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Crise financière

La Grande-Bretagne est-elle finie ?

Independent, vendredi 23 janvier 2009
Interviews menées par Michael Savage, Sean Farrell, Stephen Foley, Matthieu Robbins et Sean O'Grady

article original : "The economy: Is Britain finished?"

L’un des plus grands financiers du monde a conseillé aux investisseurs :
« Vendez toutes les livres sterling que vous détenez !»
Voilà pourquoi, alors que la mauvaise situation économique que nous
connaissons s’intensifie, nous avons interrogé des experts...


Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie et professeur à l’Université de Columbia, New York

La plaisanterie selon laquelle Londres serait « Reykjavik-sur-la-Tamise » n’est pas appropriée. Ce qui s’est produit est une version plus douce de ce qu’il s’est produit aux Etats-Unis, seulement, cela a été plus transparent. Mon opinion est que l’Amérique se trouve dans une situation bien pire. Le Royaume-Uni ne connaît pas la surabondance immobilière qui existe aux Etats-Unis. L’industrie des services financiers joue un rôle vraiment plus important dans l’économie britannique et, dans les deux pays, son effondrement a de graves ramifications. Je pense que le Royaume-Uni est mieux placé pour y faire face, parce que les Etats-Unis ont toujours la phobie des nationalisations. Les Etats-Unis se trouvent dans la situation où se trouvait le Royaume-Uni au moment de Northern Rock. Le gouvernement britannique a dépensé deux milliards pour essayer de ne pas nationaliser cette banque ; je pense que les Etats-Unis pourraient dépenser environ deux trillions de dollars avant de réaliser qu’il n’y a pas beaucoup d’alternative à un rôle significatif du gouvernement.

David Smith, PDG de Jaguar Land Rover

Les chiffres du PIB publiés aujourd’hui confirmeront sans aucun doute ce que l’industrie automobile vit depuis un bon moment : le Royaume-Uni est fermement entré en récession et y restera probablement pendant quelques temps. Les chiffres de l’Association des Constructeurs et des Concessionnaires Automobiles ont montré hier une chute brutale des ventes et de la production au cours du dernier trimestre de 2008. La crise bancaire a étouffé l’accès au crédit, sans lequel aucune entreprise ne peut survivre. Voilà pourquoi il est important que le gouvernement soutienne également les grandes entreprises. Nous n’avons pas demandé de subventions, mais un accès au crédit à des taux compétitifs. Jaguar Land Rover a enregistré 600 millions de livres de profits au cours des 18 mois précédant la crise du crédit. Nous sommes une entreprise viable avec des produits séduisants ; nous faisons vivre 15.000 personnes directement et 60.000 autres dans la chaîne des fournisseurs ; nous investissons 400 millions de livres par an en recherche et développement ; nous exportons 70% de notre production, comptant pour 4 milliards de livres dans la balance commerciale britannique. Nous sommes une réussite britannique.

Ruth Lea, Conseillère économique du Groupe Bancaire Arbuthnot

Le Royaume-Uni n’est pas fini, mais il va mal. Il va très mal. Nous connaîtrons probablement une contraction de l’économie de 3% cette année, ce qui veut dire, au minimum, un million de chômeurs de plus et une baisse supplémentaire de 10% des prix des logements, une montée des défauts de paiement et des saisies immobilières. Cela se produira quelles que soient les mesures prises par le gouvernement. Cependant, je pense que le gouvernement devrait s’acharner avec obstination sur sa politique pour améliorer l’offre de crédit dans l’économie. Il devrait tout faire pour limiter l’étendue des nationalisations, afin que les banques se fassent toujours une véritable concurrence. Le paquet bancaire que les ministres ont annoncé la semaine dernière n’était pas mauvais et le plan de rachat d’actifs, dans lequel la Banque d’Angleterre achète les titres des banques et des sociétés, pourrait se développer en un système utile pour « un soulagement quantitatif » ou ce que l’on appelle la planche à billets.

Je ne vois pas l’intérêt de baisser les taux à nouveau.

Martin Weale, Directeur du National Institute for Economic and Social Research

Le Royaume-Uni va-t-il s’effondrer ? Non. C’est une question idiote. Nous pourrions finir par emprunter au FMI, mais ce n’est absolument pas la même chose. La récession finira probablement par ressembler à celle de 1980, avec la production qui baissera pendant la plus grande partie de cette année. Mais cela repose sur le fait que les conditions de crédit s’améliorent. Le gouvernement dit effectivement qu’il va continuer de réfléchir aux moyens de faire en sorte que cela se produise, jusqu’à ce que quelque chose marche. Il se pourrait très bien que cela s’avère être la nationalisation des banques et le gouvernement le fera probablement très vite plutôt que de laisser la situation traîner pendant encore six mois. Personnellement, j’aurais probablement adopté un encouragement fiscal plus important que celui du gouvernement et réduit les cotisations sociales plutôt que la TVA. La baisse de la TVA va accroître la demande à la fin de l’année, avant son expiration, alors que nous avons besoin d’un coup de fouet maintenant.

Vince Cable, démocrate libéral, porte-parole du Trésor

La Grande-Bretagne n’est pas finie, mais la crise est sévère et pire qu’ailleurs parce que le secteur financier y est si important et que la bulle du crédit et de l’endettement personnel était si extrême. Des années de gros déficits budgétaires accroîtront aussi les doutes quant à la dette du gouvernement. Lorsque l’économie récupèrera – et cela se produira – nous ne pourrons pas revenir au statu quo. L’économie doit être radicalement rééquilibrée. La toute première priorité est d’éviter une récession longue et profonde. Notre gouvernement (et d’autres) doit maintenir de faibles taux d’intérêt et contrer la contraction monétaire, utiliser des programmes de travaux publics comme encouragement fiscal, éviter les politiques protectionnistes et, ce qui le plus important, revoir le crédit bancaire. Une ou plusieurs grandes banques devront passer sous contrôle public afin d’identifier et de nettoyer les mauvaises dettes, assurer de nouveaux flux de crédit et réintroduire des pratiques bancaires sûres, en séparant les opérations à haut risques.

John Cridland, directeur général adjoint de CBI

Nous sommes entrés dans une récession longue et profonde et cela a empiré depuis Noël, mais nous finirons par en sortir. Il doit y avoir un rééquilibrage de l’économie, hors de la sur-dépendance sur les services financiers. Les dirigeants d’entreprises voient des opportunités dans l’économie verte et l’efficacité énergétique. Par exemple, nous allons dépenser 130 à 150 millions de livres sur les carburants renouvelables et le nucléaire. Il y a un potentiel pour quelque chose dans la renaissance industrielle. Le paquet bancaire de lundi dernier nous donne un peu d’espoir, mais il n’aura pas d’incidence sur les chiffres économiques pendant quelques temps. Le gouvernement ne s’est toujours pas occupé du crédit aux entreprises et nous voulons que le gouvernement fasse quelque chose se similaire aux Français en renflouant ce marché. Nous attendons également du gouvernement qu’il étende les garanties financières aux branches financières des compagnies automobiles.

Jon Moulton, fondateur du groupe de private equity [fonds d’investissement], Alchemy Partners

Tout ce que je vois montre une aggravation de l’économie. La plupart des sociétés que je vois arrivent avec des chiffres effrayants. Le glissement de la devise [britannique] va signifier que l’inflation va revenir plus tôt que prévu. Il sera intéressant de voir si le gouvernement peut lever des fonds à l’étranger sans laisser filer les taux d’intérêts. Je m’attends à une année très difficile – nous ne sombrerons probablement pas complètement, mais quelques vagues pourraient venir nous frapper. Nous ne sommes pas finis, juste totalement éprouvés et nous le resterons pendant longtemps. Si j’étais au gouvernement et que j’avais fait ce qu’ils ont fait jusqu’à présent, je ferais mon devoir de citoyen et je me tirerais une balle dans la tête. Le gouvernement peut tenter de soulager la douleur dans l’immédiat, mais s’il fait cela, ce sera aux dépens de la dette et de l’inflation. J’aimerais que nos dirigeants admettent que cela va aller mal et qu’ils prennent les décisions difficiles. Si vous nationalisez les banques, vous pouvez prêter tout ce que vous voulez.

Theo Paphitis, propriétaire du papetier Ryman et star de Dragons' Den [un feuilleton télé sur les entrepreneurs]

C’est de loin la pire récession de mémoire d’homme. Ce n’est pas quelque chose que nous verrons à nouveau dans notre vie – mais elle se terminera. C’est une situation sans précédent où le gouvernement n’a pas la moindre idée de ce qu’il faut faire et il invente au fur et à mesure. Mais le plus gros problème est le manque de transparence en ce qui concerne les banques et, plus vite les banques britanniques et européennes montreront ce qu’elles ont dans leurs bilans, plus vite nous pourrons retourner à un équilibre entre la livre et l’euro. C’est une situation assez dure dans laquelle nous sommes et nous avons le droit à la sinistrose, mais il nous faut regarder en avant. Les gens ont dit que [le Royaume-Uni est fini] à de nombreuses reprises dans le passé, mais ce pays a prouvé sa résistance.

George Osborne, ministre de finances du cabinet fantôme

Bien sûr que la Grande-Bretagne n’est pas finie mais, vu le manque croissant de confiance internationale dans la politique de notre gouvernement, nous devrions être très inquiets sur la direction dans laquelle notre pays est conduit. Il est clair que les prévisions du gouvernement, selon lesquelles la récession sera terminée dans cinq mois, semblent très optimistes et ne s’accordent certainement pas avec les prévisions indépendantes. Nous avons un besoin urgent de restaurer la confiance dans la politique économique de la Grande-Bretagne. Donc, nous avons besoin d’entendre en détail comment le gouvernement propose de garantir les pertes des banques britanniques – et une évaluation indépendante des véritables pertes. Nous avons besoins d’un plan plus vaste et plus simple de garantie des prêts pour que le crédit afflue dans les entreprises. Le gouvernement doit montrer comment il propose de ramener la dette nationale sous contrôle. Et nous devons avoir un plan clair à long-terme pour une économie stable et plus équilibrée.

John McFall, président travailliste de la Commission des Experts aux Finances

La Grande-Bretagne peut se remettre. Nous devons avoir une stratégie active, y compris l’encouragement fiscal, et une action décisive en ces temps difficiles, lorsque le terrain change constamment. L’effondrement actuel [de la livre sterling] ne m’inquiète pas personnellement, alors qu’il a ses avantages aussi pour nos exportateurs. Je pense que 2009 sera une année déplaisante pour les gens ordinaires. Les chiffres de la croissance devront être révisés. Je n’ai aucun doute sur le fait que nous avons sauvé le système bancaire. A présent, le gouvernement doit être hardi et proposer la nationalisation des banques. Il n’y a aucune confiance à cause des mauvais actifs dans leurs bilans. Nous avons besoin d’institutions sûres et, en ce moment, les plus sûres sont les institutions gouvernementales.

Traduit de l'anglais (États-Unis) par [JFG-QuestionsCritiques]