accueil > archives > économie


crise économique et perspectives sombres

Une planète au bord de la catastrophe ?

par Michael T. Klare
CounterPunch, publié le 3 mars 2009

article original : "A planet at the brink? "

Le krach économique mondial a déjà provoqué des faillites bancaires, des banqueroutes, des fermetures d’usines et des saisies ; et, dans les années à venir, ce krach fera, sur toute la planète, des millions de chômeurs. Mais une autre conséquence dangereuse du krach de 2008 ne vient de faire son apparition que dernièrement : des troubles civils en augmentation et des conflits ethniques. Un jour, peut-être, la guerre pourrait s’ensuivre.

Au fur et à mesure que les gens perdent confiance dans la capacité des marchés et des gouvernements à résoudre la crise mondiale, ils exploseront probablement dans des manifestations violentes ou s’en prendront violemment à ceux qu’ils tiennent pour responsables de leur situation désespérée, y compris les fonctionnaires, les directeurs d’usines, les propriétaires de logements, les immigrés et les minorités ethniques. (Dans le futur, cette liste pourrait se révéler plus longue et plus déroutante.) Si le désastre économique actuel se transforme en ce que le Président Barack Obama a appelé une « décennie perdue », la conséquence pourrait être des soulèvements partout dans le monde ayant pour origine la situation économique.

En effet, pour s’en convaincre, il suffit d’accrocher au mur une carte du monde et de commencer à positionner des épingles rouges, là où des épisodes violents ont déjà eu lieu. Athènes (Grèce), Longman (Chine), Port-au-Prince (Haïti), Riga (Lettonie), Santa Cruz (Bolivie) et Vladivostock (Russie), pour commencer. Beaucoup d’autres villes, de Reykjavik, Paris, Rome et Saragosse à Moscou et Dublin, ont connu d’énormes manifestations contre la montée du chômage et la chute des salaires, des manifestations qui ont été contenues grâce, en partie, à la présence de nombreuses forces de l’ordre anti-émeute. Si l’on fixe des épingles oranges sur ces sites – pour l’instant, aucun aux Etats-Unis – la carte aurait déjà l’air débordant d’activité. Si l’on est joueur, on peut parier à coup sûr que cette carte comptera bientôt beaucoup plus d’épingles rouges ou orange.

Dans la plupart des endroits, de tels soulèvements, même s’ils sont violents, resteront probablement localisés dans leur nature et suffisamment désorganisés pour que les forces de l’ordre puissent les ramener sous contrôle en l’espace de quelques jours ou de quelques semaines, même si – comme lors des émeutes à Athènes en décembre dernier – la paralysie urbaine s’installe, provoquée par la violence des manifestations, les gaz lacrymogènes et les cordons de police. Du moins, c’est ainsi que cela s’est passé jusqu’à présent. Cependant, il est entièrement possible qu’au fur et à mesure que la crise économique s’aggravera, certains de ces incidents se métastasent en évènements bien plus intenses et plus longs : rebellions armées, coups d’Etat militaires [déjà, le chef d’Etat de la Guinée-Bissau vient d’être assassiné], conflits civils – voire guerres entre Etats sur fond de crise économique.

Chaque éruption de violence a ses propres origines et ses caractéristiques distinctes. Cependant, toutes trouvent leur source dans une combinaison similaire d’angoisse du futur et de manque de confiance dans la capacité des institutions établies à s’occuper des problèmes immédiats. Et, tout comme la crise économique s’avère être mondiale, d’une manière jamais vue auparavant, de même, les incidents locaux – en particulier avec la nature instantanée des communications modernes – ont le potentiel d’entraîner dans leur sillage d’autres lieux très éloignés, uniquement reliés entre eux de façon virtuelle.

Une pandémie de violence d’origine économique

Les émeutes, qui ont éclaté au printemps 2008 en réponse à l’augmentation des prix alimentaires, semblent indiquer la vitesse à laquelle la violence d’origine économique peut s’étendre. Les médias occidentaux ne rapportent généralement pas tous les incidents de ce type, mais le New York Times et dans le Wall Street Journal on toutefois rapporté des émeutes au Cameroun, en Egypte, en Ethiopie, en Haïti, en Inde, en Indonésie, en Côte d’Ivoire et au Sénégal.

En Haïti, par exemple, des milliers de manifestants ont investi le palais présidentiel de Port-au-Prince et exigé qu’on leur remette de la nourriture, et se sont vus repoussés par les troupes gouvernementales et les soldats onusiens de maintien de la paix. D’autres pays, dont le Pakistan et la Thaïlande, ont cherché rapidement à dissuader de tels assauts en déployant des troupes dans les exploitations agricoles et les entrepôts, et ceci, dans l’ensemble du pays.

Ces émeutes n’ont cessé qu’à la fin de l’été [dernier], lorsque la chute des prix de l’énergie a entraîné avec elle la chute des prix des denrées alimentaires. (Le coût des denrées alimentaires est maintenant étroitement lié aux cours du pétrole et du gaz naturel, à cause de l’utilisation massive de produits chimiques dans la culture des céréales.) Cependant, il est certain que ce répit ne sera que temporaire, car une autre menace pointe à l’horizon : les sécheresses épiques qui sévissent durablement sur les greniers de la planète, les Etats-Unis, l’Argentine, l’Australie, la Chine, le Moyen-Orient et l’Afrique. Il faut s’attendre à ce que les prix du blé, du soja et peut-être aussi du riz, augmentent dans les mois à venir – juste au moment où des milliards de personnes dans le monde en développement sont assurées de voir leurs revenus déjà marginaux plonger à cause de l’effondrement économique mondial.

Les émeutes de la faim n’ont été qu’une forme de violence provoquée par l’économie, qui a fait son apparition en 2008. Alors que les conditions économiques s’aggravent, ont également éclaté des manifestions contre la montée du chômage, l’incompétence des gouvernements et les besoins non satisfaits des pauvres. En Inde, par exemple, des manifestations violentes ont menacé la stabilité dans de nombreuses régions clés. Bien qu’elles aient été généralement dépeintes comme des conflits ethniques, religieux ou de castes, ces éruptions de violence ont été manifestement provoquées par l’angoisse économique et le sentiment envahissant qu’un autre groupe se portait bien mieux – aux dépens des plus précaires.

En avril, par exemple, les six jours d’émeutes intenses dans la partie du Cachemire sous contrôle indien ont été largement attribués à l’animosité religieuse entre la population majoritairement musulmane et le gouvernement indien dominé par les Hindous. Tout aussi important, le ressentiment profond vis-à-vis de la discrimination que connaissent les Musulmans cachemiris, au niveau de l’emploi, du logement et du droit à la terre. Puis, en mai, des milliers de bergers nomades, les Gujjars du Rajasthan, ont bloqué les routes et les trains menant à la ville d’Agra, où se trouve le Taj Mahal, dans une tentative d’obtenir des droits économiques spécifiques : plus de 30 personnes ont été tuées lorsque la police à tiré sur la foule. En octobre, la violence d’origine économique a éclaté à Assam, dans l’extrême nord-ouest du pays, où les résidants locaux qui sont dans la misère résistent à un afflux de gens encore plus pauvres qu’eux. La plupart sont des immigrés illégaux venant du Bangladesh voisin.

En 2008, des conflits provoqués par la situation économique ont également éclaté dans une grande partie de la Chine orientale. De tels événements, étiquetés « incidents de masse » par les autorités chinoises, impliquent généralement des manifestations de travailleurs contre la fermeture soudaine d’usines, les pertes de salaire ou les saisies illégales de terres. Le plus souvent, les manifestants ont exigé des indemnités de la part des directeurs des entreprises ou des autorités gouvernementales et ont été accueillis à coups de matraques par la police.

Inutile de dire que les dirigeants du Parti Communiste Chinois ont été réticents à reconnaître ces incidents. En janvier dernier, le magazine Liaowang [Perspectives Hebdo] a rapporté que les licenciements et les conflits salariaux avaient déclenché une augmentation brutale de ce type d’ « incidents de masse », en particulier le long de la côte orientale du pays, où est située une grande partie de la capacité de production chinoise.

Dès décembre, l’épicentre de tels incidents sporadiques de violence s’est déplacé depuis le monde en développement vers l’Europe occidentale et l’ancienne Union Soviétique. Ici, les manifestations ont été surtout motivées par la peur d’un chômage prolongé, par l’écœurement lié aux méfaits et à l’incompétence des gouvernements, et par le sentiment que « le système », quelle que soit la manière dont on le définit, est incapable de satisfaire les aspirations futures de larges groupes de citoyens.

L’un des premiers soulèvements de cette nouvelle marée s’est produit à Athènes, en Grèce, le 6 décembre 2008, après que la police eut tué par balle un élève de 15 ans au cours d’une altercation dans un quartier peuplé du centre-ville. Au fur et à mesure que la nouvelle se répandit dans la ville, des centaines d’étudiants et de jeunes gens ont surgi dans le centre-ville et se sont engagés dans des batailles rangées avec la police anti-émeute, jetant des pierres et des cocktails molotov.

Bien que le gouvernement se soit plus tard excusé pour cette mort et qu’il ait mis en accusation l’officier de police impliqué dans cet homicide, des émeutes ont éclaté à plusieurs reprises dans les jours qui ont suivi, à Athènes et dans d’autres villes grecques. Des jeunes gens en colère ont attaqué les policiers – généralement considérés comme des agents de l’establishment –, ainsi que des hôtels et des magasins de luxe, dont quelques-uns ont été incendiés. Selon une estimation, ces six jours d’émeutes ont causé 1 milliard d’euros de préjudice aux entreprises, en pleine saison de Noël.

La Russie a connu également une série de manifestations violentes en décembre, déclenchées par l’imposition de tarifs douaniers élevés sur les automobiles importées. Institués par le Premier ministre Vladimir Poutine, afin de protéger l’industrie automobile nationale en péril (on prévoit que les ventes baisseront de 50% en 2009), les tarifs douaniers ont porté un coup aux marchands dans le port extrême-oriental de Vladivostok, qui bénéficiaient d’un commerce sur l’ensemble du territoire de véhicules japonais d’occasion. Lorsque la police locale a refusé de réprimer les manifestations contre les tarifs douaniers, les autorités étaient évidemment suffisamment inquiètes pour envoyer depuis Moscou, à 5.900 km, des unités des forces spéciales.

En janvier, des incidents de cette nature ont semblé se répandre dans toute l’Europe orientale. Entre le 13 et le 16 janvier, des manifestations antigouvernementales impliquant des affrontements violents avec la police ont éclaté à Riga, la capitale lettone, à Sofia, la capitale bulgare, et à Vilnius, la capitale lituanienne. Il est déjà impossible d’établir la liste de tous les épisodes de ce genre, ce qui semble indiquer que nous sommes au bord d’une pandémie mondiale de violence, ayant une origine économique.

Une recette parfaite pour l’instabilité

Tandis que la plupart des incidents de ce type sont déclenchés par un événement immédiat – un tarif douanier, la fermeture d’une usine locale, l’annonce de mesures d’austérité – il y a des facteurs systémiques qui sont au travail. Tandis que les économistes s’accordent maintenant à dire que nous sommes au milieu d’une récession plus profonde que toutes les autres depuis la Grande Dépression des années 30, ils supposent généralement que ce déclin – comme tous les autres depuis la deuxième guerre mondiale – sera suivi dans un, deux, voire trois ans, par le début d’un rétablissement typique.

Il y a de bonnes raisons de soupçonner que cela pourrait ne pas être le cas – que les pays les plus pauvres (en même temps que les habitants des pays les plus riches) devront attendre bien plus longtemps un tel rétablissement ou qu’ils pourraient n’en connaître aucun. Même aux Etats-Unis, selon un récent sondage Ipsos/McClatchy, 54% des Américains pensent à présent que « le pire » est « à venir » et seuls 7% d’entre eux que l’économie a « tourné la page ». Un quart de la population pense également que la crise durera plus de quatre ans. Que ce soit aux Etats-Unis, en Russie, en Chine ou au Bengladesh, c’est cette angoisse sous-jacente – ce sentiment que les choses sont bien pires que ce que tout le monde dit – qui contribue à alimenter la pandémie mondiale de violence.

Le tout dernier rapport de la Banque Mondiale (BM) sur la situation, les Perspectives Economiques Mondiales pour 2009, répond à ces angoisses de deux manières. Il refuse d’exposer le pire, même s’il parvient à le laisser entendre en termes trop clairs pour être ignorés, à la perspective d’un déclin de longue durée, voire permanent, des conditions économiques pour de nombreuses personnes dans le monde. Théoriquement optimiste – comme le sont tant d’experts dans les médias – quant à la probabilité d’un rétablissement économique dans un futur pas trop éloigné, ce rapport reste plein d’avertissements relatifs au potentiel de dommages durables dans le monde en développement si les choses ne vont pas exactement comme il faut.

Deux inquiétudes, en particulier, dominent les Perspectives de l’Economie Mondiale pour 2009 : que les banques et les entreprises dans les pays les plus riches cessent d’investir dans le monde en développement, étouffant ce qui reste des possibilités de croissance ; et que le coût des denrées alimentaires ne s’accroisse de façon désagréable, tandis que l’utilisation des terres agricoles dédiées à la production accrue de biocarburants aura pour conséquence une disponibilité réduite des denrées alimentaires pour des centaines de millions de personnes.

Malgré ses passages à la Pollyanna [en référence au roman de littérature enfantine d’Eleanor H. Porter, publié en 1913] quant à un rebond économique, ce rapport ne mâche pas ses mots lorsqu’il discute de ce que signifierait la baisse quasi-certaine à venir des investissements occidentaux dans les pays du Tiers Monde :

Que les marchés du crédit échouent à répondre à la politique énergique d’intervention adoptée jusqu’à maintenant, et les conséquences pour les pays en développement pourraient être très graves. Un tel scénario serait caractérisé par… un bouleversement important et du désarroi, incluant des faillites bancaires et des crises monétaires, dans un éventail important de pays en développement. Une croissance négative brutale dans un grand nombre de pays en développement, avec toutes les répercussions concomitantes, dont une pauvreté et un chômage accrus, seraient inévitables.

A l’automne 2008, lorsque ce rapport fut écrit, ceci était considéré comme le « pire scénario ». Depuis, la situation s’est bien sûr radicalement aggravée, avec des analystes financiers qui rapportent le gel virtuel des investissements dans le monde entier. Egalement troublant, les pays nouvellement industrialisés qui comptent sur l’exportation de biens manufacturés vers les pays les plus riches pour une grande partie de leur revenu national ont rapporté des plongeons abyssaux de leurs ventes, produisant des fermetures d’usines et des licenciements massifs.

Cette enquête de la Banque Mondiale, faite en 2008, contient également des données troublantes sur la disponibilité future des denrées alimentaires. Tout en insistant sur le fait que la planète est capable de produire suffisamment d’aliments pour répondre à la demande d’une population mondiale en croissance, ses analystes étaient bien moins confiants pour dire que suffisamment de nourriture sera disponible à des prix que les gens pourront payer, surtout une fois que les prix des hydrocarbures recommenceront à monter. Avec de plus en plus de terres agricoles réservées à la production des biocarburants et des efforts pour accroître les récoltes au moyen des « semences miraculeuses » en perte de vitesse, les analystes de la BM ont nuancé leur prévision généralement optimiste avec une mise en garde : « Si la demande de récoltes liées aux biocarburants est plus forte ou que la performance de la productivité déçoit, les approvisionnements futurs en denrées alimentaires pourraient être plus coûteux que par le passé ».

Combinez ces deux conclusions de la BM – une croissance économique zéro dans le monde en développement et des prix alimentaires en augmentation – et vous avez une recette parfaite pour des troubles civils et une violence implacable. Les éruptions de violence vues en 2008 et au début de 2009 seraient alors les signes annonciateurs d’un futur sombre au cours duquel, à un moment donné, un nombre indéterminé de grandes villes seront bouleversées par des émeutes et des troubles civils qui pourraient se répandre comme un feu de paille.

La carte d’un monde au bord de la catastrophe

Etudiez le monde tel qu’il est actuellement et vous vous apercevrez facilement qu’il y a une pléthore de sites potentiels pour de telles éruptions multiples – voire bien pire. Prenez la Chine ! Jusqu’à maintenant, les autorités ont réussi à contrôler les « incidents de masse » individuels, les empêchant de fusionner en quelque chose de plus grand. Mais dans un pays qui a plus de 2.000 ans d’histoire de vastes soulèvements millénaires, le risque d’une telle escalade doit être gardé à l’esprit de tous les dirigeants chinois.

Le 2 février, un responsable de premier plan du parti chinois, Chen Xiwen, a annoncé que, seulement dans les derniers mois de 2008, le chiffre renversant de 20 millions de travailleurs migrants, qui ont quitté, ces dernières années, les zones rurales pour les villes du pays en plein essor, avaient perdu leur emploi. Pire encore, il a annoncé que ceux-ci avaient peu de perspective de retrouver un emploi en 2009. Si beaucoup de ces travailleurs retournent à la campagne, ils pourraient ne rien y trouver non plus, pas même de la terre à travailler.

En de telles circonstances, et avec des millions de travailleurs supplémentaires qui se retrouveront licenciés des usines côtières dans l’année à venir, les perspectives de troubles massifs sont élevées. Il n’est pas étonnant que le gouvernement [américain] ait annoncé un plan de stimulation de 585 milliards de dollars, destiné à générer de l’emploi rural et qu’il ait appelé, en même temps, les forces de sécurité à exercer discipline et retenue lorsqu’elles se retrouvent face aux manifestants. De nombreux analystes pensent à présent, alors que les exportations continuent de s’assécher, que la montée du chômage pourrait conduire à des grèves et à des manifestations nationales, qui pourraient dépasser les capacités de la police et nécessiter une intervention de grande envergure de l’armée (comme cela s’est produit en 1989 à Pékin, lors des manifestations de la Place Tienanmen).

Prenez les nombreux Etats pétroliers du Tiers Monde qui ont connu des envolées grisantes de leurs revenus lorsque les cours du pétrole étaient élevés, permettant à leurs gouvernements d’acheter les groupes dissidents ou de financer de puissantes forces de sécurité intérieures. Avec les cours du pétrole qui ont plongé, de 147 dollars le baril à moins de 40 dollars, de tels pays, de l’Angola à l’Irak branlant, sont maintenant confrontés à une grave instabilité.

Le Nigeria est, en fait, un cas typique : Lorsque les cours pétroliers étaient élevés, le gouvernement central d’Abuja a engrangé des milliards chaque année, assez pour enrichir les élites dans des parties clés du pays et subventionner un imposant establishment militaire. A présent que les cours sont bas, le gouvernement aura beaucoup de difficultés pour satisfaire toutes ces obligations concurrentielles auparavant bien alimentées, ce qui signifie que le risque du déséquilibre intérieur sera exponentiel. Une insurrection dans la région pétrolière du Delta du Niger, alimentée par le mécontentement populaire né de l’absence de retombées de la manne pétrolière, est déjà en train de prendre de la vitesse et deviendra probablement plus forte au fur et mesure que les revenus du gouvernement se ratatineront. D’autres régions, également désavantagées par cette politique nationale relative au partage des revenus, seront ouvertes aux bouleversements de toutes sortes, y compris des guerres fratricides plus nombreuses et plus intenses.

La Bolivie est un autre producteur d’énergie qui semble se trouver à la veille d’une escalade de violence, alimentée par la situation économique. L’un des pays les plus pauvres de l’hémisphère occidental, la Bolivie recèle des réserves importantes de pétrole et de gaz naturel dans les plaines de ses régions orientales. Une majorité de la population – en grande partie de descendance indienne – soutient le Président Evo Morales, qui cherche à exercer un contrôle étatique fort sur ces réserves et à utiliser les revenus des hydrocarbures pour améliorer la situation des pauvres dans son pays. Mais une majorité de ceux qui contrôlent la partie orientale du pays, l’élite de descendance européenne, supporte mal l’interférence du gouvernement central et cherche à contrôler elle-même ces réserves. Les efforts de cette élite en vue de parvenir à une plus grande autonomie ont conduit à des altercations répétées avec les troupes gouvernementales et, en ces temps de détérioration, ils pourraient dresser le décor pour une guerre civile généralisée.

Etant donné la situation mondiale dans laquelle se succèdent des développements surprenants et souvent inattendus, prédire quoi que ce soit est particulièrement risqué. Cependant, pour le peuple, les données essentielles sont assez claires : le déclin économique continu, combiné au fort sentiment que les institutions et les systèmes existants sont incapables de remettre les choses en ordre, produit déjà un mélange potentiellement létal, d’angoisse, de peur et de colère. Des explosions populaires d’une sorte ou d’une autre sont inévitables.

Un certain sens de cette nouvelle réalité semble être remonté vers les échelons les plus élevés de la communauté des services de renseignements américains. Dans une audition sénatoriale devant la Commission d’Experts sur les Renseignements, le 12 février dernier, l’Amiral Dennis C Blair, le nouveau directeur des Renseignements Nationaux, a déclaré : « La toute première préoccupation à très court terme des Etats-Unis, en matière de sécurité, est la crise économique mondiale et ses implications géopolitiques… Les modèles statistiques montrent que la crise économique, si elle persiste sur une période d’un à deux ans, accroît le risque d’instabilité menaçant certains régimes » - ce qui, dans la situation actuelle, est certainement le cas.

Blair n’a pas spécifié quels pays il avait en tête lorsqu’il a parlé « d’instabilité menaçant certains régimes » - un nouveau terme dans le lexique des renseignements américains, du moins lorsqu’il est associé aux crises économiques – mais il est clair, après son témoignage, que les responsables américains surveillent de près des douzaines de nations instables, en Afrique, au Proche-Orient, en Amérique Latine et en Asie Centrale.

A présent, reprenez la carte fixée sur votre mur, avec toutes ces épingles oranges et rouges que vous avez positionnées, et coloriez les pays appropriés dans diverses nuances de rouge et d’orange, afin d’indiquer les déclins récents les plus frappants des PIB et les plus fortes augmentations du chômage. Même sans 16 agences de renseignements sous vos ordres, vous avez quand même une assez bonne idée des endroits sur lesquels Blair et consorts ont le regard braqué, en termes d’instabilité, tandis que le futur s’assombrit sur une planète au bord de la catastrophe.

Michael T. Klare enseigne la paix et la sécurité mondiale au Hampshire College.


(Copyright 2009 Michael T Klare – Traduction JFG-QuestionCritiques.)