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Crise financière

Le sort de Lehman Brothers

Wall Street Journal, 13 septembre 2008 - Page A16

article original : "Lehman's Fate"


Wall Street en crise financière a des règles similaires à celles de la savane africaine : Les hyènes attrapent d'abord le gnou le plus faible. Et c'est ainsi que cela c'est passé cette semaine, alors que les investisseurs et les prêteurs essayent de prendre le contrôle de la banque d'investissement, vénérable mais malade, Lehman Brothers. Le reste du troupeau de financiers est tout aussi effrayé, mais nous espérons que cette institution ne sera pas secourue par les contribuables pour calmer tout le monde.

Les actions de Lehman ont plongé à nouveau lourdement jeudi, cédant environ 45% pour la deuxième fois de la semaine. Cette firme a prévu 3,9 milliards de dollars supplémentaires de pertes pour le quatrième trimestre, et sa chasse tardive aux capitaux a été jusqu'à présent infructueuse. Tard, hier, est tombée la nouvelle que Lehman se met en vente - auprès de Bank of America, parmi d'autres. Une vente est, d'une manière ou d'une autre, probablement la meilleure issue pour tous ceux qui sont concernés à ce stade, mais l'un des obstacles pourrait être que les acquéreurs potentiels exigeront d'Oncle Sam qu'il garantisse certains des actifs les plus pourris de Lehman.

C'est la conséquence ironique du sauvetage de Bear Stearns, il y a quelques mois, lorsque le PDG de Morgan, Jamie Dimon, a menacé de renoncer à la reprise si la FED n'assumait pas le risque sur 29 milliards de dollars de papier douteux de la Bear Stearns. Le Secrétaire au Trésor, Hank Paulson, et la Réserve Fédérale ont cédé et un précédent inquiétant à été établi. Donc, une garantie de la FED en mars, destinée à enrayer la contagion, pourrait rendre plus difficile de contenir cette mauvaise série six mois plus tard. Le "risque moral" qui accompagne les subventions du gouvernement prouve être une fois encore plus qu'un exercice académique.

Au moins dans le cas de Bear Stearns il y avait quelques risques systémiques. La fenêtre d'escompte[1] de la Réserve Fédérale n'avait pas encore été ouverte aux banques d'investissement et il y avait donc un risque que la panique de liquidités s'amplifie. C'est beaucoup moins probable dans le cas de Lehman. La fenêtre d'escompte est à présent grande ouverte à Merrill Lynch et à Morgan Stanley, parmi d'autres, et les régulateurs fédéraux ont eu des mois pour inspecter la valeur des actifs de Lehman et de ses diverses contreparties. Si la FED entre en jeu pour sauver Lehman, après Bear Stearns et Fannie Mae, on ne pourra plus établir d'exception dans une crise. Nous aurons une nouvelle politique de fait, qui accordera une garantie [fédérale] à Wall Street, ce qui encouragera encore plus de prises de risque inconsidérées.

Et Lehman a pris plus de risques que la plupart [des autres banques d'investissement]. A l'instar de Bear Stearns, elle avait un effet de levier de 30 pour 1[2], qui permettait de faire de plus gros profits au cours de la folie spéculative des années 2005-2006, mais aussi de plus grosses pertes lorsque la musique s'est arrêtée. Lehman a aussi tout misé sur les produits hypothécaires, chargeant même plus, jusqu'au cours de cette année, sur les titres de crédit "Alt-A"[3],. Son PDG, Richard Fuld, semble avoir géré la crise avec moins d'habileté et de promptitude que, par exemple, John Thain à Merrill Lynch.

Ceci ne veut pas dire que tout le monde devrait se réjouir d'un crack boursier désordonné. Dans une crise financière, une grande partie de la gouvernance consiste à résoudre les problèmes des banques avant qu'ils ne se transforment en paniques. Un mariage forcé serait une meilleure gouvernance, même si les actionnaires de Lehman seraient forcés d'absorber le coût de la mauvaise gestion de la société. Ils ont prospéré dans la folie spéculative, comme ce fut le cas des gestionnaires de Lehman, qui devraient aussi être mis à la porte. Le Trésor et la FED peuvent arranger ce mariage sans utiliser l'argent des contribuables.

Traduit de l'anglais (États-Unis) par [JFG-QuestionsCritiques]

Notes :
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[1] Guichet de refinancement d'urgence de la banque centrale. Théoriquement réservé aux banques commerciales lorsqu'elles connaissent une crise de liquidités, la FED a étendu ce service aux banques d'investissement après la faillite de la banque Bear Stearns. La FED a annoncé fin juillet le prolongement de cette extension jusqu'au 30 janvier 2009. Il s'agit donc de fournir des liquidités à ces banques d'investissement qui sont dans la panade parce qu'elles spéculent sur tout et n'importe quoi. Ces dernières offrent des garanties souvent douteuses lorsqu'elles se retrouvent dans cette situation. En juillet la Banque centrale européenne a déclaré qu'elle allait lancer des opérations en dollars.

[2] L'effet de levier explique le taux de rentabilité comptable des capitaux propres en fonction du taux de rentabilité après impôt de l'actif économique (rentabilité économique) et du coût de la dette. Par définition, il est égal à la différence entre la rentabilité des capitaux propres et la rentabilité économique. Lorsqu'il est positif, le recours à l'endettement a permis d'augmenter la rentabilité des capitaux propres de l'entreprise. En revanche, lorsque la rentabilité économique est inférieure au coût de l'endettement, l'effet de levier joue négativement !
De plus, celui-ci reste une tautologie comptable qui ne doit pas faire oublier que le recours à l'endettement augmente le risque lié aux capitaux propres, et ne crée pas au total de valeur. (source : vernimmen.net)

[3] Les crédit Alt-A sont considérés comme étant plus sûrs que les subprime. Cependant, le défaut de remboursement est en forte augmentation. Il atteignait les 10% en mars 2008 et aurait atteint les 15% en juin 2008.