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Wolfowitz à la Banque Mondiale

16 mars 2005

Mémo A: Fans, Surfeurs, Clients
De: Jude Wanniski
Re: Le Candidat Parfait

Si vous ne savez vraiment pas ce qu'est la "Banque Mondiale", vous pourriez penser que le Président Bush plaisantait en nommant Paul Wolfowitz à sa tête, en remplacement de Jim Wolfensohn. Un des architectes de la guerre d'Irak, Wolfowitz est un théoricien politique. Cet homme de 61 ans a passé la plus grande partie de son existence aux tableaux noirs et autres pupitres à enseigner à des étudiants la politique internationale. Il sait peut-être comment faire marcher un distributeur automatique de billets lorsqu'il a besoin de cash, mais il ne connaît absolument rien aux affaires bancaires. Wolfensohn, qui était banquier d'affaires avant que le Président Clinton ne le nomme à ce poste il y a dix ans, s'y connaissait un peu en matière de banque. Son associé de New York, vers lequel je pense qu'il va retourner, est Paul Volcker, l'ancien président de la Réserve Fédérale, la banque centrale [américaine]. " Wolfie le Guerrier ", par contre, est l'acolyte de toute une vie, voire le protégé, de Richard Perle, probablement l'intellectuel le plus important au service du complexe militaro-industriel. Si vous voulez savoir comment le Professeur Wolfowitz a obtenu ce boulot, suivez le cheminement de l'argent.

Voilà ce qu'est la Banque Mondiale. Elle a été créée en complément de l'ONU à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, en même temps que le Fonds Monétaire International. Sur le papier, sa fonction est de prêter de l'argent aux pays émergeants pour les aider à croître. En fait, sa véritable mission est de servir les intérêts des banques des principaux centres financiers et des multinationales qui gagnent des fortunes avec les projets de développement de la Banque Mondiale. Cette dernière, qui est en fait un " fonds ", persuade, par exemple, un pays pauvre comme le Ghana de construire un nouveau complexe industriel afin de fabriquer des marchandises destinées à l'exportation. Elle prêtera de l'argent au Ghana - argent qui provient des contribuables à travers le monde, y compris vous et moi - et elle s'arrange pour que le complexe en question soit construit par une des entreprises privilégiées du complexe militaro-industriel. Dans cette liste on retrouve systématiquement Bechtel Corporation, Halliburton et Kellogg Brown & Root, une filiale d'Halliburton. Ces entreprises entrent dans la danse et construisent les projets car les gens du pays n'ont aucune expertise.

Dans mon mémo du 23 janvier, " Les Confessions d'un Tueur à Gage Economique ", j'ai me suis référé à l'ouvrage récent de John Perkins, qui explique plus ou moins en détail les mécaniques de cette gigantesque machine à fric. Elle ne s'attache pas seulement à promouvoir des complexes industriels inutiles au Ghana, qui sombrent dans la faillite lorsqu'ils ne s'avèrent pas rentables. L'objectif du complexe militaro-industriel n'est pas seulement " industriel ", il est aussi militaire. Le nom qui est associé au plus près à Halliburton est naturellement celui du Vice-Président Cheney, qui fut ministre de la Défense lors de la première guerre du Golfe, alors que Paul Wolfowitz était déjà à ses côtés (précipitant une guerre en règle contre l'Irak même après que Saddam eut brandi le drapeau blanc et eut battu en retraite vers Bagdad avant que la guerre n'éclate !!). Les rats !

Le nom le plus associé à Bechtel est George P. Shultz. Autrefois son chef, il est maintenant simple directeur. Shultz fut le ministre des finances de Richard Nixon (il l'a aidé à faire flotter le dollar), le Secrétaire d'Etat [ministre des Affaires Etrangères] de Ronald Reagan, et aujourd'hui membre du " Defense Policy Board ", le Conseil Politique de la Défense, qui était présidé jusqu'à l'année dernière par Richard Perle.

Shultz a aussi présenté George W. Bush, lorsqu'il était gouverneur du Texas, à Condoleezza Rice, qui en retour présenta Paul Wolfowitz au Gouverneur Bush en 1999. Shultz, bien entendu, savait à l'époque que " Wolfie " et Perle et leur cabale de néocons. étaient en train de planifier la guerre contre l'Irak, et nous savons que les petites guerres sympathiques, " faisables " (selon les propres mots de Wolfowitz), sont du caviar pour le complexe militaro-industriel. Plutôt que de gratter des piécettes aux contribuables afin de persuader le Ghana de construire une aciérie dont il n'a pas besoin et qu'il ne sait pas faire marcher, même les petites guerres génèrent des milliards. Et tout le monde prend part à la fête : les fabricants d'armes qui produisent des avions, des chars, des fusils, des jeeps et des " humvees " [blindés américains transporteurs de troupes] détruisent d'abord un pays (comme l'Irak) et puis Bechtel et Halliburton arrivent juste après pour le reconstruire. En annonçant aujourd'hui la nomination de Wolfowitz, le Président Bush a dit que la Banque Mondiale est un gros organisme et que Wolfowitz à l'expérience pour diriger une grosse organisation, le Pentagone !! En ce qui concerne le complexe militaro-industriel, Wolfowitz a fait un travail FANTASTIQUE. Il n'était censé que planifier une guerre à 30 milliards de dollars et il a tellement merdé que c'est maintenant devenu une guerre à 200 milliards de dollars, et le compteur continue de tourner. Quiconque est capable de merder à ce point mérite une promotion, à la Banque Mondiale.

Alors, vous comprenez que ce n'est pas vraiment important que Wolfowitz ne connaîsse pas la moindre chose aux affaires bancaires ou à l'économie des projets de développement. Il sera assis derrière le plus grand bureau de la Banque et prendra les appels des Grosses Banques [privées] et des Multinationales, qui lui diront ce qu'il doit faire, et qui lui procureront des experts comme John Perkins, qui a fait le vrai sale boulot en tant que tueur à gage économique, et qui rédige actuellement sa confession. Lorsque la Maison Blanche aura besoin d'une grosse faveur pour un de ses grands assassins, elle aura juste besoin de passer un coup de fil à Wolfie, qui appuiera sur le bon bouton. C'est exactement comme cela que ça s'est passé avec Jim Wolfensohn ces dix dernières années, et si vous ne me croyez pas, ouvrez les yeux et vous remarquerez combien de pays pauvres sont devenus encore plus pauvres durant son règne, et combien de milliards ont été encaissés par Bechtel et Halliburton.

Différents diplomates de par le monde émettront bien sûr des reproches à propos de l'incompétence évidente de Wolfowitz, de la même manière qu'ils furent abasourdis par l'inaptitude de Condi Rice pour le poste de Secrétaire d'Etat ou celle de John Bolton en tant qu'ambassadeur à l'ONU. Mais c'est l'argent qui parle partout où les directeurs de la Banque Mondiale vivent, et ils [les diplomates] seront bien avisés de la fermer sur les machines à sous militaro-industrielles locales. Les potes de Richard Perle, au Weekly Standard et à Fox News, seront là pour spéculer que Condi sera Présidente et que Wolfie sera son Vice-Président (et c'est ainsi qu'il se trouve que nous avons été témoin de pourparlers selon lesquels Condi se présenterait à la présidence en 2008). Nous ne pouvons pas non plus compter sur quelque plainte que ce soit de la part du Congrès, parce que d'une manière ou d'une autre il y a trop d'argent en jeu, et trop de gros bonnets visent des postes de lobbying de grande envergure lorsqu'il sera temps pour eux de laisser leur fauteuil de sénateur.

Si cela semble un peu sévère, comme si j'écrivais sur quelque chose de neuf au pied des rochers où se trouve perché l'oncle Sam, je vous suggère de lire le livre que j'ai écrit en 1978, " The Way The World Works " [Comment fonctionne le monde], qui décrit comment l'empire britannique à agit exactement de cette façon. Mon meilleur exemple a été celui des premiers groupes multinationaux, les constructeurs britanniques de voies ferrées. Lorsqu'ils manquèrent d'espace pour construire des voies ferrées au Royaume-Uni, ils persuadèrent le Parlement de faire la promotion des voies ferrées dans les colonies, et ils obtinrent un grand succès en persuadant le Raj [le gouvernement du royaume britannique aux indes], au milieu du 19ème siècle, de sillonner l'Inde de long en large avec des voies ferrées. En Angleterre, où les entreprises pouvaient seulement construire là où il y avait des indices clairs que les lignes seraient rentables, c'était une autre histoire car elles risquaient leur propre argent. En Inde, les autorités locales empruntèrent auprès de la Banque d'Angleterre et contractèrent auprès des constructeurs [britanniques] pour construire des voies ferrées qui ne pouvaient pas être rentables. L'Inde croula sous le poids des dettes causées par ce programme jusque loin dans le 20 ème siècle.

Même après avoir obtenu son indépendance en 1948, les économistes britanniques et américains persuadèrent l'Inde de maintenir des taux d'imposition élevés et de dévaluer la roupie, afin qu'elle restât pauvre et incapable de concurrencer les gros bonnets. Pour qui les économistes britanniques et américains travaillaient-ils donc ? Pourquoi la Banque Mondiale, bien sûr, mais aussi le FMI, dont la mission est d'intervenir dans les pays pauvres lorsqu'ils ne peuvent pas honorer leurs dettes, leur prêtait-elle l'argent nécessaire aux remboursements - à la condition qu'ils acceptent d'augmenter une nouvelle fois les impôts, de dévaluer leur monnaie, et de construire de nouveaux complexes industriels qui sont construits par Bechtel et Halliburton ?

Ainsi, vous voyez pourquoi cela est parfaitement bien vu d'avoir placé Wolfowitz à la tête de la Banque Mondiale : il excelle à faire les guerres, et les guerres sont bien plus rentables que les projets industriels à balle trois. C'est ainsi que fonctionne le monde. Depuis toujours.

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Traduit de l'américain par Jean-François Goulon
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