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Afghanistan

Pourquoi l'Otan ne peut pas gagner

par M K Bhadrakumar

30 septembre 2006, Asia Times Online
article original : "Afghanistan :Why NATO cannot win "

Vieille de quatre mois, la République du Monténégro, sur l'Adriatique, a reçu lundi dernier [le 25 septembre 2006] son premier dignitaire, lorsque le Secrétaire étasunien à la Défense, Ronald Rumsfeld, est arrivé dans sa capitale, Podgorica. Sans le savoir, ce petit pays des Balkans de très grande beauté, fait de montagnes en dents de scie et peuplé de 630.000 habitants, a été catapulté dans le cockpit de la géopolitique du 21ème siècle.

La mission de Rumsfeld consistait à demander à la direction inexpérimentée de Podgorica d'envoyer un contingent militaire pour former une partie de la coalition des volontaires dans la "guerre contre la terreur". En échange, Rumsfeld a promis que les Etats-Unis aideraient à entraîner l'armée naissante du Monténégro pour qu'elle atteigne les standards de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) .

Toutefois, le Premier ministre Milo Djukanovic n'a pu prendre aucun engagement. La proposition de Rumsfeld est arrivée au mauvais moment pour la direction à Podgorica, qui venait juste d'abolir le service militaire et était en train de réduire son armée, forte de 4.000 hommes, à environ 2.500.

Cet échange diplomatique bizarre entre la puissance militaire la plus redoutable sur Terre et le tout dernier membre de la "communauté internationale" montre les paradoxes de la "guerre contre la terreur" à la veille de son cinquième anniversaire. Trois rencontres au niveau ministériel de l'OTAN ont eu lieu en l'espace du seul dernier mois, avec l'intention spécifique d'établir comment la force des troupes en Afghanistan pouvait être augmentée.

Le Général du Corps des US Marine, James Jones, commandant suprême des opérations de l'Otan, a admis que la résistance farouche opposée par les Taliban et l'insurrection en plein essor ont pris l'alliance par surprise. Les forces de l'Otan ont réalisé qu'au lieu de la mission de maintien de la paix imaginée auparavant, c'est une guerre totale qui était à portée. De nouvelles règles d'engagement ont été établies en conséquence pour les contingents de l'Otan déployés dans les provinces du sud de l'Afghanistan - et celles-ci seront bientôt étendues à tout le pays, où les soldats américains, selon certaines sources, seraient placés sous le contrôle de l'Otan.

Les commandants britanniques au sud de l'Afghanistan ont reçu l'autorisation d'utiliser les roquettes Hydra[1] controversées de l'armée, qui peuvent viser de larges concentrations de personnes avec des obus-flèches au tungstène. Les commandants ont aussi le droit de recourir à des frappes aériennes contre les formations suspectées d'être Taliban, de conduire des frappes préventives et de monter des embuscades. Pourtant, il a été rapporté qu'un commandant britannique a raconté aux médias : "L'intensité et la férocité des combats sont bien plus grandes qu'en Irak, sur une base quotidienne".

Le nombre de morts parmi les forces de l'Otan, qui comptent 18.500 soldats, est en moyenne de cinq par semaine, ce qui est à peu près équivalent aux pertes endurées par les Soviétiques en Afghanistan dans les années 80. Effectivement, dans des commentaires cinglants faits au journal The Sunday Telegraph, le week-end dernier, les commandants soviétiques qui supervisaient la campagne désastreuse de Moscou ont prédit que les forces de l'Otan finiront par être obligées de fuir d'Afghanistan.

Le Général Boris Gromov, le commandant charismatique soviétique qui a supervisé le retrait en 1989, a prévenu : "Mon opinion est que la résistance afghane grandit. Pour moi, un tel comportement de la part des Afghans intraitables est compréhensible. Celui-ci est conditionné par des siècles de tradition, de géographie, de climat et de religion.

"Nous avons vu comment, sur une période de beaucoup d'années, ce pays à été déchiré par la guerre civile... Mais face aux agressions de l'extérieur, les Afghans ont toujours mis de côté leurs différences et se sont unis. Evidemment, les forces de la coalition [menée par les Etats-Unis] sont aussi vues comme une menace à la nation".

Une comparaison avec les années 80 est de mise. L'armée soviétique, forte de 100.000 hommes, a opéré aux côtés d'une armée afghane à part entière, de force égale, incluant un corps d'officiers entraînés dans les académies militaires soviétiques d'élite, et soutenue par l'aviation, des véhicules blindés et l'artillerie, avec tous les avantages d'un gouvernement en ordre de marche et politiquement motivé à Kaboul. Et pourtant, cela s'est avéré ne pas être à la mesure de la résistance afghane.

En comparaison, il y a environ 20.000 soldats étasuniens en Afghanistan, plus environ le même nombre de soldats qui appartiennent aux contingents de l'Otan, dont 5.400 soldats britanniques, 2.500 soldats canadiens et 2.300 soldats néerlandais. Théoriquement, l'Armée Nationale Afghane est forte de 42.000 hommes, mais elle souffre d'un niveau élevé de défection.

Le Général Jones a demandé 2.500 soldats supplémentaires de l'Otan. Mais les principaux pays de l'Otan - la Turquie, la France, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie - ont refusé d'en envoyer plus. En réalité, on se demande si 2.500 soldats supplémentaires feraient une différence significative dans un pays de la taille de l'Afghanistan et avec un terrain aussi difficile.

Le distingué politicien militaire britannique, Sir Cyril Townsend, a écrit dans le quotidien Al-Hayat cette semaine : "Une appréciation militaire réaliste de la situation serait que pour prendre le dessus sur les Taliban et al-Qaïda et pour commencer à gagner au sud-est du pays, il faudrait déployer au moins 10.000 soldats supplémentaires, des professionnels hautement entraînés et bien équipés avec un soutien aérien à la hauteur".

Clairement, une crise énorme est en train de se former pour l'Otan. Sa crédibilité est en jeu. Sir Cyril ne prévoit pas que l'alliance trouvera les ressources militaires nécessaires "pour battre les Taliban sur leur propre terrain". Il ne faut pas s'étonner que le Général David Richards, commandant les forces de l'Otan en Afghanistan et ancien chef adjoint de l'état-major général de l'armée britannique, ait prévenu d'un ton menaçant dans une interview récente à la télévision : "Nous devons réaliser que nous pourrions vraiment échouer ici".

La plupart des observateurs ont pointé du doigt la crise qui se développe en Afghanistan, presque exclusivement en termes d'incapacité à remporter une victoire rapide et de haute technologie militaire sur les Taliban. Dans le jeu d'accusation qui s'ensuit, il y a la critique récurrente selon laquelle Washington n'a pas engagé assez de forces.

Certains disent que la guerre d'Irak s'est avérée être une distraction malheureuse pour l'administration étasunienne, qui n'a pas terminé ni consolidé l'éviction du régime Taliban en 2001. D'autres accusent les pays membres européens de l'Otan - les Européens seraient bien trop timorés et égocentriques pour livrer des guerres dans des pays lointains, même si c'est pour leur bien ultime.

Si l'on dépasse un peu ce jeu d'accusation, presque tout le monde reconnaît que l'opium dévore les fondements de l'Etat afghan tandis que les opérations anti-drogue ont été un échec lamentable.

Et, bien sûr, il y a l'accusation récurrente selon laquelle la politique régionale étasunienne sous l'administration de George W Bush a, dans l'ensemble, négligé à "construire une nation" et que Washington a tardé à consacrer assez de ressources matérielles et financières pour la reconstruction de l'Afghanistan (en comparaison avec le Timor Oriental ou la Bosnie-Herzégovine).

Toutes les critiques de cette sorte contiennent une part de vérité. Mais, si l'on considère cette crise sous un angle fondamental, la dure réalité est que, quel que soit le facteur souvent répété d'un asile transfrontalier au Pakistan raisonnablement sûr, les Taliban ont vraiment organisé un retour en tant que force de guérilla indigène, capable de lutter sur le long terme. C'est à dire, la question centrale est que les Etats-Unis ont tout simplement échoué à trouver une stratégie politiquement et militairement gagnante en Afghanistan.

La comparaison a été faite avec les opérations réussies de maintien de la paix dans les Balkans. Le Général Wesley Clark, l'ancien commandant suprême de l'Otan, écrivait il y a peu dans le magazine Newsweek: "Pour réussir, nous devons adopter certaines des leçons et des pratiques que nous avons mises en place dans les Balkans. Nous devons reconnaître l'ampleur de la tâche et y mettre toute l'autorité de la communauté internationale. L'Otan peut faire beaucoup plus que se contenter de fournir des troupes. Nous devons reconnaître que, oui, nous construisons une nation".

Mais, une fois encore, le problème afghan est fortement dissemblable du démembrement de la Yougoslavie. En tout premier lieu, il y a la nature hautement artificielle de l'intervention étasunienne en Afghanistan. Juste après les attaques du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis, dans un environnement international où "nous sommes tous des Américains", comme Le Monde l'avait écrit à merveille, personne n'a posé de questions complexes pour savoir si la décision de Washington d'attaquer l'Afghanistan était justifiée ou non. La communauté internationale a simplement acquiescé.

Mais reste le fait que Washington avait effectivement l'option de renoncer à une intervention directe et, à la place, celle d'étendre, de façon décisive, son soutien politique, diplomatique et militaire aux groupes afghans anti-Taliban. En effet, sous la contrainte née de l'assassinat du chef de l'Alliance du Nord, Ahmed Shah Massoud [le commandant Massoud], ceux-ci ont finalement rallié le leadership de l'ancien roi Zahir Shah et, fin septembre 2001, ils commençaient à être prêts à annoncer l'établissement d'un gouvernement afghan en exil.

Le roi afghan lui-même finit par être persuadé de laisser tomber sa réticence à retourner à une politique active après trois décennies d'exil à Rome. Cette option, si elle avait été poursuivie, aurait ouvert la voie à une "solution afghane" par excellence au challenge posé par le régime Taliban - une solution qui aurait bénéficié de l'inviolabilité totale des traditions et de la culture afghane.

Mais l'administration Bush a délibérément choisi de ne pas choisir cette option. Il est concevable que Washington ait décidé que seule une action militaire spectaculaire apaiserait le public américain, qui avait été traumatisé par les attaques du 11 septembre, et mettrait en valeur le leadership résolu de la Maison Blanche dans la sauvegarde la sécurité nationale.

Sans doute, l'Afghanistan aurait aussi été vu par l'administration Bush comme un laboratoire où Washington pourrait tester ses doctrines de frappes militaires préventives, la "coalition des volontaires", l'unilatéralisme, etc. - des doctrines qui ont fourni les fondements politiques à l'invasion d'Irak qui a suivi. Ou bien, sur les moyen et long termes, Washington a estimé qu'à moins d'une présence militaire à l'intérieur de l'Afghanistan et sans un régime satellite installé à Kaboul, les Etats-Unis auraient été incapables de réduire l'influence des autres puissances régionales sur l'échiquier afghan et de réordonner la géopolitique de la région, en tant qu "élément de sa stratégie globale.

En tout cas, au début, le stratagème destiné à exploiter le problème afghan pour saisir les avantages géopolitiques n'était pas aussi visible. Mais cela n'a pas pris longtemps avant qu'il devînt clair que l'ordre du jour étasunien était d'exploiter la "guerre contre la terreur" pour établir un Etat satellite en Afghanistan et pour gagner la présence militaire que les Etats-Unis recherchaient en Asie Centrale. Et dans ce cas, la présence militaire étasunienne a graduellement pavé la route à la création d'une base de l'Otan dans la région.

En octobre 2001, il y avait aussi un haut degré de sophisme dans les opérations militaires. Dans les premiers stades, l'impression avait été délibérément créée que l'intervention étasunienne resterait confinée à des opérations aériennes et à l'incorporation d'un nombre limité de forces spéciales ayant pour objectif spécifique de conseiller et de guider la milice de l'Alliance du Nord.

C'est pourquoi, lorsque la soudaine arrivée des troupes de l'US Army, début novembre 2001 à l'aéroport de Bagram, dans le sillage du renversement du gouvernement taliban, fut connue pour la première fois, l'Alliance du Nord protesta vigoureusement.

Et aussi, Washington a donné des impressions différentes aux divers interlocuteurs de la région, sur la nature du régime post-Taliban qu'ils avaient en tête. Il est certain que le leadership de l'Alliance du Nord, essentiellement non-Pachtoune, fut amené à croire que le renversement des Taliban aurait pour conséquence automatique son retour au siège du pouvoir à Kaboul, là-même où il avait été évincé par les Taliban en 1996.

On peut supposer que l'on a fait croire aussi aux puissances régionales, comme la Russie, l'Iran et l'Inde, qu'un tel dénouement était possible et que le transfert de pouvoir à Kaboul au leadership de l'Alliance du Nord finirait par travailler à leur avantage - étant donné leur soutien politique, matériel et financier, dans le passé, à l'alliance, qui était le fer de lance de la résistance anti-Taliban durant la période 1996-2001.

D'un autre côté, Islamabad a reçu des assurances de la part de Washington qu'un gouvernement à majorité Pachtoune à Kaboul était en création et qu'il y aurait graduellement une intégration politique des anciens éléments Taliban dans la structure politique émergente. Sans aucun doute, Islamabad a cherché et a obtenu l'assurance de Washington qu'en aucune circonstance il serait permis à l'Alliance du Nord de mettre la main sur le pouvoir à Kaboul dans la phase post-Taliban.

Pendant tout ce temps, il semblait que pour assumer le leadership à Kaboul après le renversement des Taliban, le premier choix de Washington était Abdul Haq, le célèbre dirigeant moudjahidin ayant des liens de longue date avec les services secrets étasuniens.

Mais, dans cette éventualité, Haq fut assassiné par les Taliban, très probablement avec la connivence de l'Inter-Services Intelligence [les services secrets pakistanais], qui eurent vent de l'agenda politique secret de Washington et qui craignaient que Haq ne serait pas sensible aux persuasions exercées par Islamabad, une fois qu'il serait installé au pouvoir à Kaboul.

Dans l'entrefaite, l'Alliance du Nord a déjoué les manœuvres de ses mentors étasuniens. Contrairement à l'entente tacite entre les commandants de l'alliance et leurs mentors américains, selon laquelle, après l'éviction des Taliban, Kaboul resterait initialement une ville neutre sous le contrôle des Nations-Unies, la milice de l'alliance a occupé la capitale et son commandement s'est unilatéralement installé lui-même au pouvoir. Ces dirigeants espéraient (de façon optimiste, comme il s'est avéré) que les Etats-Unis n'auraient pas beaucoup d'autre choix que d'accepter le fait accompli.

Ainsi, lorsque la conférence de Bonn a débuté en décembre 2001, Washington avait un programme en deux points. Nommément, projeter sur le devant de la scène un substitut crédible à feu Haq, en tant que dirigeant de la nouvelle organisation et, exercer quelques pressions directes pour cajoler l'Alliance du Nord afin qu'elle abandonne son rôle de leadership à Kaboul.

Néanmoins, lorsque les Etats-Unis lancèrent le nom d'Hamid Karzaï à Bonn, l'opposition s'est répandue dans les groupes afghans. La perception des participants afghans à la conférence de Bonn, était que la réputation de Karzaï pour diriger la scène politique afghane était trop mince, puisqu'il était resté en exil aux Etats-Unis toutes ces dernières années et qu'il était sérieusement désavantagé, dans la mesure où il n'appartenait à aucune tribu Pachtoune majeure.

Mais, étant donné sa proximité avec l'establishment étasunien et sa dépendance totale au soutien des Etats-Unis, les Américains ont poussé dans cette direction sans ce préoccuper de ce que représentait le nom de Karzaï. Ceux-ci ont exercé une pression immense sur les groupes afghans présents à Bonn pour qu'ils acceptent le leadership de Karzaï. Le dirigeant de l'Alliance du Nord, le président Burhanuddin Rabbani, finit par remettre les leviers du pouvoir à Karzaï, avec une très grande réticence.

Tout en abdiquant du pouvoir à Kaboul début 2002, Rabbani a déclaré qu'il espérait que c'était la dernière fois que le peuple afghan fier serait forcé par les étrangers. Quiconque connaît la philosophie et le caractère afghans pouvait prévoir à ce moment-là que Karzaï se retrouverait pratiquement dans l'impossibilité de consolider sa mainmise sur le pouvoir, ne serait-ce que pour établir son autorité sur l'ensemble du pays. En fait, c'est exactement ce qu'il s'est passé pendant ces cinq dernières années.

Les manipulations répétées et éhontées par les Etats-Unis durant ces cinq dernières années, surtout pendant les élections parlementaires et présidentielles en Afghanistan, qui se sont tenues sous des lois électorales sur-mesure pour des résultats prévisibles, ont échoué à assurer que Karzaï force le respect dans le bazar afghan.

Les tentatives des Etats-Unis pour consolider une base de pouvoir Pachtoune pour Karzaï ont visiblement échoué. Pareillement, les tentatives épisodiques de créer une dissension au sein des Taliban n'ont pas non plus marché. En retour, ces échecs ont conduit à s'aliéner les Pachtounes sur une grande échelle. Les efforts déployés par les Etats-Unis pour marginaliser l'Alliance du Nord et élargir la représentation ethnique Pachtoune dans le cabinet de Karzaï n'ont pas eu non plus l'effet désiré consistant à s'attaquer sincèrement à l'isolement des Pachtounes. Sans doute, ils ont pu créer un ressentiment latent parmi les dirigeants de l'Alliance du Nord, ressentiment qui reste sous la surface, pour l'instant.

En d'autres termes, il y a la question fondamentale de la légitimité du pouvoir de l'Etat qui reste irrésolue en Afghanistan. Au minimum, il y aurait dû avoir ces cinq dernières années un dialogue inter-afghan incluant les Talibans. Cette initiative aurait pu se faire sous les auspices de l'Onu, sur une voie parallèle.

L'incapacité de gagner le respect et l'autorité, plus la dépendance lourde et visible au soutien quotidien des Etats-Unis, ont rendu le système de Kaboul inefficace. À côté de cela, la maladie afghane de népotisme, d'affiliations tribales et de corruption, a aussi conduit vers une mauvaise manière de gouverner. C'est dans cette combinaison de circonstances que les Taliban ont réussi à organiser leur retour.

Par conséquent, il est devenu extrêmement difficile de prédire ce qui va se passer. Même avec 2.500 soldats de plus il est hautement improbable que l'Otan puisse réussir à vaincre les Taliban. Pour une bonne raison : les Taliban bénéficient d'un soutien populaire à l'intérieur de l'Afghanistan. On ne peut nier cette réalité du terrain.

Deuxièmement, les Talibans deviennent synonymes de résistance afghane. Les violations gratuites du code de l'honneur afghan par les forces de la coalition, durant leurs missions "trouver et détruire", et l'usage excessif de la force lors des opérations militaires, ayant conduit à la perte de vies innocentes, ont provoqué une révulsion étendue parmi les Afghans.

L'incapacité de Karzaï à faire quoi que ce soit à propos du comportement arbitraire des forces de la coalition ne fait qu'ajouter à son image de dirigeant faible et accroît sa perte générale d'autorité dans les perceptions du peuple afghan, à l'exception de renforcer la raison d'être de la résistance afghane.

Troisièmement, si le seuil de la résurgence des Taliban n'est pas maîtrisé, ce n'est qu'une question de temps avant que les groupes non-Pachtounes des régions Est, Nord et Ouest commencent aussi à s'organiser. Il y a des signes dérangeants qui pointent déjà dans cette direction. Si cela devait arriver, les forces de l'Otan pourraient bien se retrouver dans la situation peu enviable de se faire prendre dans les feux croisés entre les divers groupes ethniques.

Quatrièmement, à un certain point, il devient inévitable que les puissances régionales soient aspirées dans ces conflits. Le fait est que tous les groupes ethniques afghans connaissent une présence contiguë de l'autre côté des frontières des pays voisins. Les puissances régionales craignent fortement que dans le programme politique secret à long-terme de Washington il y ait l'intention d'amener l'Afghanistan, qui a été historiquement un pays neutre, sous le drapeau de l'Otan.

Aucune quantité d'homélies pieuses sur le rôle et les objectifs de l'Otan ne peut obscurcir les implications géopolitiques de l'occupation par l'alliance occidentale d'un pays stratégiquement important, éloigné du continent européen, qui se situe au carrefour de vastes régions, qui sont en train de devenir le champ de bataille pour l'influence mondiale.

Sans aucun doute, dans les perceptions des puissances régionales, la défaite de l'Otan en Afghanistan ne peut que signifier l'éclatement du projet étasunien de domination de l'Asie Centrale, de l'Asie du Sud et du Golfe Persique.

Antonio Maria Costa, le chef du Bureau de l'ONU pour la Drogue et le Crime, a déclaré à Washington, la semaine dernière, lors d'une audition devant la Commission des Relations Internationales de la Chambre basse du Congrès des Etats-Unis : "Les pressions étrangères font de l'Afghanistan le terrain pour les guerres par procuration. Ce pays est déstabilisé par un afflux d'insurgés, d'armes, de drogue et de services secrets. Il y a collusion de la part des pays voisins et ceci est un problème en lui-même."

M K Bhadrakumar a été diplomate de carrière au Service Etranger Indien pendant plus de 29 ans. Il a été en poste en Ouzbékistan(1995-98) et en Turquie (1998-2001), notamment.

Traduction : [JFG-Questionscritiques]

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Note :

[1] Les roquettes Hydra ne sont pas faites pour des frappes chirurgicales mais pour arroser le terrain ! Ce sont elles qui équipent (entre autre) les hélicoptères Apache de l'armée israélienne, dont on a vu dernièrement l'efficacité sur le terrain au Liban pour arroser les convois de civils fuyant les combats…