique

Compte tenu de la faible marge de manœuvre dont dispose le 'politique' dans ce monde 'Mondialitaire' tenu par les multinationales, on peut affirmer sans l'ombre d'un doute qu'aucun des candidats à l'élection présidentielle française ne pourrait révolutionner les relations entre la France et ses anciennes colonies. Les intérêts économiques des multinationales françaises l'emporteront sur les discours angéliques des politiques à l'égard de l'Afrique.

2- La place de la France dans le monde.

« Les nègres sont condamnés au destin d'éternels supplétifs de la grandeur française. Postulat bien entendu inacceptable » (Mongo Beti)

La France est une puissance moyenne, membre du conseil de sécurité des nations unies qui a besoin des pays africains pour garder son rang dans le monde. En effet, les états africains francophones votent toujours dans le même sens que la France dans les instances internationales.

Si bien que, pour conserver son influence planétaire, la France impose à ses anciennes colonies de la soutenir sur le plan international et de promouvoir la Francophonie ; Cette Francophonie devenant un moyen pour les Africains de défendre leur héritage colonial. En contrepartie de ce soutien indéfectible, la France maintien au pouvoir les dirigeants africains collaborationnistes.

L'influence de la France à travers la coopération Franco-Africaine empêche le développement de l'Afrique francophone, car elle maintien expressément le statu quo pour les intérêts de ceux qui en tirent profit (les dictateurs africains, les multinationales françaises et l'état français.) Une réforme de la politique africaine de la France pourrait lui faire perdre son influence au niveau mondial. C'est pourquoi aucun candidat élu à la présidence en France ne pourrait prendre ce risque. L'influence française dans le monde est un des aspects de la continuité de l'état. C'est une obsession stratégique de l'hexagone.

Mongo Beti dans son ouvrage: La France contre l'Afrique : Retour au Cameroun affirme : "La France ne peut pas se passer de l'Afrique. Celle ci est le relais indispensable à son prestige. Elle est nécessaire au maintien des positions françaises dans les grandes instances internationales, elle est enfin la survivance de tout un passé français. Voilà ce qui a fait le malheur de l'Afrique, c'est la racine même de la stagnation. C'est cette paranoïa qui a ligoté et paralysé le continent noir."

La France n'a donc aucun intérêt et aucune raison de modifier une politique qui lui permet de fertiliser son influence au niveau planétaire quand bien même le maintien de son prestige a un coût cannibale en termes de sacrifices humains.

Il est quasiment sûre qu'en cas de modification de la politique africaine actuelle de la France, les régimes africains issus de ces changements seraient moins accommodants avec l'ancienne puissance coloniale qui aura contribué durant près d'un demi-siècle à maintenir des dictateurs corrompus au pouvoir, donc à augmenter la misère des populations locales.

Les candidats à l'élection présidentielle française font donc de l'incantation pour se donner bonne conscience. Une fois au pouvoir, la raison d'Etat, les intérêts supérieur de la France auront la primauté sur la résolution de la pauvreté en Afrique. Ainsi, la rationalité économique, la place de la France dans le monde implique le maintien de lien privilégié avec les dictateurs africains qui sont les seuls gages de la longévité de l'influence française au niveau mondial.

3- Le Franc CFA : la monnaie qui tue l'Afrique Francophone.

« Aujourd'hui, on est colonisé et on ment au peuple qu'on est libre » (Léopold Sédar Senghor. Jeune Afrique du 07 janvier 1977)

Il ne pourrait y avoir de modification de la politique africaine de la France sans l'abandon par le pays des droits de l'homme d'une monnaie qu'elle continue à gérer au détriment des économies des pays d'Afrique francophone : Le Franc CFA : Le Franc de la communauté financière africaine. Sans revenir sur les principaux instruments de l'asservissement de l'Afrique par l'occident au fil des siècles, il faut retenir qu'un seul instrument de cette soumission n'a pas changé de nom : La monnaie. Le Franc CFA est en fait un instrument de la permanence de la colonisation française en Afrique.

En effet, d'après les accords monétaires entre la France et ses anciennes colonies, tous les avoirs extérieurs des pays africains de la zone Francs doivent être déposés à hauteur de 65% dans un compte d'opération du Trésor Public français et rémunérés à un taux dérisoire. (2) Les avantages pour la France sont nombreux. On peut citer le contrôle économique des pays africains francophones par les réserves de changes, la position privilégiée pour les entreprises françaises pour tout investissement étranger par le contrôle et les garanties des transferts, la conservation des débouchés commerciaux, la conservation des sources d'approvisionnements...

L'une des causes de la pauvreté en Afrique francophone, au-delà de la mauvaise gestion des régimes dictatoriaux installés et soutenus par la France, est à rechercher dans l'absence de souveraineté monétaire de ces pays. Quand on sait l'importance de la monnaie dans le cycle économique, aucun pays ne peut laisser à une institution sur laquelle il n'a aucun contrôle la responsabilité de gérer sa monnaie. Pourtant l'Afrique noire francophone a abandonné sa politique monétaire à la France.

Joseph Tchundjang Pouemi affirme dans son célèbre ouvrage Monnaie servitude et Liberté : "Mettre la monnaie au service de l'économie. Ce n'est possible que si la banque centrale est soumise à la tutelle du politique via le ministère chargé du trésor. Cette 'subordination fondamentale' conditionne la maîtrise de la conduite de la politique économique de tous les gouvernements".

Or le Franc CFA est soumis à la tutelle politique du Trésor public français et non des états africains. Dans ces conditions la politique monétaire du Trésor public français a tendance à favoriser les activités des multinationales françaises et est incompatible avec le souci des africains d'améliorer leur revenu. De ce fait, le Franc CFA n'est pas au service des économies africaines et l'on comprend mieux pourquoi cinquante ans après les pseudos indépendances de 1960, les pays africains francophones, pourtant riches en matières premières stratégiques n'ont pas engagé le processus de leur industrialisation.

Le malheur des élites africaines, c'est qu'ils ne savent pas faire le lien entre la monnaie et le développement.

Les pays africains francophones en déposant 65% de leurs réserves de change à l'étranger se prive d'une capacité de financement nationale. C'est une perte sur le plan macro économique.

Seuls les nations qui ont su résoudre l'équation qui lie l'économie au circuit monétaire prospèrent en Afrique. C'est le cas de l'île Maurice, de l'Afrique du sud, du Rwanda et de certains pays du Maghreb. Le cas des pays asiatiques nous le confirme. C'est par la souveraineté monétaire, l'accumulation du capital que ces pays se sont développés.

Mettre en place une nouvelle politique africaine de la France, c'est aussi permettre à l'Afrique de prendre en main son destin monétaire en renonçant à gérer le Franc CFA. Or la France a trop d'intérêts en Afrique pour se permettre d'abandonner une monnaie qui lui procure de nombreux avantages, particulièrement en cette période où d'autres puissances (Usa, Japon, Chine, Brésil) s'intéressent de plus en plus aux matières premières africaines?

4- Conclusion.

Ne rêvons donc pas ! Le prochain président français en mai 2007 n'aura aucun intérêt à faire évoluer les relations de la France avec ses anciennes colonies. Les intérêts de la France à travers ses multinationales installées en Afrique, son rang dans l'échiquier mondial rendent pratiquement impossible une révolution dans le domaine des relations France-Afrique.

Cependant, ces relations ne pourront changer que si les Africains eux-mêmes décident de s'extirper de la supercherie de 1960 qui a vu le général Charles de Gaulle offrir l'indépendance à l'Afrique pour éviter une véritable décolonisation. En effet comme l'affirme Alain Bindjouli Bindjouli dans son ouvrage L'Afrique noire face aux pièges de la mondialisation "il ne peut y avoir de décolonisation que si le processus colonial est interrompu." Or ce que la France a offert à ses anciennes colonies en 1960, c'est l'indépendance, dépourvu de décolonisation : L'indépendance c'est le pouvoir de se gérer, cela ne signifie pas que l'on peut faire bon usage de ce pouvoir. Les leaders africains en 1960 ont choisi en toute liberté de rester sous le joug colonial. La décolonisation, elle, porte sur l'être. Elle est la création d'hommes nouveaux qui se sont débarrassés des tares et séquelles de la période coloniale. C'est une véritable désaliénation. Cette désaliénation ne s'étant pas produite en Afrique francophone, la décolonisation n'a pas eu lieu.

L'Afrique francophone doit couper toute seule le cordon ombilical qui la lie à la France pour établir avec elle des relations 'assainies, décomplexées, et équilibrées''

Elle doit prendre son indépendance véritable en se décolonisant. Elle ne doit rien attendre de Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy ou de François Bayrou. Son avenir passe par la décolonisation intégrale qui doit s'appuyer sur la culture et la civilisation africaine, la démocratie, la souveraineté monétaire, la bonne gouvernance et le rejet des solutions criminogènes venues du FMI : Le Fond de misère instantané et de la Banque mondiale.

L'avenir des relations entre la France et ses anciennes colonies dépend de la désaliénation des élites africaines et non des candidats à l'élection présidentielle française dont les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent.

Kovalin Tchibinda
Blog : http://kovalin.oldiblog.com

Notes :
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Bibliographie :
Mongo Beti: la France contre l'Afrique
Alain Bindjouli Bindjouli : L'Afrique noire face aux pièges de la mondialisation
Andre Compte-Sponville : le capitalisme est-il moral ?
Joseph Tchundjang Pouemi : Monnaie Servitude et Liberté : La répresssion monétaire de l'Afrique
François Kéou Tiani : Le franc CFA, la zone franc et l'Euro
Joseph Ki-Zerbo : A quand l'Afrique ? Entretien avec René Holenstein

(1) L'ancien président de la Côte d'Ivoire Félix Houphouët-Boigny inventa l'expression France-Afrique en 1955 pour définir les bonnes relations qu'il voulait établir avec la France. L'expression dérivée « Françafrique » a ensuite été forgée par François-Xavier Verschave.

(2) Dans le cas du Congo-Brazzaville les réserves déposées au Trésor public français représente pour 2006 400 milliards de FCFA soit 4 milliards de Franc français(610 millions d'euros)