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Stratégie des Etats-Unis au Proche-Orient

Seymour Hersh: La "réorientation"

Par Seymour Hersh
New Yorker, le 26 février 2007

article original : "Seymour Hersh: The Redirection"

La nouvelle politique du gouvernement étasunien
bénéficie-t-elle à ses ennemis dans la guerre contre le terrorisme ?


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Un Changement Stratégique

Ces derniers mois, alors que la situation en Irak s'est détériorée, l'Administration Bush, tant dans sa diplomatie publique que dans ses opérations secrètes, a modifié sensiblement sa stratégie au Proche-Orient. Cette "réorientation", comme certains initiés de la Maison Blanche ont appelé cette nouvelle stratégie, a conduit les Etats-Unis à se rapprocher d'une confrontation ouverte avec l'Iran. Et, dans des parties de cette région, cette stratégie a déclenché un conflit sectaire croissant entre Musulmans chiites et Musulmans sunnites.

Pour miner l'Iran, qui est à prédominance chiite, l'Administration Bush a décidé, en fait, de reconfigurer ses priorités au Moyen-Orient. Au Liban, elle a coopéré avec le gouvernement saoudien, qui est sunnite, dans des opérations clandestines destinées à affaiblir le Hezbollah, l'organisation chiite soutenue financièrement par l'Iran. Les Etats-Unis ont aussi pris part à des opérations clandestines visant l'Iran et son alliée la Syrie. Un effet secondaire de ces activités a été de renforcer les groupes sunnites extrémistes, épousant une vision militante de l'Islam et qui sont hostiles à l'Amérique et favorables à al-Qaïda.

Un aspect contradictoire de cette nouvelle stratégie est que, en Irak, la majorité des violences liées à l'insurrection et dirigées contre l'armée américaine est venue des forces sunnites, pas chiites. Mais du point de vue de l'Administration, la conséquence stratégique la plus profonde &mdash et non voulue &mdash de la guerre d'Irak est la montée en puissance de l'Iran. Son président, Mahmoud Ahmadinejad, a fait des annonces de défi à propos de la destruction d'Israël et du droit de son pays de poursuivre son programme nucléaire. La semaine dernière, son dirigeant suprême religieux, l'Ayatollah Ali Khamenei, a déclaré à la télévision d'Etat que "les réalités de la région démontrent que le front arrogant, dirigé par les Etats-Unis et leurs alliés, sera le principal perdant dans la région."

Après que la révolution de 1979 eut porté un gouvernement religieux au pouvoir, les Etats-Unis rompirent avec l'Iran et cultivèrent des relations plus étroites avec les dirigeants des Etats arabes sunnites, comme la Jordanie, l'Egypte et l'Arabie Saoudite. Ce calcul est devenu plus complexe après les attaques du 11 septembre, en particulier vis-à-vis des Saoudiens. Al-Qaïda est sunnite et beaucoup de ses agents venaient de cercles extrémistes religieux, au sein de l'Arabie Saoudite. Avant l'invasion de l'Irak, en 2003, les responsables de l'Administration, influencés par les idéologues néoconservateurs, supposaient qu'un gouvernement chiite, là-bas, pourrait apporter un équilibre pro-américain face aux extrémistes sunnites, puisque la majorité chiite irakienne avait été oppressée sous Saddam Hussein. Ils ont ignoré les mises en garde de la communauté de l'Intelligence concernant les liens entre les dirigeants chiites irakiens et l'Iran, où quelques-uns avaient vécu en exil pendant des années. Maintenant, au désarroi de la Maison Blanche, l'Iran a forgé une relation étroite avec le gouvernement à domination chiite du Premier ministre Nouri al-Maliki.

La nouvelle politique américaine, dans ses grandes lignes, a été débattue publiquement. La Secrétaire d'Etat Condoleeza Rice, lors de son audition devant la Commission Sénatoriale des Affaires Etrangères, en janvier, a déclaré qu'il y a "un nouvel alignement stratégique au Proche-Orient", séparant les "réformistes" et les "extrémistes". Elle a parlé des Etats sunnites comme centres de modération et déclaré que l'Iran, la Syrie et le Hezbollah étaient "de l'autre côté de cette partition". (En Syrie, la majorité sunnite est dominée par la secte des Alaouites) L'Iran et la Syrie, a-t-elle dit, "ont fait leur choix et leur choix et de déstabiliser".

Cependant, certaines tactiques centrales de cette "réorientation" n'ont pas été rendues publiques. Dans certains cas, les opérations clandestines ont été gardées secrètes, en laissant l'exécution du financement aux Saoudiens ou en trouvant d'autres moyens pour aborder le processus normal des affectations au congrès. C'est ce qu'ont déclaré d'actuels et anciens fonctionnaires proches du Gouvernement.

Un membre supérieur de la Commission des Affectations de la Chambre m'a dit qu'il avait entendu parler de cette nouvelle stratégie, mais qu'il avait le sentiment que ses collègues et lui-même n'avaient pas été tenus au courant de façon adéquate. "Nous n'avons obtenu rien de cela", a-t-il déclaré. "Nous demandons à être informés sur tout ce qui se passe et ils répondent qu'il ne se passe rien. Et lorsque nous posons des questions spécifiques, ils disent : 'Nous revenons vers vous'. Rien n'est plus énervant !"

Les acteurs-clés qui se trouvent derrière cette réorientation sont le Vice-président Dick Cheney, le conseiller adjoint à la sécurité nationale, Elliott Abrams, l'ambassadeur en Irak sur le départ (et nommé pour être ambassadeur aux Nations-Unies), Zalmay Khalilzad, ainsi que Prince saoudien Bandar ben Sultan, conseiller à la sécurité nationale. Tandis que Rice était impliquée en profondeur dans le façonnage de la politique publique, d'anciens et actuels fonctionnaires ont déclaré que le côté clandestin avait été guidé par Cheney. (Le cabinet de Cheney et la Maison Blanche ont refusé tout commentaire pour cet article. Le Pentagone n'a pas répondu aux requêtes spécifiques, mais il a déclaré : "Les Etats-Unis n'ont pas prévu de faire la guerre à l'Iran".)

Ce changement politique a conduit l'Arabie Saoudite et Israël à adopter un nouveau soutien mutuel stratégique, en grande partie parce que ces deux pays voient l'Iran comme une menace existentielle. Ils ont été impliqués dans des pourparlers directs et les Saoudiens, qui pensent qu'une plus grande stabilité en Israël et en Palestine donnerait moins de force d'appui dans la région à l'Iran, sont devenus plus impliqués dans les négociations israélo-arabes.

Cette nouvelle stratégie "est une modification majeure de la politique américaine &mdash c'est une transformation radicale", a déclaré un conseiller du gouvernement étasunien qui entretient des liens étroits avec Israël. Les Etats sunnites "étaient pétrifiés à l'idée d'une résurgence chiite et il y avait un mécontentement croissant concernant notre pari sur les Chiites modérés en Irak", a-t-il dit. "Nous ne pouvons pas inverser ce que les Chiites ont gagné en Irak, mais nous pouvons les contenir."

"Il semble qu'il y ait eu un débat au sein du gouvernement sur ce qui constitue le plus grand danger : l'Iran ou les radicaux sunnites," m'a dit Vali Nasr, un membre supérieur du Council on Foreign Relations, qui a beaucoup écrit sur les Chiites, l'Iran et l'Irak. "Les Saoudiens et certains au sein de l'Administration ont défendu l'argument selon lequel la plus grande menace est l'Iran et que les radicaux sunnites sont des ennemis de moindre importance. C'est une victoire pour la ligne saoudienne."

Martin Indyk, un haut responsable du Département d'Etat dans l'Administration Clinton, qui a aussi servi comme ambassadeur auprès d'Israël, a déclaré que "le Moyen-Orient se dirigeait vers une grave Guerre Froide entre les Chiites et les Sunnites." Indyk, qui est le directeur du Saban Center for Middle East Policy à la Brookings Institution, a ajouté qu'à son avis il n'était pas très clair si la Maison Blanche avait pleinement conscience des implications stratégiques de sa nouvelle politique. "La Maison Blanche ne se contente pas de doubler la mise en Irak," a-t-il déclaré. "Elle double la mise dans toute la région. Ceci pourrait devenir très compliqué. Tout est sens dessus dessous."

La nouvelle politique de l'Administration pour contenir l'Iran semble compliquer sa stratégie pour gagner la guerre en Irak. Patrick Clawson, un expert sur l'Iran et directeur adjoint de la recherche du Washington Institute for Near East Policy, affirmait toutefois que des liens plus étroits entre les Etats-Unis et des Sunnites modérés, voire radicaux, pourraient installer la "peur" dans le gouvernement du Premier ministre Maliki et "faire en sorte qu'il s'inquiète que les Sunnites puissent vraiment gagner" la guerre civile, là-bas. Clawson a déclaré que cela pourrait inciter Maliki à coopérer avec les Etats-Unis pour supprimer les milices chiites radicales, telles que l'Armée du Mehdi de Moqtada al-Sadr.

Même ainsi, les États-Unis restent dépendants, pour le moment, de la coopération des dirigeants chiites irakiens. L'armée du Mehdi est peut-être ouvertement hostile aux intérêts américains, mais d'autres milices chiites comptent parmi les alliés des États-Unis. Tant Moqtada al-Sadr que la Maison blanche soutiennent Maliki. Un mémorandum écrit l'année dernière par Stephen Hadley, le conseiller à la sécurité nationale, suggérait à l'Administration d'essayer de séparer Maliki de ses alliés chiites les plus radicaux, en construisant sa base auprès des Sunnites et des Kurdes modérés. Mais, jusqu'à présent, la tendance a été exactement en sens contraire. Tandis que l'armée irakienne a continué de s'embourber dans ses confrontations avec les insurgés, le pouvoir des milices chiites a cru constamment.

Flynt Leverett, un ancien fonctionnaire du National Security Council de l'Administration Bush, m'a dit qu'"il n'y a rien de fortuit ou d'ironique" dans la nouvelle stratégie relative à l'Irak. "L'administration construit des arguments selon lesquels l'Iran est plus dangereux et fait plus de provocation que les insurgés sunnites pour les intérêts américains en Irak, alors que &mdash si vous regardez les chiffres des pertes &mdash la punition infligée à l'Amérique par les sunnites est d'une toute autre ampleur," a déclaré Leverett. "Tout cela fait partie d'une campagne de provocation par étapes pour accroître la pression sur l'Iran. L'idée est qu'à un moment donné les Iraniens riposteront et, alors, l'Administration disposera d'une ouverture pour les attaquer".

Le président George W. Bush, dans un discours prononcé le 10 janvier dernier, a expliqué en partie cette approche. "Ces deux régimes" &mdash l'Iran et la Syrie &mdash "permettent aux terroristes et aux insurgés d'utiliser leurs territoires pour entrer et sortir d'Irak," a déclaré Bush. "L'Iran fournit un support matériel pour les attaques contre les troupes américaines. Nous ferons cesser ces attaques contre nos forces. Nous interromprons le flux de soutien venant d'Iran et de Syrie. Et nous traquerons et détruirons les réseaux qui fournissent l'armement sophistiqué et l'entraînement à nos ennemis en Irak."

Dans les semaines qui ont suivi, il y a eu une vague d'affirmations venant de l'administration, au sujet de l'implication iranienne dans la guerre en Irak. Le 11 février, on a présenté aux journalistes des engins explosifs sophistiqués, pris en Irak, que l'Administration prétendait provenir d'Iran. Le message de l'Administration était, pour l'essentiel, que la situation sinistre en Irak était le résultat, non pas de ses propres erreurs de préparation et d'exécution, mais de l'ingérence de l'Iran.

Les militaires étasuniens ont aussi arrêté et interrogé des centaines d'iraniens en Irak. "En août dernier, il a été demandé aux militaires d'attraper autant d'Iraniens que possible en Irak," a expliqué un ancien responsable des services secrets. "A un moment, ils en avaient cinq cents sous les verrous. Nous travaillons ces gars et nous en tirons des informations. Le but de la Maison blanche est de monter un dossier accusant les Iraniens d'avoir fomenté l'insurrection et de l'avoir fait depuis le début &mdash accusant en fait l'Iran de soutenir l'assassinat d'Américains." Ce conseiller du Pentagone a confirmé que des centaines d'Iraniens avaient été capturés, ces derniers mois, par les forces américaines. Mais il m'a raconté que parmi eux il y avait beaucoup de travailleurs humanitaires iraniens qui "sont cueillis et relâchés rapidement", après avoir été interrogés.

"Nous ne préparons pas de guerre contre l'Iran" a annoncé Robert Gates, le nouveau Secrétaire d'État à la Défense, le 2 février. Et, pourtant, l'atmosphère de confrontation est devenue plus pesante. Selon des agents des services de renseignement et des officiels de l'armée, actuels et anciens, des opérations secrètes au Liban ont été accompagnées d'opérations clandestines visant l'Iran. Des militaires américains et des équipes des opérations spéciales ont intensifié leurs activités en Iran pour collecter des renseignements et, selon un ancien conseiller du Pentagone en matière de terrorisme et ancien responsable des services secrets, ils ont aussi traversé la frontière à la poursuite d'agents iraniens revenant d'Irak.

Lorsque Rice s'est présentée devant le Sénat en janvier dernier, le sénateur Démocrate du Delaware, Joseph Biden, lui a demandé avec insistance si les États-Unis prévoyaient de franchir, au cours d'une poursuite, les frontières iranienne ou syrienne. "Évidemment, le Président ne va rien écarter pour protéger nos troupes, mais notre plan est de démanteler ces réseaux en Irak," a déclaré Rice, ajoutant, "je pense vraiment que tout le monde comprendra cela &mdash le peuple américain et moi-même supposons que le Congrès attend du Président qu'il fasse tout ce qui est nécessaire pour protéger nos forces."

La réponse ambiguë de Rice a déclenché une riposte de la part du sénateur Républicain du Nebraska Chuck Hagel, qui a critiqué l'Administration : "Certains d'entre nous se souviennent de 1970, Madame la Secrétaire. C'était au Cambodge. Et lorsque notre gouvernement a menti au peuple américain en disant : "Nous n'avons pas franchi la frontière cambodgienne", la réalité est que nous l'avions fait.

Il se trouve que je sais des choses à ce sujet, comme d'autres dans cette commission. Alors, Madame la Secrétaire, quand vous mettez en route la sorte de politique que le Président expose ici, c'est très, très dangereux."

La préoccupation de l'administration concernant le rôle de l'Iran en Irak va de paire avec l'alerte qu'elle a émise depuis longtemps sur le programme nucléaire iranien. Le 14 janvier [2007], sur Fox News, Cheney mettait en garde sur la possibilité, d'ici quelques années, "d'un Iran doté de l'arme nucléaire, dominant l'approvisionnement mondial en pétrole, capable d'avoir une influence négative sur l'économie mondiale, prêt à se servir d'organisations terroristes et/ou à ses armes nucléaires pour menacer ses voisins et d'autres dans le monde entier." Il a aussi déclaré : "Si vous allez discuter avec les États du Golfe ou si vous discutez avec les Saoudiens ou si vous discutez avec les Israéliens ou les Jordaniens, la région tout entière est inquiète... La menace que représente l'Iran grandit."

A l'heure actuelle, l'Administration examine une vague de nouveaux renseignements sur les programmes nucléaires iraniens. D'actuels et anciens responsables américains m'ont raconté que ces renseignements, qui proviennent d'agences israéliennes opérant en Iran, contiennent une affirmation selon laquelle l'Iran a développé un missile intercontinental à trois étages et à carburant solide, capable d'envoyer plusieurs petites ogives &mdash chacune ayant une précision limitée &mdash sur le territoire européen. La crédibilité de ce renseignement d'origine humaine est toujours discutée.

Un argument similaire sur la menace imminente que représentaient les armes de destruction massive &mdash et les doutes sur les sources de renseignement utilisées pour monter cette accusation &mdash a constitué le prélude à l'invasion de l'Irak. Beaucoup, au Congrès, ont accueilli ces accusations contre l'Iran avec circonspection. Au Sénat, le 14 février, Hillary Clinton a déclaré, "Le conflit en Irak nous a enseignés à tous des leçons et nous devons appliquer ces leçons à toute accusation émise sur l'Iran. Parce que, Monsieur le Président, ce que nous entendons sonne familier à nos oreilles et nous devons être sur nos gardes pour ne plus jamais prendre de décisions sur la base de renseignements qui s'avèrent erronés."

Pourtant, le Pentagone poursuit la préparation intensive d'un possible bombardement de l'Iran, un processus qui a débuté l'année dernière, sur instruction du Président. Ces derniers mois, l'ancien responsable des services secrets m'a raconté qu'un groupe spécial de planification avait été installé dans les bureaux des Chefs d'état-major interarmes, chargés d'élaborer un plan de réserve pour bombarder l'Iran, qui pourrait être mis en exécution sur ordre du Président, dans un délai de 24 heures.

Le mois dernier, un conseiller de l'Armée de l'Air dans l'identification des cibles et le conseiller en terrorisme du Pentagone m'ont raconté que le groupe de planification sur l'Iran avait reçu une nouvelle mission : identifier des cibles en Iran pouvant être impliquées dans l'approvisionnement ou l'assistance aux partisans de la lutte armée en Irak. Auparavant, l'accent était mis sur la destruction des installations nucléaires iraniennes et un possible changement de régime.

Deux groupes de porte-avions &mdash l'Eisenhower et le Stennis &mdash sont actuellement en Mer d'Arabie. Selon plusieurs sources, un de ces plans prévoit qu'ils seraient relevés au début du printemps. Mais certains militaires s'inquiètent de ce qu'on puisse leur ordonner de rester dans la zone après l'arrivée des nouveaux porte-avions. (Parmi les autres sujets de préoccupations, les manœuvres militaires ont montré que les porte-avions pourraient être vulnérables à la tactique de l'essaim, impliquant un grand nombre de petits bateaux, une technique que les Iraniens ont pratiquée par le passé. Dans l'étroit Détroit d'Ormuz, au large de la côte méridionale iranienne, la manœuvrabilité des porte-avions est réduite.) L'ancien responsable du renseignement dit que ces plans de réserve permettront de lancer un ordre d'attaque dès ce printemps. Il a toutefois ajouté que des officiers supérieurs de l'état-major interarmes comptaient sur le fait que la Maison blanche ne soit "pas assez bête pour faire cela, malgré l'Irak, et sur les problèmes que cela apporterait aux Républicains en 2008."

Le jeu du Prince Bandar

Les efforts de l'administration pour réduire l'influence iranienne au Proche-Orient ont largement reposé sur l'Arabie Saoudite et sur le Prince Bandar, le conseiller à la sécurité nationale saoudienne. Bandar a servi pendant 22 ans comme ambassadeur auprès des Etats-Unis &mdash jusqu'en 2005 &mdash et a maintenu des rapports amicaux avec le Président Bush et le Vice-président Cheney. À son nouveau poste, il continue de les rencontrer en privé. Des hauts fonctionnaires de la Maison blanche ont effectué plusieurs visites, dernièrement, en Arabie Saoudite, dont certaines n'ont pas été rendues publiques.

En novembre dernier, Cheney s'est envolé pour l'Arabie Saoudite pour une rencontre surprise avec le Roi Abdallah et Bandar. Le New York Times a rapporté que le roi avait prévenu Cheney que l'Arabie Saoudite soutiendrait ses coreligionnaires sunnites en Irak si les États-Unis se retiraient. Un agent du renseignement européen m'a raconté que cette rencontre s'était aussi concentrée sur les craintes saoudiennes plus générales à propos de "l'ascension des Chiites". En riposte, "les Saoudiens commencent à utiliser leur moyen de pression &mdash l'argent."

Dans une famille royale où règne la concurrence, Bandar s'est bâti, depuis des années, une base de pouvoir reposant largement sur la relation étroite qu'il entretient avec les Etats-Unis &mdash relation cruciale pour les Saoudiens. Le prince Turki al-Faiçal a succédé à Bandar au poste d'ambassadeur. Turki a démissionné au bout de dix-huit mois et a été remplacé par Adel A. al-Joubeïr, un bureaucrate qui a travaillé avec Bandar. Un ancien diplomate saoudien m'a confié que, lorsque Turki était en poste, il s'était aperçu que des rencontres privées impliquant Bandar et de hauts responsables de la Maison blanche, parmi lesquels se trouvaient [Dick Cheney] et [Elliott] Abrams, avaient lieu. "Je suppose que ça ne plaisait pas à Turki", a dit le Saoudien. Mais il a ajouté, "Je ne crois pas que Bandar s'en ira de sa propre initiative". Bien que Turki n'aime pas Bandar, m'a dit le Saoudien, il partageait son objectif de relever le défi de la propagation de l'influence chiite au Proche-Orient.

La division entre les Chiites et les Sunnites remonte à une querelle profonde, au septième siècle, à propos de celui qui devait succéder au Prophète Mohammed. Les Sunnites dominaient le califat médiéval et l'Empire Ottoman et, traditionnellement, les Chiites étaient considérés comme des étrangers. 90% des Musulmans de la planète sont sunnites, mais les Chiites sont majoritaires en Iran, en Irak et au Bahreïn et forment le groupe musulman le plus important du Liban. Leur concentration dans une région volatile riche en pétrole a amené l'Occident et les Sunnites à s'inquiéter de l'émergence d'un "croissant chiite" &mdash surtout quand on connaît l'influence géopolitique croissante de l'Iran.

"Les Saoudiens voient toujours le monde avec les yeux de l'époque de l'Empire Ottoman, lorsque les Musulmans sunnites faisaient la loi et que les Chiites étaient la classe inférieure," m'a expliqué l'officier retraité Frederic Hoff, qui est un expert sur le Proche-Orient. Si Bandar pouvait était perçu comme celui qui apporte dans la politique étasunienne un changement de cap en faveur des Sunnites, a-t-il ajouté, cela renforcerait énormément sa stature au sein de la famille royale.

Les Saoudiens sont poussés par leur crainte que l'Iran puisse renverser l'équilibre du pouvoir, non seulement dans la région, mais aussi dans leur propre pays. L'Arabie Saoudite a une minorité chiite importante dans sa province orientale, une région où se trouve des champs de pétrole majeurs. Les tensions sectaires y sont élevées. Selon Vali Nasr, la famille royale pense que des agents iraniens, qui travaillent avec les Chiites locaux, ont été derrière un grand nombre d'attaques terroristes à l'intérieur du royaume. "Aujourd'hui, la seule armée capable de contenir l'Iran" &mdash l'armée irakienne &mdash "a été détruite par les États-Unis. A présent, nous nous retrouvons face à un Iran qui pourrait avoir une capacité nucléaire et qui a une armée d'active forte de 450 000 soldats." (L'Arabie Saoudite dispose de 75.000 soldats dans son armée d'active.)

Nasr a poursuivi : "Les Saoudiens disposent de moyens financiers considérables et entretiennent des relations profondes avec les Frères musulmans et les Salafistes" &mdash ces extrémistes sunnites qui considèrent les Chiites comme des apostats. "La dernière fois que l'Iran a été une menace, les Saoudiens sont parvenus à mobiliser les Islamistes radicaux de la pire espèce. Une fois que vous les avez fait sortir de la boîte, vous ne pouvez plus les y faire ré-entrer."

La famille royale saoudienne a été, alternativement, un sponsor des extrémistes sunnites et leur cible. Ceux-ci condamnent la corruption et la décadence qui règne au sein de la myriade de princes de la famille. Les princes font le pari qu'ils ne seront pas renversés tant qu'ils continuent de soutenir les écoles religieuses et les œuvres caritatives liées aux extrémistes. La nouvelle stratégie de l'Administration repose lourdement sur ce marché.

Nasr a comparé la situation actuelle avec la période durant laquelle al-Qaïda a émergé pour la première fois. Dans les années 80 et au début des années 90, le gouvernement saoudien a proposé de subventionner la guerre secrète américaine livrée par procuration en Afghanistan par la CIA contre l'Union soviétique. Des centaines de jeunes Saoudiens furent envoyées dans les zones frontalières du Pakistan, où ils ont établi des écoles religieuses, des bases d'entraînement et des installations de recrutement. Ensuite, comme aujourd'hui, nombre d'agents qui étaient payés avec de l'argent saoudien étaient des Salafistes. Parmi eux, bien sûr, se trouvaient Oussama ben Laden et ses associés, qui fondèrent al-Qaïda en 1988.

Cette fois-ci, m'a raconté le conseiller auprès du gouvernement étasunien, Bandar et d'autres Saoudiens ont assuré à la Maison blanche qu'"ils surveillent de très près les fondamentalistes religieux. Leur message était le suivant : 'Nous avons créé ce mouvement, et nous pouvons le contrôler'. Ce n'est pas tant que nous ne voulons pas que les salafistes lancent des bombes, ce qui nous importe sur qui ils les lancent &mdash le Hezbollah, Moqtada al-Sadr, l'Iran et les Syriens, si ces derniers continuent de travailler avec le Hezbollah et l'Iran."

Le Saoudien a dit qu'aux yeux de son pays, c'était prendre un risque politique que de se joindre aux Etats-Unis dans la confrontation avec l'Iran : Bandar est déjà perçu dans le monde arabe comme étant trop proche de l'Administration Bush. "Nous avons deux cauchemars," m'a dit cet ancien diplomate : "Que l'Iran acquière la bombe et que les États-Unis attaquent l'Iran. Je préférerais que les Israéliens bombardent les Iraniens, comme ça nous pourrions rejeter la faute sur eux. Si c'est l'Amérique qui s'en charge, nous serons condamnés."

L'année dernière, les Saoudiens, les Israéliens et l'Administration Bush ont réalisé une série d'ententes officieuses sur leur nouvelle orientation stratégique. Au moins quatre éléments principaux étaient impliqués, m'a dit le conseiller du gouvernement étasunien. D'abord, Israël serait assuré que sa sécurité est primordiale et que Washington, l'Arabie Saoudite et d'autres Etats sunnites partageaient sa préoccupation concernant l'Iran.

Deuxièmement, les Saoudiens conseilleraient vivement au Hamas, le parti palestinien islamiste qui a reçu le soutien de l'Iran, de réduire ses agressions anti-israéliennes et de commencer à discuter sérieusement sur le partage du pouvoir avec le Fatah, le groupe palestinien plus laïc. (En février, les Saoudiens ont agit en médiateurs pour finaliser un accord à la Mecque entre les deux factions. Cependant, Israël et les Etats-Unis ont exprimé leur insatisfaction sur ses termes.)

Le troisième élément était que l'Administration Bush travaillerait directement avec les nations sunnites pour contrer l'ascendance chiite dans la région.

Quatrièmement, le gouvernement saoudien, avec l'approbation de Washington, apporterait les fonds et l'aide logistique pour affaiblir le gouvernement du Président syrien Bashar Assad. Les Israéliens croient qu'en mettant une telle pression sur le gouvernement d'Assad cela le rendra plus conciliant et plus ouvert à des négociations. La Syrie est un point de passage majeur pour les armes du Hezbollah. Le gouvernement saoudien est aussi en conflit avec les Syriens sur l'assassinat de Rafik Hariri, l'ancien Premier ministre libanais, à Beyrouth en 2005, pour lequel ils tiennent les Syriens pour responsables. Hariri, un milliardaire sunnite, était étroitement lié au régime saoudien et au prince Bandar. (Une enquête de l'ONU a fortement suggéré que les Syriens étaient impliqués, mais sans apporter de preuve directe. Une autre enquête est prévue, conduite par un tribunal international.)

Patrick Clawson, du Washington Institute for Near East Policy, a décrit la coopération des Saoudiens avec la Maison blanche comme étant une avancée importante. "Les Saoudiens comprennent que s'ils veulent que l'administration fasse une offre politique plus généreuse aux Palestiniens, ils doivent persuader les Etats arabes de faire une offre plus généreuse aux Israéliens," m'a dit Clawson. La nouvelle approche diplomatique, a-t-il ajouté, "montre un réel degré d'effort et de sophistication, ainsi qu'une touche de dextérité à laquelle l'Administration ne nous a pas toujours habitués. Qui prend le plus grand risque &mdash nous ou les Saoudiens ? À un moment où l'image de l'Amérique au Proche-Orient est extrêmement mauvaise, les Saoudiens nous soutiennent vraiment. Nous devrions nous estimer heureux !"

Le conseiller du Pentagone, lui, avait un point de vue différent. Il a dit que l'Administration s'était tourné vers Bandar en "repli", parce qu'elle avait réalisé que la guerre en Irak qui avait échoué pourrait laisser le Proche-Orient comme "une proie facile".

Des Djihadistes au Liban

Après l'Iran, l'attention de la relation américano-saoudienne s'est portée sur le Liban, où les Saoudiens ont été profondément impliqués dans les efforts de l'Administration pour soutenir le gouvernement libanais. Le Premier ministre Fouad Siniora lutte pour rester au pouvoir, face à l'opposition persistante menée par le Hezbollah (l'organisation chiite) et son chef, le Cheik Hassan Nasrallah. Le Hezbollah dispose d'une infrastructure étendue, d'une force estimée à deux ou trois mille combattants et des milliers de membres additionnels.

Le Hezbollah figure depuis 1997 sur la liste des organisations terroristes du Département d'État. Cette organisation a été impliquée dans l'attentat à la bombe de 1983 contre la caserne des Marines à Beyrouth, qui a tué 241 soldats. Elle a aussi été accusée de complicité dans l'enlèvement d'Américains, dont le chef de poste de la CIA au Liban, qui est mort en captivité, et d'un colonel des Marines qui servait dans les forces de maintien de la paix de l'ONU et qui a été tué. (Nasrallah a démenti que son groupe ait été impliqué dans ces incidents.) Nasrallah est perçu par beaucoup comme un ardent terroriste, qui a déclaré que l'État d'Israël n'a aucun droit d'exister. Cependant, nombreux sont ceux dans le monde arabe, en particulier les Chiites, qui le considèrent comme un chef de la résistance qui a résisté à Israël pendant la guerre de l'été dernier, qui a duré 33 jours. De la même manière, ceux-là considèrent aussi Siniora comme un médiocre politicien qui compte sur le soutien de l'Amérique mais qui a été incapable de persuader le Président Bush d'appeler à la fin de bombardements israéliens sur le Liban. (Des photographies de Siniora embrassant Condoleeza Rice sur la joue lorsqu'elle lui a rendu visite pendant la guerre ont été ostensiblement montrées pendant les manifestations de Beyrouth.)

Depuis l'été dernier, l'Administration Bush a promis publiquement au gouvernement Siniora une aide d'un milliard de dollars. Une conférence de donateurs à Paris, en janvier, que les États-Unis ont aidé à organiser, a recueilli des promesses de dons pour près de huit milliards supplémentaires, dont une promesse de plus d'un milliard de la part des Saoudiens. La promesse américaine inclut plus de 200 millions de dollars en aide militaire et 40 millions de dollars pour la sécurité intérieure.

Selon l'ancien responsable des services secrets et le conseiller du gouvernement américain, les États-Unis ont également fourni un soutien clandestin au gouvernement Siniora. "Nous avons un programme en cours, destiné à accroître la capacité sunnite à résister à l'influence chiite, et nous distribuons autant d'argent que nous le pouvons," a déclaré cet ancien responsable des services secrets. Le problème était que ce type de fonds "atterrit toujours dans plus de poches que ce que l'on pense initialement," a-t-il dit. "Dans ce processus, nous finançons un tas de sales types, avec quelques conséquences sérieuses non désirées. Nous n'avons pas la capacité de déterminer les gens que nous aimons et d'obtenir des reçus signés de leur part, ni d'éviter les gens que nous n'aimons pas. C'est une entreprise à très haut risque."

Les responsables américains, européens et arabes auxquels j'ai parlé m'ont raconté que le gouvernement Siniora et ses alliés avaient permis qu'une partie de l'aide atterrisse entre les mains de groupes sunnites radicaux émergents dans le nord du Liban, dans la vallée de la Bekaa et autour des camps de réfugiés palestiniens dans le sud. Ces groupes, bien que de tailles réduites, sont perçus comme une protection contre le Hezbollah. Mais, en même temps, leurs liens idéologiques sont avec al-Qaïda.

Lors d'une conversation que nous avons eue ensemble, l'ancien diplomate saoudien a accusé Nasrallah de vouloir "s'emparer de force de l'État", mais il a aussi protesté contre le financement libanais et saoudien des Djihadistes sunnites au Liban. "Les salafistes sont des malades haineux et je suis très opposé à l'idée de jouer avec eux," m'a-t-il dit. "Ils haïssent les Chiites, mais ils haïssent encore plus les Américains. Si l'on tente de jouer au plus malin avec eux, ce sont eux qui finiront par nous avoir. Ce sera atroce."

Alastair Crooke, qui a passé près de trente ans au MI6, les services secrets britanniques, et qui travaille à présent pour le Conflicts Forum, un groupe de réflexion à Beyrouth, m'a raconté : "Le gouvernement libanais est en train d'ouvrir un espace pour accueillir ces gens. Cela pourrait être très dangereux." Crooke a dit qu'un groupe extrémiste sunnite, le Fatah al-Islam, s'était scindé à partir du groupe pro-syrien Fatah al-Intifada, dans le camp de réfugiés de Nahr al-Bared, dans le nord du Liban. A l'époque, ce groupe comptait moins de 200 membres. "On m'a dit que dans les 24 heures, ils s'étaient vus offrir des armes et de l'argent par des gens se présentant comme des représentants des intérêts du gouvernement libanais &mdash certainement pour affronter le Hezbollah," a dit Crooke.

Le plus important de ces groupes, Asbat al-Ansar, est situé dans le camp de réfugiés palestiniens d'Aïn al-Houlwah. Asbat al-Ansar a reçu des armes et du matériel de la part des Forces de Sécurité Intérieures libanaises et des milices associées au gouvernement Siniora.

En 2005, selon un rapport de l'International Crisis Group, dont le siège se trouve aux États-Unis, Saad Hariri, le chef de la majorité sunnite au Parlement libanais et fils de l'ancien Premier ministre assassiné &mdash Saad a hérité de plus de quatre milliards de dollars après le meurtre de son père &mdash a payé 48.000 dollars de caution pour quatre membres d'un groupe d'activistes islamiques de Dinniyeh. Ces hommes avaient été arrêtés alors qu'ils tentaient d'établir un mini-État islamique dans le nord du Liban. Le Crisis Group a fait remarquer que beaucoup de ces militants "s'étaient entraînés dans les camps d'al-Qaïda en Afghanistan."

Selon le rapport du Crisis Group, Saad Hariri a utilisé par la suite sa majorité parlementaire pour obtenir l'amnistie de 22 Islamistes de Dinniyeh, ainsi que pour sept activistes soupçonnés de préparer des attentats à la bombe contre les ambassades d'Italie et d'Ukraine à Beyrouth, l'année précédente. (Il a aussi arrangé l'amnistie de Samir Geagea, un chef de milice chrétien maronite, qui avait été condamné pour quatre meurtres politiques, dont l'assassinat, en 1987, du Premier ministre Rachid Karami.) Hariri a justifié ses actions auprès de la presse comme étant humanitaires.

Lors d'une entrevue à Beyrouth, un haut responsable du gouvernement Siniora a reconnu que des Djihadistes sunnites opéraient à l'intérieur du Liban. "Nous avons une attitude libérale qui permet à des organisations de type al-Qaïda d'avoir une présence ici," a-t-il dit. Il liait cela à la préoccupation que l'Iran ou la Syrie puissent décider de transformer le Liban en "théâtre de conflit".

Ce responsable a déclaré que son gouvernement était dans une situation qui ne pouvait pas gagner. Sans un règlement politique avec le Hezbollah, a-t-il dit, le Liban pourrait "s'enfoncer dans un conflit" où le Hezbollah affronterait ouvertement les forces sunnites, avec des conséquences potentiellement terrifiantes. Mais, si le Hezbollah acceptait un accord tout en maintenant une armée séparée, alliée avec l'Iran et la Syrie, "le Liban pourrait devenir une cible. Dans les deux cas, nous devenons une cible."

L'Administration Bush a présenté son soutien au gouvernement Siniora comme un exemple de la croyance du Président en la démocratie et de son désir d'empêcher d'autres puissances de s'ingérer au Liban. Quand le Hezbollah a conduit les manifestations de Beyrouth en décembre, John Bolton, qui était alors ambassadeur des Etats-Unis à l'ONU, les a dépeintes comme "faisant partie d'un coup d'Etat inspiré par l'Iran et la Syrie."

Leslie H. Gelb, un ancien Président du Council on Foreign Relations [CFR] a déclaré que la politique de l'Administration était moins motivée par la défense de la démocratie que par "la sécurité nationale américaine. Le fait est qu'il serait terriblement dangereux si le Hezbollah dirigeait le Liban." La chute du gouvernement Siniora serait perçue, a ajouté Gelb, "comme un signal au Proche-Orient du déclin des États-Unis et de l'ascendance de la menace terroriste. Et, donc, les Etats-Unis doivent s'opposer à tout changement dans la répartition du pouvoir politique au Liban &mdash et cela justifie que nous aidions tout groupe non-chiite à résister à ce changement. Nous devrions le dire publiquement, plutôt que de parler de démocratie."

Martin Indyk, du Saban Centre, a toutefois déclaré que les Etats-Unis "n'ont pas assez d'influence pour empêcher les modérés au Liban de passer des accords avec les extrémistes." Il a ajouté, "Le Président voit cette région comme étant divisée entre modérés et extrémistes, mais nos amis dans la région la voient comme divisée entre Sunnites et Chiites. Les Sunnites que nous considérons comme extrémistes sont considérés par nos alliés sunnites comme rien de plus que des Sunnites."

En janvier, après une explosion de violence à Beyrouth, impliquant à la fois les partisans de Siniora et ceux du Hezbollah, le prince Bandar s'est envolé pour Téhéran pour discuter de l'impasse politique au Liban et rencontrer Ali Larijani, le négociateur des iraniens sur les questions nucléaires. Selon un ambassadeur au Proche-Orient, la mission de Bandar &mdash que l'ambassadeur a dit être soutenue par la Maison blanche &mdash avait aussi pour but "de créer des problèmes entre les Iraniens et les Syriens." Il y avait eu des tensions entre les deux pays à propos de pourparler syriens avec Israël et le but des Saoudiens était d'encourager une brèche. Cependant, a dit l'ambassadeur, "Cela n'a pas marché. La Syrie et l'Iran ne vont pas se trahir mutuellement. L'approche de Bandar n'a que très peu de chances de réussir."

Walid Joumblatt, qui est le chef de la minorité druze au Liban et un ardent supporter de Siniora, a accusé Nasrallah d'être un agent de la Syrie et a dit régulièrement aux journalistes étrangers que le Hezbollah est sous le contrôle direct des chefs religieux en Iran. Lors d'une conversation qu'il a eu avec moi en décembre dernier, il a dépeint Bashar Assad, le président syrien, comme un "tueur en série". Il a dit que Nasrallah était "moralement coupable" de l'assassinat de Rafik Hariri et du meurtre, en novembre dernier, à cause de son soutien aux Syriens, de Pierre Gemayel, un membre du gouvernement Siniora.

Joumblatt m'a alors dit qu'il avait rencontré le Vice-président Cheney en automne dernier à Washington pour discuter, parmi d'autres sujets, de la possibilité d'ébranler Assad. Ses collègues et lui-même avaient avisé Cheney que si les Etats-Unis voulaient vraiment manœuvrer contre la Syrie, les membres des Frères Musulmans Syriens seraient "les gens à qui parler", m'a dit Joumblatt.

Les Frères Musulmans Syriens, une branche du mouvement radical sunnite fondé en Égypte en 1928, se sont engagés depuis plus de dix ans dans une opposition violente au régime d'Hafez Assad, le père de Bachar. En 1982, les Frères prirent le contrôle de la ville de Hama : Assad fit bombarder la ville pendant une semaine, tuant entre 6.000 et 20.000 personnes. En Syrie, faire partie des Frères Musulmans est passible de la peine de mort. Les Frères Musulmans sont aussi des ennemis jurés des Etats-Unis et d'Israël.

Néanmoins, a déclaré Joumblatt, "Nous avons dit à Cheney que le lien principal entre l'Iran et le Liban est la Syrie &mdash et, que pour affaiblir l'Iran, il lui faut ouvrir la porte à une opposition syrienne efficace."

Il existe des preuves que la réorientation de l'Administration a déjà profité aux Frères Musulmans. Le Front National du Salut syrien est une coalition de groupes d'opposition dont les principaux membres sont une faction dirigée par Abdul Halim Khaddam, un ancien vice-président syrien qui a fait défection en 2005, et les Frères Musulmans. Un ancien officier de haut rang de la CIA m'a confié, "Les Américains ont apporté un soutien à la fois politique et financier. Les Saoudiens ont pris le commandement du soutien financier, mais les Américains y sont impliqués." Il a déclaré que Khaddam, qui vit désormais à Paris, recevait de l'argent de l'Arabie Saoudite et que la Maison blanche le savait. (Selon les rapports de presse, une délégation de membres du Front a rencontré en 2005 des fonctionnaires du National Security Council [NSC].) Un ancien fonctionnaire de la Maison blanche m'a raconté que les Saoudiens avaient fourni aux membres du Front les papiers pour le voyage.

Joumblatt a déclaré qu'il comprenait que cette question était sensible pour la Maison Blanche. "J'ai dit à Cheney que certaines personnes dans le monde arabe, principalement les Égyptiens" &mdash dont les dirigeants sunnites modérés combattent les Frères Musulmans Egyptiens depuis des dizaines d'années &mdash "n'apprécieraient pas que les États-Unis aident les Frères Musulmans. Mais si l'on ne s'en prend pas à la Syrie, nous resterons au Liban face au Hezbollah pour un long combat &mdash et ce combat, nous pourrions ne pas le gagner."

Le Cheikh

Par une nuit chaude et claire au début du mois de décembre dernier, dans une banlieue dévastée par les bombes à quelques kilomètres au sud du centre-ville de Beyrouth, j'ai pu me faire une idée sur la façon dont pourrait se dérouler la nouvelle stratégie de l'Administration au Liban. Le Cheikh Hassan Nasrallah, le dirigeant du Hezbollah qui se cache, avait accepté une interview. Les arrangements que nous avions conclus pour la sécurité de cette rencontre étaient à la fois secrets et complexes. Je fus conduit, à l'arrière d'une voiture aux vitres teintées, dans un garage souterrain endommagé quelque part dans Beyrouth, fouillé avec un scanner à main, placé dans une seconde voiture pour être conduit dans un autre garage également éventré par les bombements, puis à nouveau transféré. L'été dernier, il a été rapporté qu'Israël tentait de tuer Nasrallah, mais ces précautions draconiennes n'étaient pas seulement justifiées par cette menace. Les assistants de Nasrallah m'ont dit qu'ils pensaient qu'il était une cible de premier choix pour leurs semblables arabes, en premier rang desquels les agents des services secrets jordaniens, de même que les Djihadistes sunnites, qui, pensent-ils, sont liés à al-Qaïda. (Le conseiller du gouvernement et un général quatre étoiles à la retraite m'ont dit que les services secrets jordaniens, avec le soutien des États-Unis et d'Israël, avaient essayé d'infiltrer des groupes chiites, pour agir contre le Hezbollah. Le Roi Abdallah II de Jordanie a mis en garde qu'un gouvernement chiite en Irak qui serait trop proche de l'Iran conduirait à l'émergence d'un croissant chiite.) Il y a, là, un tournant quelque peu ironique : la bataille entre Nasrallah et Israël de l'été dernier a fait de lui &mdash un Chiite ! &mdash le personnage le plus populaire et le plus influent parmi les Sunnites et les Chiites de toute la région. Cependant, ces derniers mois, il est perçu de plus en plus par certains Sunnites non pas comme un symbole de l'unité arabe, mais comme un acteur dans une guerre sectaire.

Nasrallah, vêtu comme d'habitude d'un costume religieux, m'attendait dans un appartement quelconque. L'un de ses conseillers m'a dit qu'il ne resterait probablement pas là toute la nuit, car il se déplace constamment depuis sa décision, en juillet dernier, d'ordonner l'enlèvement de deux soldats israéliens, lors d'un raid de l'autre côté de la frontière, en marge de la guerre de 33 jours. Depuis, Nasrallah a déclaré publiquement &mdash et me l'a répété &mdash qu'il avait mal évalué la riposte israélienne."Nous voulions juste capturer des prisonniers en vue d'un échange," m'a-t-il raconté. "Nous n'avons jamais voulu entraîner la région dans la guerre."

Nasrallah a accusé l'Administration Bush de travailler avec Israël pour lancer la fitna, un mot arabe utilisé dans le sens "d'insurrection et de fragmentation à l'intérieur de l'Islam". "À mon avis, il y a une gigantesque campagne mondiale dans les médias pour monter chaque camp contre l'autre," a-t-il dit. "Je pense que tout cela est organisé par les services secrets américains et israéliens." (Il n'a pas fourni de preuve spécifique sur cela.) Il a dit que la guerre étasunienne en Irak avait attisé les tensions confessionnelles, mais il a affirmé que le Hezbollah avait tenté d'empêcher qu'elles ne se répandent au Liban. (Les affrontements sunnites-chiites ont augmenté, parallèlement à la violence, dans les semaines qui ont suivi notre discussion.)

Nasrallah a dit qu'il pensait que l'objectif du président Bush était de "dessiner une nouvelle carte pour la région. Ils veulent une partition de l'Irak. L'Irak n'est pas au bord de la guerre civile &mdash il y a déjà la guerre civile. Il y a un nettoyage ethnique et sectaire en cours. Les tueries quotidiennes et les déplacements de population qui se déroulent en Irak ont pour objectif d'aboutir à trois parties irakiennes, qui seront pures selon des lignes sectaires et ethniques, en prélude à la partition de l'Irak. Dans un an ou deux, tout au plus, il y aura des zones entièrement sunnites, des zones entièrement chiites et des zones entièrement kurdes. Même à Bagdad, on craint que la ville ne soit divisée en deux zones, l'une sunnite et l'autre chiite."

Il a poursuivit : "Je suis en mesure de dire que le président Bush ment lorsqu'il dit qu'il ne veut pas de la partition de l'Irak. Tous les faits qui se déroulent aujourd'hui sur le terrain permettent d'affirmer avec certitude qu'il est en train d'entraîner l'Irak vers une partition. Et un jour viendra où il déclarera : 'Je n'y peux rien, puisque les Irakiens veulent la partition de leur pays et que je me soumets à la volonté du peuple irakien.'"

Nasrallah a déclaré qu'il croit que l'Amérique veut aussi amener le Liban et la Syrie à la partition. En Syrie, a-t-il dit, le résultat serait de pousser le pays "au chaos et aux batailles intestines comme en Irak." Au Liban, "il y aura un Etat sunnite, un Etat alaouite, un Etat chrétien et un Etat druze." Mais, a-t-il ajouté, "j'ignore s'il y aura un Etat chiite." Nasrallah m'a confié qu'il suspectait que l'un des objectifs des bombardements israéliens de l'été dernier au Liban était "la destruction des zones chiites et le déplacement des Chiites hors du Liban. L'idée était que les Chiites du Liban et de la Syrie s'enfuient vers le sud de l'Irak," qui est dominé par les Chiites. "Je n'en suis pas sûr, mais je le flaire", m'a-t-il dit.

Une partition laisserait Israël entouré de "petits États tranquilles", a-t-il dit. "Je peux vous assurer que le royaume saoudien sera lui aussi divisé et cette question touchera les Etats d'Afrique du Nord. Il y aura des petits Etats ethniques et confessionnels," a-t-il dit. "Autrement dit, Israël sera l'Etat le plus important et le plus fort d'une région qui aura été morcelée en Etats ethniques et confessionnels qui s'accorderont entre eux. C'est cela, le nouveau Proche-Orient."

En fait, l'Administration Bush s'est catégoriquement opposée à des pourparlers en vue d'une partition de l'Irak et ses positions publiques suggèrent que la Maison blanche voie un futur Liban qui est intact, avec un Hezbollah affaibli et désarmé jouant, tout au plus, un rôle politique mineur. Il n'y a pas non plus de preuves pour soutenir la croyance de Nasrallah que les Israéliens cherchent à déplacer les Chiites vers le sud de l'Irak. Néanmoins, la vision de Nasrallah d'un large conflit sectaire, dans lequel les États-Unis sont impliqués, indique une conséquence possible de la nouvelle stratégie de la Maison Blanche.

Dans cette interview, Nasrallah a fait des gestes et des promesses apaisants qui seraient certainement accueillis avec scepticisme par ses opposants. "Si les États-Unis disent que des discussions avec des gens comme nous peuvent être utiles et qu'elles peuvent avoir une influence sur la politique américaine dans la région, nous ne formulons aucune objection à des discussions ou à des rencontres," a-t-il déclaré. "Mais si le but de ces rencontres est de nous imposer leur politique, alors ce sera une perte de temps." Il a déclaré que la milice du Hezbollah, à moins d'être attaquée, n'opérerait qu'à l'intérieur des frontières libanaises et il a promis de désarmer lorsque l'armée libanaise serait capable de faire face. Nasrallah a dit qu'il n'avait aucun intérêt à déclencher une autre guerre avec Israël. Cependant, il a ajouté qu'il anticipait une autre attaque israélienne, plus tard dans l'année, et qu'il s'y préparait.

Nasrallah a insisté aussi sur le fait que les manifestations à Beyrouth continueraient jusqu'à ce que le gouvernement Siniora tombe ou qu'il réponde aux exigences politiques de sa coalition. "En pratique, le gouvernement ne peut plus diriger," m'a-t-il dit. "Il peut émettre des ordres, mais la majorité du peuple libanais refusera de s'y soumettre et ne reconnaîtra pas la légitimité de ce gouvernement. Siniora reste au pouvoir grâce au soutien international, mais cela ne signifie pas que Siniora puisse diriger le Liban." Les louanges répétées du Président Bush au gouvernement Siniora, a dit Nasrallah,"est le meilleur service qu'il puisse rendre à l'opposition libanaise, parce que cela affaiblit leur position vis-à-vis du peuple libanais et des populations arabes et musulmanes. Ils parient sur le fait que nous fatiguerons. Nous n'avons pas montré de signe de fatigue pendant la guerre, alors comment des manifestations pourraient-elles nous fatiguer ?"

Il y a une vive division à l'intérieur et à l'extérieur de l'Administration Bush sur la meilleure façon de traiter avec Nasrallah et s'il pouvait, en fait, être un partenaire dans un règlement politique. Le directeur sortant du Renseignement National, John Negroponte, dans son audition d'adieu à la commission sénatoriale du renseignement, en janvier, a dit que le Hezbollah "se trouvait au centre de la stratégie terroriste de l'Iran... Cette organisation pourrait décider de mener des attaques contre les intérêts américains au cas où il jugerait que sa survie ou celle de l'Iran est menacée... Le Hezbollah libanais se perçoit lui-même comme un partenaire de Téhéran."

En 2002, Richard Armitage, alors Secrétaire d'Etat adjoint, a qualifié le Hezbollah de "troupe d'élite" des terroristes. Cependant, dans une interview récente, Armitage a reconnu que la question était devenue quelque peu plus compliquée. Nasrallah, m'a dit Armitage, est devenu "une force politique d'un certain intérêt, qui a un rôle politique à jouer à l'intérieur du Liban s'il décide de le faire". En termes de stratagèmes politique et de relations publiques, m'a déclaré Armitage, Nasrallah"est l'homme le plus futé du Proche-Orient." Mais, a-t-il ajouté, Nasrallah "doit démontrer clairement qu'il est prêt à jouer le jeu selon les règles d'une opposition loyale. Pour moi, il a toujours une dette de sang à payer" &mdash une allusion au colonel assassiné et à l'attaque de la caserne des Marines. Robert Baer, un ancien agent de longue date de la CIA au Liban, a critiqué sévèrement le Hezbollah et a prévenu de ses liens avec le terrorisme soutenu par l'Iran. Mais désormais, m'a-t-il dit, "nous avons des Arabes sunnites qui se préparent à un conflit cataclysmique et nous avons besoin de quelqu'un pour protéger les Chrétiens au Liban. Ce rôle était tenu par les Français et les États-Unis et, maintenant, il sera tenu par Nasrallah et les Chiites."

"L'histoire la plus importante au Proche-Orient est la transformation de Nasrallah, qui était un garçon des rues, en leader &mdash il est passé de terroriste à homme d'État," a ajouté Baer. "Le seul qui n'a pas délégué le travail à quelqu'un d'autre" &mdash lors de la guerre avec Israël &mdash "est le terrorisme chiite." Baer faisait allusion aux craintes que Nasrallah, en plus de tirer des roquettes sur Israël et d'enlever ses soldats, a la capacité de déclencher une vague d'attaques terroristes contre des cibles israéliennes et américaines dans le monde entier."Il aurait pu en déclencher une, mais il ne l'a pas fait," a dit Baer.

La plupart des membres des communautés du renseignement et de la diplomatie reconnaissent les liens actuels entre le Hezbollah et l'Iran. Mais ils sont en désaccord sur l'étendue à laquelle Nasrallah mettrait de côté les intérêts du Hezbollah au profit de ceux de l'Iran. Un ancien officier de la CIA qui a servi au Liban a qualifié Nasrallah de "phénomène libanais", ajoutant, "Oui, il est assisté par l'Iran et la Syrie, mais le Hezbollah a dépassé cela." Il m'a dit qu'à une certaine période, à la fin des années 80 et au début des années 90, le poste de la CIA à Beyrouth parvenait à écouter clandestinement les conversations de Nasrallah. Il décrivit Nasrallah comme "un chef de gang qui était capable de passer des accords avec d'autres gangs. Il avait des contacts avec tout le monde."

Informer le Congrès

La dépendance de l'Administration Bush sur des opérations clandestines qui n'ont pas été rapportées au Congrès et ses accords passés avec des intermédiaires dont l'agenda est discutable ont rappelé à certains, à Washington, un précédent chapitre de notre Histoire. Il y a une vingtaine d'années, l'Administration Reagan avait tenté de financer les contras du Nicaragua de manière illégale, au moyen de ventes secrètes d'armes à l'Iran. De l'argent saoudien était impliqué dans ce qui devint le fameux scandale Iran-Contra et quelques acteurs de l'époque &mdash notamment le prince Bandar et Elliott Abrams &mdash sont impliqués dans les opérations actuelles.

Le scandale Iran-Contra fut le sujet d'une discussion officieuse entre les vétérans de ce scandale, il y a deux ans, du genre "on a appris les leçons". Abrams menait la discussion. Une des conclusions était que même si le programme ait fini par être révélé, il avait été possible de l'exécuter sans en informer le Congrès. Quant à ce que l'expérience leur avait appris, en termes de futures opérations secrètes, les participants ont découvert : "Un, vous ne pouvez pas faire confiance à vos amis. Deux, la CIA doit être totalement tenue à l'écart. Trois, vous ne pouvez pas faire confiance aux militaires en uniforme et, quatre, cela doit être géré à partir du bureau du Vice-président" &mdash une allusion au rôle de Cheney, m'a dit l'ancien responsable des services secrets.

Par la suite, deux conseillers du gouvernement et l'ancien responsable des services secrets m'ont dit que l'écho avec le scandale Iran-Contra a été l'une des raisons à la décision de Negroponte de démissionner de son poste de directeur du Renseignement National et d'accepter le poste subalterne d'adjoint au Secrétariat d'État. (Negroponte a refusé de faire des commentaires.)

L'ancien responsable des services secrets m'a dit aussi que Negroponte ne voulait pas répéter l'expérience qu'il avait eue sous l'Administration Reagan, quand il était ambassadeur au Honduras. "Negroponte a déclaré, 'Pas question. Je ne vais pas suivre cette voie une nouvelle fois, avec le NSC menant des opérations hors de tout contrôle légal, sans aucun ordre de mission. (Dans le cas des opérations secrètes de la CIA, le Président doit émettre un ordre de mission écrit et informer le Congrès.) Negroponte a gardé son poste de Secrétaire d'État Adjoint, a-t-il ajouté, parce qu'"il pense qu'il peut influencer le gouvernement dans un sens positif."

Le conseiller du gouvernement a déclaré que Negroponte partageait les objectifs politiques de la Maison blanche, mais qu'il "voulait le faire dans les règles". Le conseiller du Pentagone m'a dit aussi que, "parmi les hauts-gradés, on avait le sentiment qu'il n'était pas totalement partie prenante dans les opérations clandestines les plus aventureuses". Il était également vrai, a-t-il dit, que Negroponte "avait des problèmes avec cette usine à gaz politique à la Rube Goldberg destinée à régler la situation au Proche-Orient."

Le conseiller du Pentagone a ajouté que l'une des difficultés, en termes d'erreur, était de compter sur les fonds secrets. "Il y a beaucoup, beaucoup de caisses noires, éparpillées à de nombreux endroits et utilisées partout dans le monde pour une variété de missions", a-t-il dit. Le chaos budgétaire en Irak, où des milliards de dollars ne relèvent d'aucune responsabilité, a facilité de telles transactions, selon l'ancien responsable des services secrets et le général quatre étoiles en retraite.

"Cela remonte à l'Iran-Contra", m'a dit un ancien assistant du National Security Council. "Et une grande partie de ce qu'ils font est de maintenir l'Agence à l'écart." Il a déclaré que le Congrès n'était pas informé de l'intégralité des opérations américano-saoudiennes. Et, a-t-il dit, "La CIA demande, 'Que se passe-t-il ?' Cela les préoccupe car ils pensent qu'on nage en plein amateurisme."

La question de la négligence commence à attirer plus l'attention de la part du Congrès. En novembre dernier, le Service de Recherche du Congrès a émis un rapport destiné au Congrès sur ce qui est décrit comme la confusion de l'Administration sur la limite entre les opérations de la CIA et celles strictement militaires, qui n'ont pas les mêmes exigences en termes d'information au Congrès. Et la Commission Sénatoriale du Renseignement, dirigé par le sénateur Jay Rockefeller, a programmé une audience pour le 8 mars sur les activités de renseignement du Département de la Défense.

Le sénateur Ron Wyden, de l'Oregon, un Démocrate qui est membre de la Commission du Renseignement, m'a déclaré : "L'Administration Bush a fréquemment manqué à ses obligations légales d'informer complètement la Commission du Renseignement. A chaque fois, la réponse a été : 'Faites-nous confiance.'" Wyden a ajouté : "J'ai du mal à faire confiance à l'administration."

Traduit de l'anglais par [JFG/QuestionsCritiques]