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Une voix pour le Sénateur Kerry



27 octobre 2004

Mémo à: Fans de mon site, Surfeurs, Clients
De: Jude Wanniski
Re: J'ai pris ma décision

Il y a plein de petites raisons pour lesquelles je devrais voter pour la réélection du Président Bush, et à qui j'ai donné ma voix avec plaisir en 2000. Mais la vraie grande raison pour laquelle je voterai pour le Sénateur Kerry mardi prochain est qu'il est un internationaliste, comme moi, et que M. Bush est devenu un impérialiste - un de ceux dont les décisions en tant que Commandant en chef ont rendu le monde plus dangereux. Jusqu'à cette semaine, alors que j'avais décidé en privé de voter pour Kerry, je n'avais pas prévu de partager cette information avec vous avant le jour de l'élection. Mais j'ai reçu une foule de méls de la part de surfeurs me pressant de voter Kerry, ou de les aider à choisir entre Kerry et Nader. Ou encore de la part de mes clients à Wall Street me pressant de voter pour Bush pour toutes ces sortes de petites raisons - économiques, sociales ou politiques - celles qui m'avaient conduit à rejoindre le Parti Républicain en 1968 après mes premières années de jeune adulte où j'étais Démocrate.

La semaine dernière , mon vieux copain Pat Buchanan a approuvé la réélection du Président dans son magazine American Conservative, sous la rubrique : "Rentrer à la Maison." Je lui ai dit que son article était bien pensé et merveilleusement écrit , mais que je ne pouvais pas être d'accord avec son argument selon lequel les conservateurs ne devaient pas voter contre M. Bush pour le punir à cause de l'Irak, car de cette manière ils "puniraient seulement l'Amérique". En vérité, alors que ni Pat ni moi-même nous considérons comme des "impérialistes", je crois vraiment dans les institutions internationales qui furent créées la dernière année de la 2ème Guerre Mondiale, avec les Nations-Unies qui en constituent le cœur, et lui, il ne semble pas du tout leur faire confiance.

En tant que nationaliste du style "l'Amérique d'Abord", Pat est un Républicain de la vieille garde qui s'est opposé avec véhémence contre la guerre en Irak car il n'a jamais cru que Bagdad constituait une menace imminente pour notre patrie. Quant à moi, l'opposition que je formulais était basée sur ma conviction que Saddam Hussein avait été rendu impuissant en tant que menace dans la région, qu'il avait été désarmé et qu'il pouvait le rester ainsi grâce au régime d'inspections des Nations-Unies - et que l'objectif de l'Équipe Bush était depuis le début un objectif impérialiste. Oui, les États-Unis sont au pinacle de la puissance mondiale et ont une grande responsabilité à être le manager des affaires du monde. Je n'ai jamais cru dans le concept du Projet pour un Nouveau Siècle Américain [Project for a New American Century] d'orienter cette puissance pour empêcher un autre pays de remplacer les États-Unis au dessus de la mêlée. Je pense que leur véritable idée est une idée sombre, même sinistre, et bien plus étriquée que le nationalisme de Pat Buchanan. Cela transmet au monde le message que nous allons faire ce qu'il nous plaît et que nous n'avons même pas besoin d'expliquer nos motivations - parce que nous avons la puissance pour le faire.

S'il y a quelque chose que j'ai appris dans cette campagne électorale, à propos du Sénateur Kerry, c'est qu'il est un internationaliste qui croit en la nécessité d'écouter et de prendre sérieusement en compte les opinions des autres pays de ce monde. Lorsqu'il dit que s'il avait été le président il ne serait pas parti à la guerre contre l'Irak, il n'y a pas le moindre doute dans mon esprit qu'il dit la vérité. Il ne l'aurait pas fait, pas parce que le Conseil de Sécurité de l'ONU ne lui aurait pas donné une "autorisation erronée", mais parce que le reste du monde pouvait parfaitement se rendre compte que la diplomatie de l'ONU marchait, que l'UNMOVIC et l'Agence Internationale à l'Énergie Atomique (AIEA) avaient conclu qu'il n'existait pas d'armes de destruction massive en Irak et pas de programme d'ADM en cours. Si Saddam Hussein avait montré quelque résistance que ce soit, M. Bush aurait obtenu du Conseil de Sécurité la résolution qu'il voulait et le Sénateur Kerry ne serait pas en mesure aujourd'hui de dire que cette guerre a été une grande erreur.

Au début de cet article, j'ai dit que cette semaine je me suis fait l'opinion que M. Bush avait rendu le monde plus dangereux avec ses décisions unilatérales, j'ai dû y ajouter les informations de l'AIEA sur la disparition des 380 tonnes d'armes d'une cache à 50 kilomètres de Bagdad. Le Sénateur Kerry a critiqué sévèrement le Président Bush pour n'avoir pas sécurisé des pillards ce dépôt d'armes . Le vice -Président Cheney a répondu en mettant en valeur que depuis la fin de cette guerre, 400.000 tonnes d'armes avaient été détruites. Mais quelque chose a échappé à Cheney, en dans une certaine mesure aussi à M. Kerry, quand il dit que les explosifs manquants avaient sans aucun doute été utilisés pour tuer des soldats américains avec des bombes placées sur le bord des routes. La raison pour laquelle l'AIEA était impliquée dans ces 380 tonnes et pas dans les 400.000 autres tonnes est que cette petite cache contenait des explosifs capables de faire exploser des armes nucléaires. C'est un problème bien plus sérieux que ne le réalise Kerry.

Lorsque le Président Bush a indiqué, il y a 18 mois, qu'il ne faisait plus confiance dans le régime d'inspections de l'AIEA et qu'il utiliserait nos forces pour désarmer Saddam, les inspecteurs de l'AIEA ont quitté l'Irak et n'y sont pas retournés depuis. Dès que la guerre a été officiellement terminée, l'année dernière, l'AIEA a demandé la permission aux États-Unis d'y retourner pour sécuriser ces sites qui contenaient des matières à double usage qui pouvaient être utilisées dans des buts d'ADM. Le site d'Al Qaqaa près de Bagdad était l'un d'eux, contenant des explosifs HMX et RDX [1] du type dont un terroriste aurait besoin pour lancer une bombe nucléaire lors d'une attaque. Comme Gordon Prather [2] me l'a expliqué lorsqu'il a appris la disparition de ces explosifs : Si un groupe terroriste devait mettre la main sur 50 kg d'uranium hautement enrichi, il leur serait relativement facile de fabriquer une bombe nucléaire de la puissance d'Hiroshima. Ils pourraient, disons, la charger dans un camion et la trimballer dans Washington le jour de l'investiture présidentielle. Mais sans l'HMX ou le RDX, ils ne pourraient pas faire exploser la bombe nucléaire, et il serait impossible pour les terroristes de fabriquer eux-mêmes les explosifs adéquats nécessaires pour son déclenchement. Le processus est plus complexe que pour fabriquer la bombe nucléaire.

Ce que Prather craint est que les scientifiques irakiens avaient déjà enchâssé de l'HMX dans les lentilles nécessaires à un tel mécanisme, lentilles que l'AIEA avait sous contrôle et sous scellés, et qu'elles se baladent maintenant dans la région. "Pouvez-vous imaginer : l'AIEA avait mis sous scellés des matières nucléaires en Irak dans les années 70 et aucuns de ces scellés n'avaient été ôtés pendant la Guerre du Golfe. Il était de notre responsabilité de sécuriser ces sites dès que nous sommes arrivés là-bas et à la place des pillards les ont dérobées. Incroyable !"

A présent, après une révélation après l'autre à propos de la mauvaise gestion de la politique étrangère et de la sécurité nationale sous le Président Bush, j'aurais espéré qu'il aurait trouvé le moyen de signaler à son électorat que les choses seraient différentes lors d'un deuxième mandat ; ce qui aurait nécessité un changement dans le personnel qui se trouve en haut de la hiérarchie. Cela aurait voulu dire le remplacement de Dick Cheney par un internationaliste issu du Parti Républicain. Cela aurait voulu aussi dire un balayage net des néoconservateurs qui ont mijoté cette guerre - et qui ont trompé un président qui n'avait pas l'expérience pour se rendre compte qu'il avait été manipulé pour réaliser leurs fantasmes impériaux. Il est triste de constater qu'un second mandat ne serait pas différent du premier, et toutes les spéculations que nous lisons sur ce personnel laissent toujours Cheney à la place du conducteur avec Condi Rice, Paul Wolfowitz et Donald Rumsfeld à portée de main.

Parce que M. Bush nous a constamment répété comment il est renforcé grâce à sa foi en Dieu, et que cette foi l'a soutenu pour prendre ses décisions, il va sans dire que s'il est réélu il sera empli d'un esprit de justification. Il n'y aura non seulement pas de changement dans la vision de son équipe sur la manière de s'occuper du monde ; il y aura aussi moins de restriction dans la volonté de George W. Bush de façonner le monde selon sa vision d'inspiration divine.

Mardi, je voterai quand même Républicain pour le reste du scrutin, où je trouve le Parti Républicain plus à mon goût sur les questions de moindre importance. Mais je donnerai ma voix pour le Démocrate à l'élection présidentielle puisque je l'ai fait en 1964 pour Lyndon Johnson. Et je le ferai avec enthousiasme pour la vision que le Sénateur exprime sur la manière de conduire le monde, maintenant que j'ai compris comment son esprit fonctionne. Cela change avec des nouvelles et des meilleures informations. S'il gagne, il devra travailler avec une Chambre Républicaine et probablement un Sénat Républicain, et trouver un terrain commun acceptable sur les questions intérieures importantes. Mais par-dessus tout, je pense qu'il rendra petit à petit le monde moins dangereux qu'il ne l'est devenu durant ces quatre dernières années.



[1] RDX= Research Department Explosive, connu sous le nom de cylclonite ; HMX= High Melting Explosive, mélange de nitroguanidine et tétryl. Ces deux explosifs sont des nitramines extrêmement puissantes.

[2] James Gordon Prather est un physicien qui a servi en tant que haut fonctionnaire dans de nombreuses agences fédérales pour participer à la mise en place de la politique de sécurité nationale, en relation avec les questions techniques. Le Dr Prather a été aussi assistant parlementaire aux affaires de sécurité nationale du Sénateur Henry Bellmon et auparavant, il a travaillé comme physicien en armes nucléaires dans des laboratoires nationaux. Aujourd'hui, il est chroniqueur dans le World Net Daily.

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Traduit de l'américain par Jean-François Goulon
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