Les pays de l'ASEAN, l'avenir de la croissance chinoise ?
Dans l'ombre du Dragon
par John Downs
article original : "In the shadow of the dragon"
Asia Times OnLine, publié le 14 juillet 2010
Bien que la Chine ne soit pas la plus grande économie mondiale par son PIB – elle arrive en troisième position, après une croissance de 8,7% l'année dernière – ses exportations sont vues de plus en plus comme la bouée de sauvetage nécessaire pour de nombreuses économies chancelantes. Mais alors que la Chine vise à devenir le premier exportateur du monde, il est utile de se rappeler que ses deux premiers clients à l'export, les Etats-Unis et l'Union Européenne (UE), sont fauchés. En conséquence, la Chine sait qu'elle doit regarder au-delà des marchés développés pour poursuivre sa croissance.
Tandis qu'un rééquilibrage de l'économie chinoise vers sa consommation intérieure est de plus en plus évident, les Chinois concentrent aussi de façon dynamique leurs investissements sur les marchés émergents. En se garantissant l'accès aux précieuses ressources naturelles, en développant leurs infrastructures et en accroissant leurs relations commerciales avec le monde en développement, les Chinois réduisent leur dépendance économique vis-à-vis des marchés arrivés à maturité que sont les USA et l'UE.
Dans le monde en développement, il est difficile de ne pas voir l'influence de la Chine. Les accords commerciaux directs avec le Brésil (le premier partenaire commercial de la Chine) et l'Argentine reflètent son influence croissante en Amérique du Sud, longtemps considérée comme la sphère d'influence des Etats-Unis. L'Afrique a connu un afflux d'investissements chinois, avec des contrats « ressources en échange du développement » signés par plusieurs pays africains.
Contrairement à l'Occident, la Chine laisse rarement la possibilité à d'autres intérêts de la surpasser dans ses affaires. La Chine a conclu des accords avec des Etats parias comme le Soudan, l'Iran et le Venezuela. L'accueil chaleureux que ces pays reçoivent à Pékin est en contraste aigu avec l'accueil réservé à de nombreuses entreprises chinoises sur les rives de l'Amérique – demandez donc à CNOOC, qui fut obligée en 2005 de se retirer des enchères sur UNOCAL dans une atmosphère politique chargée.
Mais nulle part ailleurs que près de ses frontières ne ressentons-nous mieux l'influence grandissante de la Chine.
Ce mois-ci, un Accord Cadre de Coopération Economique décisif a été signé avec Taiwan. Cet accord réduit ou élimine pour des milliards de dollars les droits de douane sur les importations en provenance de Taiwan et, presque aussi important, il ouvre la porte à d'autres pays asiatiques pour signer des accords commerciaux avec Taiwan sans la crainte de s'attirer les foudres de la Chine. Etant donné l'ombre étendue projetée par le renforcement du territoire continental [de la Chine], certains à Taiwan ont dépeint ce traité comme une « question de vie ou de mort économique ». C'est peut-être un peu mélodramatique, mais c'est ainsi qu'est perçue l'importance d'être compétitif en Chine.
Au sud de la Chine, le bloc des 10 membres du marché frontalier émergent, les pays connus sous le nom de l'Association des Nations Asiatiques du Sud-Est (ASEAN) ont vu leurs liens économiques avec la Chine se renforcer considérablement au cours des dix dernières années. En janvier de cette année, a été lancé l'Accord de Libre Echange très anticipé entre la Chine et l'ASEAN, couvrant près de 2 milliards de personnes et 250 milliards de dollars de flux commerciaux pour la seule année 2008. L'ASEAN compte 580 millions de consommateurs potentiels pour les exportations chinoises et une économie combinée plus grande que celle de l'Inde.
Des réserves substantielles de ressources naturelles, comme le pétrole, le gaz naturel, le charbon et autres matières premières, sont d'un vif intérêt pour la Chine assoiffée de ressources naturelles. Le développement de nouvelles infrastructures sera nécessaire pour accéder à toutes ces ressources, et les Chinois sont toujours contents de donner un coup de main. Au Vietnam, par exemple, les sociétés chinoises détiennent un-tiers des projets de construction en cours – incluant des voies ferrées, des ports et des centrales électriques.
On s'attend à ce que le commerce bilatéral entre la Chine et l'ASEAN dépasse les échanges entre les USA et l'ASEAN d'ici la fin de 2012, une croissance de 50% par rapport aux niveaux actuels. Selon les estimations conservatrices de la lettre d'information confidentielle sur la Chine du Financial Times, l'investissement direct de la part des sociétés chinoises dans les pays de l'ASEAN pourrait s'élever à un cumul de 30 milliards de dollars d'ici fin 2012, multipliant par près de cinq fois le cumul de 6,5 milliards de dollars à la fin de 2008.
Une grande partie de cette poussée vers les pays de l'ASEAN est motivée par le coût structurel croissant auquel doivent faire face les entreprises chinoises dans leur pays. Les pénuries de main d'œuvre en Chine et les grèves conduisent à des salaires plus élevés et probablement à l'appréciation du yuan. Bien que ce soit un signe de l'augmentation de la richesse des Chinois, certains fabricants à bas coûts pourraient se déplacer vers les pays de l'ASEAN disposés à les accueillir, qui sont actuellement à un niveau plus bas sur l'échelle économique. Les parcs d'activité industrielle poussent comme des champignons dans tout le Sud-Est asiatique pour répondre à cette tendance.
Dans ce qui devrait être un leitmotiv bien connu outre-atlantique, les entreprises chinoises cherchent à se déplacer au « sud de leur frontière » pour rester compétitives. Un bénéfice non-intentionnel sera probablement l'acceptation accrue du yuan dans les pays de l'ASEAN, en tant que devise stable et de plus en plus forte. Les Chinois ont l'intention de faire du yuan le premier choix de devise pour les accords commerciaux dans l'ASEAN, en remplacement du dollar américain. Cela pourrait former la tête de pont à partir de laquelle le yuan s'établira comme une véritable devise de réserve internationale.
Pour les investisseurs, la poussée de la Chine vers ses marchés frontaliers pourrait offrir des retours prometteurs à moyen-terme. Par exemple, les obligations des marchés émergents ont progressé chaque trimestre depuis la fin de 2008 et affiché des afflux records de capitaux cette année. (Les performances passées ne garantissent pas les résultats futurs.) Malheureusement, l'accès aux marchés frontaliers a été historiquement difficile pour les petits investisseurs. Les pratiques comptables médiocres, la corruption, le manque de connaissance locale et l'absence de liquidité sont des risques à prendre en compte.
Cependant, pour le bon investisseur, il y a des opportunités croissantes sur ces marchés à travers les sociétés chinoises entreprenantes. Les échanges à Hong Kong, Singapour, l'Australie et même le Canada sont désormais le terrain de jeu des entreprises chinoises qui investissent ou opèrent dans les pays membres de l'ASEAN.
Aujourd'hui, ces marchés historiquement éloignés ne sont plus le domaine exclusif des hedge funds, des institutions et des investisseurs qualifiés. Tout investisseur cherchant à capitaliser sur la croissance en Asie peut désormais regarder au-delà de la Chine et vers les économies émergentes de l'ASEAN, qui étaient auparavant dans l'ombre du dragon.John Downs est le directeur adjoint de la filiale à Los Angeles de Euro Pacific Capital. Au cours d'une mission de 10 semaines en Chine et en Asie du Sud-Est au début de cette année, John a été le témoin de première main de la vitalité de l'économie asiatique et il a ramené avec lui une nouvelle appréciation sur les économies émergentes. Il est diplômé d'Histoire et de Science Politique de l'Université de Californie à Davis. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de son auteur.
Copyright 2010 Euro Pacific Capital / traduction [JFG-QuestionsCritiques]