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Qui est John Negroponte, au Juste ?



Le 27 avril 2004

Mémo à : Sénateur Joe Biden, Commission des Affaires Etrangères
De : Jude Wanniski
Re: John Negroponte = Ahmed Chalabi

Bien entendu, la nomination par le Président de John Negroponte comme ambassadeur à Bagdad gagnera facilement l’approbation à travers le processus qui a été engagé aujourd’hui. Cela aurait dû normalement prendre des semaines pour obtenir l’entérinement du Sénat, étant donné la dimension de la fonction dans une situation aussi délicate, mais les obstacles ont été effacés pour Negroponte, l’actuel ambassadeur [américain] aux Nations-Unies, sur la base qu’il n’y a pas de temps à perdre. Vous savez sûrement que la véritable raison de ce court-circuit est de refuser aux divers opposants à sa nomination la chance de développer leurs arguments, puisque cela pourrait rapidement montrer qu’il n’est PAS le bon cheval pour ce boulot. Dans un sens, Negroponte est le frère de lai d’Ahmed Chalabi, l’enfant irakien adoptif de Richard Perle, puisque Negroponte a gravi tous les échelons de la diplomatie avec l’aide constante de Perle et des néo-conservateurs. Perle continue de contrôler son réseau – qui lui-même contrôle la politique étrangère du gouvernement Bush, même si Perle a dû démissionner de sa fonction au Conseil Politique à la Défense, qu’il a tenue pendant 16 ans. Alors, Negroponte, lui aussi, pourra régenter l’Irak en tant que proconsul dans l’empire de Perle/Wolfowitz/Rumsfeld même si son frère Chalabi est écarté du gouvernement intérimaire qui sera nommé le 30 juin. J’ai remarqué que le New York Times de ce matin a fini par noter que Chalabi n’a pas actuellement les faveurs de la Maison Blanche, qui a bien du mal a expliquer pourquoi elle a investi autant de puissance et d’argent dans un criminel condamné qui devrait passer des années en prison si jamais il mettait les pieds en Jordanie, notre ancien allié. Qu’à cela ne tienne, les néo-cons [NdT : je préfère garder l’abréviation car je trouve qu’elle leur va si bien…] ont vu le coup venir, et c’est pourquoi il se sont hâtés précipitamment de placer leur poulain, Negroponte, dans le fauteuil d’ambassadeur. De là, il pourra éviter toute la paperasserie pour les besoins de Chalabi dans ses méga deals de l’Irak d’après-guerre. Cela dit, si jamais il y a une après-guerre en Irak.

Sénateur, vous étiez aux auditions aujourd’hui, lorsque Andres Thomas Conteris, un militant pour les droits de l’homme latino-américain, s’est levé d’un bond dans le public pour dénoncer Negroponte pour le rôle qu’il a joué au nom des partisans de la guerre froide alors qu’il était ambassadeur au Honduras pendant la guerre des Contras au Nicaragua au début des années 80. Conteris a été interpellé, puis sorti de la salle d’audience, et libéré ailleurs dans le Capitole, mais pas avant qu’un échange ait eu lieu, dont je me demande si nous en entendrons parler demain dans les journaux.

Lors de l’audition, votre collègue républicain, le sénateur Chuck Hagel du Nebraska a demandé à Negroponte si "le gouvernement souverain iraquien du 1er juillet ne disposerait-il pas d’un droit de veto sur une implication militaire dans une situation telle que celle de Fallujah ?… Monsieur l’ambassadeur, s’ils disposent de la souveraineté, alors qu’est ce que cela peut bien signifier ?…" Voici la réponse de Negroponte : "Voilà pourquoi j’utilise le terme d’ ‘exercice de la souveraineté’. Je pense que dans le cas d’activités militaires, leurs forces armées seront placées sous le commandement de la force multinationale. Voilà le plan…" Les forces américaines, a continué Negroponte, "seront libres d’opérer en Irak comme elles le jugeront au mieux." Des situations telles que celle de Fallujah devront être le "sujet d’un véritable dialogue entre nos commandants militaires, celui du nouveau gouvernement irakien, comme celui de la mission américaine."

C’est là que Conteris a pris la parole, objectant un tel "dialogue". Il a dit : "Nous devons soutenir la non-violence et pas les politiques violentes des Etats-Unis. Il n’y aura pas de souveraineté, Monsieur l’ambassadeur, si les Etats-Unis continuent à s’occuper de la sécurité. Messieurs les Sénateurs, je vous prie d’interroger l’ambassadeur au sujet du bataillon 316. Interrogez-le sur les escadrons de la mort au Honduras qu’il a soutenus." Conteris fut alors évacué de la salle d’audience par la police du Capitole.

Selon l’Institute for Public Accuracy, un groupe anti-guerre à Washington, Conteris aurait dit plus tard: "J’ai pris la parole parce que Negroponte s’est mis à ce moment-là à parler de souveraineté. J’ai vécu au Honduras pendant cinq ans et je connais l’impact que les politiques de Negroponte ont eu là-bas au début des années 80. A l’époque, le Honduras était connu comme étant l’USS Honduras, en fait, un territoire occupé pour servir de porte-avions. Negroponte a été impliqué dans la subversion de la souveraineté de plusieurs autres pays : le Vietnam, les Philippines ; il a travaillé sur l’adoption de NAFTA [NdT : le marché de libre-échange d’Amérique du Nord] par le Mexique et a essayé de déstabiliser le contrôle panaméen du canal."

Maintenant, je ne vais pas m’immiscer dans ce bazar hondurien, Sénateur. Si vous voulez vous rafraîchir la mémoire, vous pouvez aller consulter le site web du Council on Hemispheric Affairs. Le fait que nous ayons fait les gros culs à l’époque de la guerre froide excuse un certain tralala : les assassinats, les escadrons de la mort, etc., que nous devrions essayer d’oublier. C’est vrai, lorsque j’étais à l’époque rédacteur associé de la page éditoriale du Wall Street Journal , je me tenais coude à coude avec Perle, Wolfofitz et Rumsfeld, et le reste du gang. Mais j’ai quitté le rang et je suis devenu une colombe lorsque la guerre froide a pris fin. Et en tant que colombe, je dois vous dire que je pense que la nomination de Negroponte a plutôt une odeur nauséabonde, que le sénat, je crois, - ou du moins les sénateurs démocrates – finiront par regretter.

Les informations sur le passé de Negroponte et sa prestation lors des guerres précédentes – sans mentionner le travail de grouillot qu’il a accompli dans la cabale de Perle en savonnant la planche des Nations-Unies dans la recherche d’une solution diplomatique, l’année dernière – sont d’ores et déjà en train de circuler dans les rangs des insurgés irakiens, même lorsque leurs mosquées sont bombardées à Fallujah. J’ai noté que Moubarak Awad, le fondateur de Nonviolence International, un autre groupe de ‘peaceniks’, a dit aujourd’hui : "La nomination de Negroponte a toutes les chances d’enflammer l’indignation de nombreux Irakiens, et à juste titre." Pendant la guerre froide, j’avais l’habitude de lancer des épithètes aux peaceniks tels qu’Awad. Mais maintenant, il semble que j’en suis devenu un et je suis d’avis qu’un autre choix pour le poste d’ambassadeur aurait moins risqué d’alimenter la djihad qui couve en Irak. Mais si l’alimenter est ce qui vous semble nécessaire, faites-le donc, mais s’il vous plait ne venez pas dire ensuite que vous êtes désolés que ça ne s’est pas très bien terminé alors que ça ne le sera pas.

Si nous avons la moindre chance de sortir du bordel irakien, c’est en permettant à un gouvernement irakien élu en janvier prochain d’avoir le droit d’inviter l’armée américaine à se retirer sur-le-champ. C’est le boulot de Negroponte de faire en sorte que cela arrive, et nous le savons tous, n’est-ce pas ?



Traduit de l'américain par Jean-François Goulon
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