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Proche-Orient

L'étincelle d'al-Qaïda pour allumer le feu
entre l'Iran et les Etats-Unis

Par Gareth Porter
Asia Times Online, le 7 juin 2007

article original : "Al-Qaeda spark for an Iran-US fire"

WASHINGTON — Après la révélation d'une politique de l'administration Bush de tenir l'Iran pour responsable de toute attaque d'al-Qaïda aux Etats-Unis, qui pourrait être décrite comme étant planifiée depuis le sol iranien, l'ancien conseiller à la sécurité nationale, Zbigniew Brzezinski, a prévenu la semaine dernière que Washington pourrait utiliser un tel incident comme prétexte pour bombarder l'Iran.

Brzezinski, qui était le conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter de 1977 jusqu'à 1980 et qui est la personnalité la plus importante au Parti Démocratique en matière de politique de sécurité nationale, a dit à Washington, dans une réunion privée parrainée par la Commission non-partisane pour la République et qui s'est tenue le 30 mai, qu'une attaque terroriste d'al-Qaïda aux Etats-Unis, ayant pour intention de provoquer la guerre entre l'Iran et les Etats-Unis, doit être prise au sérieux. Il a dit aussi que l'Administration du Président George W. Bush pourrait accuser l'Iran d'être responsable d'une telle attaque et l'utiliser pour justifier une attaque contre l'Iran.

Brzezinski a suggéré que de nouvelles contraintes soient nécessaires sur les pouvoirs du président de faire la guerre, pour réduire le risque d'une guerre contre l'Iran, basée sur de tels faux prétextes. De telles contraintes, a déclaré Brzezinski, ne devraient pas empêcher le président d'utiliser la force en riposte à une attaque contre les Etats-Unis, mais devraient faire en sorte qu'il soit plus difficile de porter une attaque sans justification adéquate.

La mise en garde de Brzezinski est arrivée quelques semaines après la publication en avril des mémoires de l'ancien directeur de la CIA, George Tenet. Celles-ci ont révélé que des officiels de la CIA avaient déclaré à des officiels iraniens, lors d'une rencontre en face-à-face, que l'administration Bush tiendrait l'Iran pour responsable de toute attaque d'al-Qaïda contre les Etats-Unis, qui serait préparée à partir du territoire iranien.

L'administration a affirmé avec persistance pendant les cinq dernières années que l'Iran avait donné refuge à des agents d'al-Qaïda qui avaient fui l'Afghanistan et que ces derniers avaient participé à la préparation d'actions terroristes - des affirmations qui ne sont pas soutenues par les analystes des services secrets.

Des officiels du Pentagone ont laissé passé l'information à CBS en mai 2003 selon laquelle ils avaient la "preuve" que les dirigeants d'al-Qaïda qui avaient trouvé un "asile sûr" en Iran avaient préparé et dirigé des opérations terroristes en Arabie Saoudite et ailleurs. Le Secrétaire à la Défense d'alors, Donald Rumsfeld, a aussi encouragé cette accusation d'interférence, lorsqu'il a déclaré le 29 mai 2003 que l'Iran avait "permis à des cadres supérieurs d'al-Qaïda d'opérer dans leur pays".

Cette fuite et cette déclaration publique ont permis aux médias et à leurs auditeurs de déduire que cet "asile sûr" avait été délibérément fourni par les autorités iraniennes.

Mais la plupart des analystes des services secrets étasuniens, spécialisés dans le Golfe Persique, pensaient que les officiels d'al-Qaïda en Iran, qui communiquaient toujours avec des agents de l'extérieur, se cachaient plutôt qu'ils étaient en maison d'arrêt. Paul Pillar, l'ancien officier des renseignements nationaux pour le Proche-Orient et l'Asie du Sud, a déclaré l'année dernière à l'agence Inter Press Service, dans une interview, que "l'impression générale" était que les agents d'al-Qaïda n'étaient pas en Iran avec la complicité des autorités iraniennes.

L'ancien analyste de la CIA, Ken Pollock, spécialiste du Golfe Persique au National Security Council en 2001, a écrit dans The Persian Puzzle [le puzzle iranien], "Ces dirigeants d'al-Qaïda opéraient visiblement à l'est de l'Iran, qui est un peu comme le Far West." Il a ajouté, ostensiblement, "Ce n'était pas comme si ces dirigeants d'al-Qaïda avaient été enfermés à double-tour dans la prison Evin de Téhéran et qu'ils aient été autorisés à passer des coups de fils pour organiser les attaques."

Bien que la plupart des éléments de l'administration Bush semblent s'opposer à une action militaire contre l'Iran, le Vice-président Cheney, selon certaines sources, a défendu ce cap. Il a aussi continué à soulever la question des cadres d'al-Qaïda en Iran.

Cheney a déclaré dans une interview sur Fox News, le 14 mai, "Nous croyons fortement qu'il a un certain nombre de cadres d'al-Qaïda en Iran et qu'ils y sont depuis le printemps 2003. A peu près au moment où nous avons lancé les opérations en Irak [2003], les Iraniens ont rassemblé un certain nombre d'individus d'al-Qaïda et les ont placés en maison d'arrêt."

Cheney n'a pas dit que les cadres d'al-Qaïda qui communiquaient avec les autres agents à l'extérieur de l'Iran étaient en maison d'arrêt.

Encore en février dernier, les officiels de l'administration Bush se préparaient à accuser publiquement Téhéran de coopérer avec les suspects d'al-Qaïda et de leur donner asile. Cela faisait partie de la stratégie de l'administration de pousser à des sanctions plus dures des Nations-Unies contre l'Iran. Selon un reportage de Dafna Linzer, publié le 10 février dans le Washington Post, la stratégie consistant à dépeindre l'Iran comme ayant des liens avec al-Qaïda a été poussée par un conseiller de Bush non-identifié qui a "contribué à créer une approche étasunienne plus provocatrice vis-à-vis de l'Iran".

Ainsi que Linzer l'a révélé, la faction néoconservatrice de l'administration "vendait" toujours les liens entre l'Iran et al-Qaïda, malgré le fait que le rapport de la CIA de février rapportait l'arrestation par les autorités iraniennes de deux autres agents d'al-Qaïda essayant de passer du Pakistan en Irak par l'Iran.

Le danger d'un effort d'al-Qaïda pour déguiser une attaque contre les Etats-Unis comme venant de l'Iran a été soulevé dans un article de l'ancien conseiller au NSC et expert en antiterrorisme, Bruce Reidel, publié fin avril dans Foreign Affairs.

Dans cet article, Reidel écrivait qu'Oussama ben Laden pourrait avoir des plans pour "déclencher une guerre totale entre les Etats-Unis et l'Iran", se référant à la preuve qu'al-Qaïda en Irak considère désormais l'influence iranienne en Irak comme "un problème encore plus grand que l'occupation américaine".

"Le plus grand danger," écrivait Reidel, "est qu'al-Qaïda provoquera délibérément une guerre avec l'opération "faux-drapeau", disons, une attaque terroriste entreprise de telle manière que l'on croira que c'est l'Iran qui l'a menée."

Lors d'une séance d'information sur cet article à des journalistes, Reidel a déclaré que les cadres d'al-Qaïda avaient "parlé ouvertement de la pertinence de faire en sorte que leurs deux grands ennemis se livrent la guerre l'un contre l'autre," espérant qu'ils pourraient "se détruire mutuellement".

Reidel, qui est maintenant un membre supérieur du Saban Center for Middle East Policy à la Brookings Institution, était l'un des principaux spécialistes sur le terrorisme d'al-Qaïda. Il a servi dans les années 90 comme officier des services secrets nationaux. Il a aussi été secrétaire adjoint à la défense et spécialiste du NSC pour le Proche-Orient et l'Asie du Sud, jusqu'à janvier 2002.

Pour soutenir les mises en gardes de Brzezinski et de Reidel sur une attaque terroriste "faux drapeau" d'al-Qaïda, il y a un document d'al-Qaïda qui a été saisi l'année dernière dans une cachette d'Abou Moussab al-Zarqaoui en Irak. Ce document, traduit et publié par le Conseiller à la Sécurité Nationale Irakienne, Mouwafek al-Rubaie, disait, "La meilleure solution pour sortir de cette crise est d'impliquer les forces étasuniennes à livrer une guerre contre un autre pays ou tout groupe hostile."

Ce document, dont l'auteur n'a pas été spécifié, expliquait : "Nous voulons dire tenter spécifiquement de faire monter en escalade la tension entre l'Amérique et l'Iran et l'Amérique et les Chiites en Irak."

Gareth Porter est historien. Il est aussi un analyste politique sur la sécurité nationale. (Inter Press Service) - traduction [JFG-QuestionsCritiques]