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Mémo de Moscou

28 Nov 2004

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De: Jude Wanniski
Re: La Division Ukrainienne

Que se passe-t-il en Ukraine ? Lors de l'élection présidentielle qui a eu lieu la semaine dernière, le candidat de la région Est, la plus proche de la Russie, a gagné dans un mouchoir de poche sur le candidat de la région Ouest, lorgnant vers l'Europe Occidentale. Celui qui a perdu crie à la fraude et les occidentaux — le gouvernement Bush et les pays de l'OTAN — annoncent aussitôt qu'ils sont d'accord avec lui. J'ai vu les néoconservateurs mettre en avant, encore et encore, des idées en sachant qu'elles causeraient l'éclatement des anciennes Union Soviétique et Fédération Yougoslave. Il y a une dizaine d'années, ils ont vendu à Moscou, puis à Belgrade, l'idée d'une "thérapie de choc" pour passer d'une économie dirigiste à une économie de marché. Ils savaient parfaitement que cela causerait de graves problèmes économiques pour l'URSS et la Yougoslavie. C'est comme une partie d'échecs en quelque sorte. Et je me suis battu contre mes anciens alliés de l'époque de la Guerre Froide, connaissant la quantité de douleur et de souffrance qu'une "thérapie de choc" apporterait aux masses populaires, ainsi que la fragmentation politique qui accroîtrait les tensions.

J'ai fait plusieurs voyages à Moscou pour mettre en garde le gouvernement russe de résister à cette thérapie de choc, mais je me suis fait submergé par les néoconservateurs et leur influence qu'ils avaient au sein de la première administration Bush.

Je n'ai donc pas réussi à les convaincre, et à l'époque je soutenais que ce serait une grande perte de temps que de fragmenter volontairement l'empire communiste défait. Selon moi, après que Moscou eut compris pourquoi et comment les économies croissent, ses liens naturels, économiques et culturels avec les provinces éclatées inviteraient à la réunification. C'est ce qui passe en Ukraine. Mais dans son cas, la région Est rattrape son retard en matière d'intégration tandis que l'Occident entraîne l'Ouest de l'Ukraine vers la sécession. En verité, il s'agit d'une réminiscence de la Guerre Froide, comparable au jeu d'influence et de pression qui se passe dans la péninsule coréenne et au Moyen Orient.

Vendredi dernier, j'ai envoyé un e-mail à Georgiy Markosov, un ami russe de plus de 20 ans que j'avais rencontré lorsqu'il travaillait comme chef-conseiller politique et économique à l'ambassade de L'URSS à Washington. Nous sommes restés en contact toutes ces années et il a été une source fiable d'informations sur ce qui se passe dans cette partie du monde. Après avoir été ministre-adjoint des transports sous Poutine, il est maintenant dans le secteur privé moscovite, consultant auprès de la communauté d'affaires occidentale. Je vous livre sa réponse à propos de la situation en Ukraine. Avec son accord, voici son "Mémo de Moscou" :

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Jude, tu as raison. Les résultats de l'élection en Ukraine ne plaisent pas à l'UE et à Washington. Ils sont mécontents et ils interviennent activement pour soutenir un candidat contre l'autre, lui-même soutenu par le Président Poutine. L'Ukraine est le plus grand pays d'Europe. Tout jeu politique au milieu de l'Europe peut créer une situation que ni Washington ni l'UE ne pourraient maîtriser. La partie Est de l'Ukraine compte 50% de la population et produit 75% du PIB. Elle est complètement intégrée dans l'économie russe. En votant pour Yanukovich, ils ont assuré la majorité nécessaire pour la victoire. Si l'Ouest volait cette victoire électorale, les régions Est de l'Ukraine pourraient se séparer du reste du pays et rejoindre la Fédération Russe.

Ni la Russie ni l'Occident ne sont prêts à cela. Ils n'ont pas, non plus, de plan sérieux pour l'Ukraine qui serait de facto divisée. C'est au peuple d'Ukraine de faire lui-même le meilleur choix, puis de l'accepter, tandis que le reste du monde devra vivre avec. Toutefois, cette simple vérité n'est pas acceptée par l'Occident. On croirait que l'Irak ne suffit pas et que l'OTAN a besoin d'un autre champ de bataille. A ce stade, les conséquences sont difficiles à prédire. Cependant, rien de bon n'arrivera, et la Russie et l'Occident auront bientôt de quoi tester la maturité de leurs relations et devront prouver à leurs peuples respectifs qu'ils peuvent vivre en paix dans le monde de l'après guerre froide.

Le parlement ukrainien a pris aujourd'hui une décision qui n'engage pas et qui n'est rien d'autre qu'une recommandation au président. Le sort de l'élection sera décidé lundi par la Cour Suprême. La position du Président Poutine est officiellement neutre et la Russie acceptera la décision de la Cour Suprême ukrainienne. Le score actuel est de 49,7% pour Yanukovich et 46,6% pour Yuschenko. Yuschenko a obtenu presque 90% des suffrages dans la région occidentale et plus de 50% dans la région centrale. Yanukovich quant à lui a recueilli 80% dans les régions Est et Sud, qui comptent plus d'habitants. Si les élections ont lieu dans deux semaines, Yanukovich gagnera une nouvelle fois. Mais jusqu'à présent il n'y a pas de base légale pour de nouvelles élections. Mon sentiment est que les chances pour Yuschenko de devenir président dans un futur proche sont proches de zéro. Si toutefois, par miracle, il volait l'élection avec l'aide de l'Occident, la division actuelle du pays pourra être formalisée par référendum dans les parties Est et Sud de l'Ukraine.

Aujourd'hui, ces deux parties du pays ont cessé d'envoyer l'argent des impôts à Kiev, jusqu'à ce que l'actuel Président (Léonide Kuchma) rétablisse l'ordre constitutionnel. L'Est et le Sud de l'Ukraine sont fatigués et en ont marre de subventionner les régions occidentales du pays en contribuant pour plus de 70% du revenu budgétaire. Tous les ports maritimes, les mines, les aciéries, les usines de machines-outils, les industries aériennes et spatiales sont dans l'Est et le Sud. Pendant toute la journée d'aujourd'hui, des gens de ces régions (russophones à 90%) se sont ralliés en faveur de l'autonomie et même pour rejoindre la Russie. Ce scénario est complètement spontané et n'est pas bien accueilli par le Président Poutine. Mais les choses peuvent vraiment devenir incontrôlables.

Je n'ai pas de sympathie particulière pour M. Yanukovich, ni pour M. Yuschenko. L'Ukraine mérite vraiment de meilleurs candidats. Toutefois, quel que soit le choix que les Ukrainiens feront dans les jours qui viennent, le processus constitutionnel devra être respecté. Aucune puissance étrangère ne peut prendre part dans cette élection sans en payer un prix au-dessus de ses moyens. Le monde civilisé peut-il se permettre une nouvelle Guerre Froide ? Cela ravirait à coup sûr tous les terroristes du monde.

Georgiy

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Traduit de l'américain par Jean-François Goulon
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