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     L'aberration de la guerre contre le terrorisme
    Par George Soros
15 août 2006 Project Syndicate

Depuis presque cinq ans, la "guerre contre le terrorisme" s'est révélée être une métaphore inappropriée qui a conduit à des choix politiques contre-productifs, voués à l'échec. Une figure de style maladroite appliquée à la lettre a mené à la guerre sur plusieurs fronts : L'Irak, Gaza, le Liban, l'Afghanistan et la Somalie. Des milliers de civils innocents ont été tués, entraînant la colère de millions de personnes à travers le monde.

Pourtant, Al-Qaida n'a pas été vaincu, ainsi que le montre la récente tentative de faire exploser des avions commerciaux en partance de Londres vers les USA. Ce complot, déjoué grâce à la vigilance des services de renseignements britanniques, aurait pu faire encore plus de morts que les attentats du 11 septembre, mais ce ne sera sans doute pas la dernière tentative de ce genre.

Malheureusement, les Américains acceptent sans grand esprit critique cette métaphore guerrière en tant que réponse au 11 septembre. Pourtant aujourd'hui, alors que l'on reconnaît généralement que l'invasion de l'Irak a été une erreur, la "guerre contre le terrorisme" reste le cadre de la politique américaine. La plupart des hommes politiques démocrates y souscrivent aussi, de peur d'être accusés de faiblesse sur les questions de défense.

Ce soutien continu à la guerre contre le terrorisme conduit droit dans le mur. Par sa nature même, cette guerre fait des victimes innocentes, et c'est d'autant plus inévitable qu'elle est dirigée contre des terroristes qui le plus souvent se cachent. Les morts, les blessés et l'humiliation des civils génèrent colère et ressentiment au sein de leur famille et de leur communauté, ce qui alimente le terrorisme.

Enfin, le terrorisme est une abstraction qui englobe toutes les organisations politiques qui y ont recours. Al-Qaida, le Hamas, le Hezbollah et en Irak l'insurrection sunnite et l'armée de Mahdi sont des mouvements très différents les uns des autres, mais à cause de la guerre mondiale contre le terrorisme du président Bush, nous ne les distinguons pas et ne tenons pas compte de ces différences. Cela empêche des négociations hautement souhaitables avec l'Iran et la Syrie, du fait que ces pays soutiennent des groupes terroristes.

Pourtant, comme les Britanniques viennent de le montrer, des services de renseignements efficaces constituent la meilleure solution à l'égard de groupes comme Al-Qaida. L'accent porté sur l'intervention militaire contribue à accroître la menace terroriste et rend plus difficile le travail des services de renseignement. Oussama Ben Laden et Ayman Al-Zawahiri courent toujours, alors qu'il faudrait mettre la main sur eux pour éviter des attentats comme ceux qui viennent d'être déjoués en Angleterre.

Finalement, la guerre contre le terrorisme creuse le fossé entre "nous" et "eux". Nous sommes les victimes innocentes, ils sont coupables de crimes. Alors que nous ne remarquons pas que dans le processus nous devenons aussi coupables de crimes, le reste du monde s'en rend compte - une différence de perception qui affaiblit gravement la crédibilité et la position de l'Amérique sur la scène internationale.

L'ensemble de ces facteurs fait que la guerre contre le terrorisme ne peut être gagnée. Au contraire, une guerre sans fin menée contre un ennemi invisible est extrêmement dommageable non seulement à notre autorité et à notre prestige dans le monde, mais aussi à notre propre société. Elle conduit à un accroissement dangereux du pouvoir exécutif, elle affaiblit notre adhésion aux droits de l'homme et porte atteinte au processus critique qui est au cœur d'une société ouverte. Elle coûte également beaucoup d'argent. Mais surtout, elle détourne l'attention d'autres problèmes urgents qui nécessitent le leadership américain, qu'il s'agisse de terminer la tâche entreprise en Afghanistan, de faire face à la crise mondiale de l'énergie qui pointe à l'horizon ou de réagir face à la prolifération nucléaire.

Avec l'influence américaine en déclin, le monde risque de sombrer dans un cercle vicieux d'escalade de la violence. On peut y échapper si nous, les Américains, rejetons la "guerre contre le terrorisme comme une métaphore inappropriée.

Si nous persévérons dans la même direction, la situation va encore empirer. Ce n'est pas notre volonté qui est testée, mais notre compréhension de la réalité. Il est difficile d'admettre que la situation dans laquelle nous nous trouvons est due à nos idées fausses. Mais si nous ne le faisons pas, les conséquences seront encore plus graves à long terme. La force d'une société libre repose sur sa capacité à reconnaître et à corriger ses erreurs. C'est l'épreuve à laquelle nous devons faire face.

George Soros est financier. Il a écrit un livre intitulé The Age of Fallibility: Consequences of the War on Terror.

Copyright: Project Syndicate 2006.
www.project-syndicate.org
Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz