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Oubliez Spitzer, virez Bernanke !

Par Chan Akya

Asia Times Online, le 15 mars 2008
article original : "Forget Spitzer, fire Bernanke"

Il doit y avoir quelque chose avec les hommes de pouvoir qui les expose à un mauvais usage fréquent de l'autorité. L'infidélité, en particulier, semble être une malédiction spécifique frappant les puissants partout dans le monde. Toutefois, les événements de cette semaine, impliquant Eliot Spitzer, le gouverneur de l'Etat de New York, pourraient avoir aidé à cacher un mauvais usage encore plus flagrant de l'autorité, nommément celui qu'en font le patron de la Réserve Fédérale, Ben Bernanke, et sa clique de banques centrales à travers le monde.

Il semble qu'une coïncidence bien pratique, comme c'est le cas à chaque fois que Wall Street est à la rue, se soit produite. Elle présente toutes les caractéristiques d'un "coup monté" ordonné au plus haut niveau du pouvoir. Une enquête fédérale a découvert que le gouverneur impopulaire de l'Etat de New York fréquentait des prostituées. C'est dans les couloirs du pouvoir, en particulier auprès de l'actuel Secrétaire au Trésor, Hank Paulson, que Spitzer est impopulaire, pour avoir osé s'en prendre, au début de la décennie, à diverses firmes de Wall Street.

Après s'en être pris aussi à d'autres vaches sacrées, comme les grandes compagnies d'assurance, Spitzer préparait ses munitions pour frapper au cœur de la crise actuelle des subprime, en attaquant les assureurs et les agences de notations monorails. Il est surtout trop pratique que les révélations sur ses activités extra-professionnelles soient sorties cette semaine. Toutefois, prenons tout ce qui a été dit pour argent comptant et n'essayons pas de faire de conjectures sur une conspiration qui serait derrière tout cela !

En Europe et en Asie, les gens trouvent toujours curieuse cette préoccupation des Américains vis-à-vis du sexe, surtout lorsque ce pays semble considérer différemment les actes de violence incommensurable. C'est la formule de Hollywood : on ne montre pas de téton mais plus que quelques torses déchiquetés en mille morceaux.

Quoi qu'il en soit, l'insistance portée sur l'affaire Spitzer, sur deux domaines judiciaires séparés, à savoir l'utilisation des services d'une prostituée et deuxièmement un blanchiment d'argent potentiel, semble dans les deux cas, pour le reste du monde, avoir été étrangement exagérés. En ce qui concerne le type qui a des relations sexuelles avec une prostituée, cela relève essentiellement du couple marié plutôt que d'un sujet de débat public intense. Quant à la deuxième accusation, Spitzer a la réputation d'être ni un escroc, ni un incompétent.

Au pire, son usage personnel des services de prostituées peut être en contradiction avec sa croisade publique contre les maisons-closes et les proxénètes. Pour l'essentiel, Spitzer a été obligé de démissionner parce qu'il a été hypocrite. En lisant ceci, il est possible que quelques-uns d'entre vous se demandent, comme je l'ai fait, si d'autres politiciens, ailleurs dans le monde, démissionneraient pour cause d'hypocrisie. D'un autre côté, je ne vois pas non plus qui aurait pu y survivre.

Tour de passe-passe

L'histoire lamentable du gouverneur et de son affaire extraconjugale a toutefois aidé à réaliser quelque chose de beaucoup plus important : cacher le problème qui mijote dans l'industrie de la titrisation.

Lundi dernier, lorsque la Réserve Fédérale a annoncé une nouvelle facilité pour aider les banques à se financer elles-mêmes en fournissant un nantissement auparavant inacceptable, la bourse et le marché du crédit ont sauté de joie. C'est à dire, jusqu'à ce que quelqu'un commence à poser des questions légèrement futées du style : qui peut bien se trouver dans une telle mouise pour que la Fed précipite une intervention mal-préparée ?

Selon le dicton de Sherlock Holmes, "à qui profite le crime", il est clair que les mesures prises cette semaine étaient destinées à aider les courtiers menacés. Alors qu'il est peut-être impossible de spéculer sur quelle société exactement a le plus d'ennuis, à cause du peu d'informations sur les situations et de l'utilisation de techniques opaques de valorisation, les courtiers les plus importants, dont la faillite aurait des implications systémiques, incluent la clique des Bear Stearns, Lehman Brothers, Merrill Lynch et Morgan Stanley.

Etant donné que cela s'est produit aussi près des annonces attendues des résultats du premier trimestre (la plupart des courtiers clôturent leur année financière en novembre, ainsi, leur premier trimestre se termine fin-février), la rumeur était qu'il devait s'agir de l'une des plus grosses firmes, sinon la Fed ne s'en serait pas préoccupée.

Les courtiers détiennent des milliards de dollars dans les titres-mêmes qui sont soudain devenus éligibles, selon la Fed, pour le refinancement, tels que les crédits hypothécaires et autres titres qui se sont révélés être complètement impossibles à vendre aux investisseurs ces derniers mois. Ils se sont répandus dans le reste du système financier, affectant diverses villes à travers les Etats-Unis, alors qu'elles essayent de se re-financer. Ceci, à son tour, doit avoir mis en rogne le gouvernement et sa banque centrale.

A ce stade, il se peut que les lecteurs se demanderont pourquoi j'ai laissé entendre qu'un crime avait eu lieu à Wall Street, alors que tout ce qui semble s'être produit est qu'un banquier central a essayé de sauver discrètement dans son arrière-cour l'une des grandes firmes financières. La réponse est un peu plus compliquée que cela et touche aux principes curieusement ignorés par les banques centrales.

Walter Bagehot, le saint-patron des banquiers centraux, a suggéré les principes de base suivants, pour que les banques centrales aident les banques sous leur surveillance en évitant les ruées aux liquidités :

A. Ne prête qu'en échange d'un bon nantissement pour éviter des pertes aux contribuables à une date ultérieure !

B. Prête à des taux d'intérêt extrêmement élevés pour éviter que cette facilité ne soit utilisée de façon hasardeuse par des banquiers avides !

C. Rend publique les disponibilités de ces facilités, afin de prévenir les doutes et les soupçons dans les esprits des déposants et des autres créanciers !

L'annonce de la Fed de cette semaine viole CHACUN de ces principes. Premièrement, le nantissement accepté par la Fed est altéré, ainsi que le montre le manque total d'appétit du marché (à n'importe quel prix) pour ces titres. En permettant à ces titres de devenir liquides, la Fed a effectivement signalé qu'elle accepterait à peu près n'importe quelle obligation pourrie.

Deuxièmement, le coût d'emprunt n'est pas très sévère : en réalité il est agréablement bas pour quiconque prend la peine de remplir deux ou trois formulaires. Troisièmement, cette facilité n'a pas été utilisée auparavant ; par conséquent, le marché a eu quelques doutes sur l'étendue de sa réelle utilité.

Pour l'essentiel, il s'agit d'une facilité mal utilisée de 200Mds de dollars pour sauver une partie spécifique du système financier à un taux préférentiel et sans les états de situation usuellement requis. Au vu de tout cela, personne ne peut croire qu'au bout du compte cette facilité ne sera pas supportée par les contribuables américains.

Dans mon dernier article sur l'Europe[1] je pointais du doigt les échecs de la Banque Centrale Européenne, qui a violé de façon similaire les principes de Bagehot, en élargissant l'éventail de nantissements acceptables et en baissant le taux d'escompte disponible pour les banques au guichet de refinancement. La Fed a passé un arrangement qui est étrangement similaire à celui de la Banque Centrale Européenne, dont les actions ont eu pour conséquence que des parties du système financier européen se soit transformé en sociétés "zombies", mortes mais rôdant toujours.

Tel que je le vois, il semble que Bernanke, dans ses efforts à maintenir l'intégrité structurelle du système financier américain, ait rajouté un sac de nœuds. Les moyens financiers utilisés sont clairement en contradiction avec ce que les Américains ont prêché au reste du monde, y compris à l'Asie dans le sillage de sa crise de 1997.

Dans une certaine mesure, il est clair que Bernanke souffre d'un complexe similaire à celui de Spitzer : les règles ne s'appliquent pas à eux à cause d'exclusions magiques qu'ils se sont auto-attribuées. Une fois que nous déciderons qu'ils ont tous deux commis des actes essentiellement illégaux, il ne restera plus qu'à évaluer lequel a commis le pire crime.

Spitzer, à travers ses actes, fait beaucoup de mal à sa famille et à un petit cercle d'amis. Ceci est toutefois bien pâle comparé aux dommages systémiques à grande portée assénés par Bernanke à travers ses actions hâtives. Ce n'est pas le bon fonctionnaire du gouvernement qui a démissionné la semaine dernière.

copyright 2008 : Asia Times On Line / Traduction : JFG-QuestionsCritiques.

Notes :
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[1] Euro-trash, Asia Times Online, 11 mars 2008