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L'ascension de Petraeus libère Cheney vis-à-vis de l'Iran

Par Gareth Porter
Asia Times Online, publié le 26 avril 2008

article original : "Petraeus' rise lets Cheney loose on Iran"

WASHINGTON - La nomination du Général David Petraeus en tant que nouveau chef du Central Command des Etats-Unis garantit qu'il sera disponible pour défendre la politique de l'administration de George W Bush vis-à-vis de l'Iran et de l'Irak, du moins dans les derniers mois du mandat de Bush, et peut-être même au-delà.

Cela donne aussi au Vice-président Dick Cheney une plus grande liberté d'action pour exploiter, durant les derniers mois de l'administration Bush, l'option d'une frappe aérienne contre l'Iran.

Selon le Secrétaire à la Défense Robert Gates, Petraeus prendra le commandement de CENTCOM à la fin de l'été ou au début de l'automne.

La capacité de l'administration américaine de menacer, à la fois publiquement et en coulisse, d'attaquer l'Iran a été spectaculairement réduite en 2007, par l'opposition de l'ancien chef de CENTCOM, l'Amiral William Fallon, jusqu'à ce qu'il se retire de ce poste, le mois dernier, sous la pression de Gates et de la Maison-Blanche.

Petraeus a prouvé sa volonté de coopérer étroitement avec la Maison-Blanche sur l'Irak et l'Iran, en fourbissant des arguments contre toute réduction post-"surge" [montée en puissance] des troupes et en accusant l'Iran de défier la présence militaire des Etats-Unis. En plus de la déférence du Congrès et des médias envers Petraeus, la malléabilité de ce dernier sur ces questions a fait de lui le choix évident pour remplacer Fallon.

Mais en fait, dès l'année dernière, Petraeus avait déjà pris le contrôle d'un grand nombre des pouvoirs du chef de CENTCOM.

En tant que commandant en chef en Irak, il était en théorie, dans la chaîne de commandement, sous les ordres de Fallon. En réalité, Petraeus ignorait les points de vue de Fallon et prenait directement ses ordres de la Maison-Blanche. Petraeus exerçait en effet le rôle de commandant en chef sur les questions jumelles de l'Irak et de l'Iran.

Depuis le début de sa prise de commandement de CENTCOM, Fallon s'est régulièrement querellé avec Petraeus sur le "surge" et le retrait d'Irak. Fallon s'est opposé au "surge" et il pensait que les Etats-Unis devraient commencer à retirer d'Irak la plupart de leurs soldats. Mais il était efficacement contrecarré par le lien étroit entre Petraeus et la Maison-Blanche, pour pouvoir influencer la politique militaire des Etats-Unis en Irak et dans l'ensemble de la région.

Fallon a aussi exercé beaucoup de pression, selon une source qui connaît bien sa manière de penser, pour tenter de négocier un accord avec l'Iran sur le passage inoffensif par le Détroit d'Ormuz, afin d'apaiser les tensions causées par le différent entre les Etats-Unis et l'Iran sur les obligations des navires de guerre transitant par ce détroit. Mais toutes négociations de ce type seraient entrées en conflit avec l'emphase que l'administration a placée sur une confrontation avec l'Iran, et ils n'étaient pas intéressés.

Petraeus a révélé dans son audition du 10 avril dernier devant le Congrès qu'il avait déjà assumé quelques-unes des fonctions normalement exercées par le chef de CENTCOM, en ce qui concerne les relations avec les chefs militaires dans la région. Petraeus a déclaré qu'il était "vraiment allé dans quelques pays voisins, dans une initiative … de découvrir les réseaux de certains de ces combattants étrangers, les pays dans lesquels ils opèrent, et leurs sources".

En fait, Associated Press a rapporté que Petraeus, depuis septembre 2007, s'était rendu dans cinq pays du Proche-Orient - la Jordanie, le Koweït, Bahreïn, la Turquie et les Emirats Arabes Unis. Ceci aurait normalement dû être le travail de Fallon, mais la Maison-Blanche a bien fait comprendre qu'elle voulait que ce soit Petraeus - pas Fallon - qui accomplisse ces missions.

Selon la même source, il était devenu de plus en plus évident à Fallon qu'il ne dirigeait pas vraiment les choses à CENTCOM. La frustration de Fallon vis-à-vis du pouvoir de fait que Petraeus exerçait sur la politique au Proche-Orient était la raison principale pour laquelle il était prêt à se retirer.

Mais, ainsi que l'a rapporté le magazine Esquire au début du mois de mars, ce fut le refus de Fallon d'accepter que l'option d'une frappe militaire contre l'Iran soit toujours effectivement sur la table qui conduisit à des tensions sérieuses avec la Maison-Blanche. Il était évident que Fallon avait irrité Cheney, en suggérant publiquement en trois occasions, entre septembre et fin-novembre 2007, qu'une frappe militaire contre l'Iran avait été écartée par Washington.

L'annonce de la démission de Fallon, le 11 mars dernier, a été suivie moins d'une semaine plus tard par un voyage de 10 jours de Cheney au Proche-Orient, durant lequel le vice-président a parlé explicitement d'une option militaire contre l'Iran lors de ses visites en Turquie et en Arabie Saoudite. Ce qui semble indiquer que Cheney s'est senti plus libre de brandir la menace militaire contre l'Iran avec Fallon qui était neutralisé.

Durant sa visite en Turquie le mois dernier, Cheney a sollicité agressivement le soutien politique des dirigeants turcs, pour une frappe des Etats-Unis contre les installations nucléaires iraniennes, selon une source bien au courant de la rencontre de Cheney à Ankara.

Cheney a été "très agressif" en demandant au Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan et au Président Abdullah Gul, de même qu'au chef d'état-major le Général Yasar Bukyukanit, de "s'embarquer" dans une telle attaque, selon cette source, qui a accès au compte-rendu de la visite de Cheney.

Cheney a indiqué que la Turquie avait été ajoutée à la dernière minute à son voyage, semblant ainsi indiquer que cette décision de rendre visite à Ankara était liée à la démission de Fallon.

Après la rencontre entre Cheney et le Roi d'Arabie Saoudite Abdallah ben Abdul Aziz, lors du même voyage, des sources saoudiennes ont fait savoir aux médias que le Roi Abdallah avait dit à Cheney que son gouvernement s'opposait à toute frappe militaire des Etats-Unis contre l'Iran. Indiquant par là que Cheney avait abordé l'option militaire aussi à Riyad.

Lors de ce voyage, l'un des principaux objectifs de Cheney semble avoir été de faire passer le message à l'Iran que l'option d'une frappe contre ses installations nucléaires est bien toujours d'actualité.

Dans une interview avec Cheney, alors que celui-ci se trouvait à Ankara, la journaliste d'ABC News, Martha Raddatz, a fait le commentaire suivant : "[Lorsque] vous venez ici, les gens dans la région se mettent à penser que vous êtes ici pour planifier quelque sorte d'action militaire".

Cheney a fortement sous-entendu que c'était en effet l'objectif majeur de son voyage. "Eh bien, je pense que la chose importante à garder en tête", a-t-il dit, "est l'objectif que nous partageons avec un grand nombre de nos amis dans la région, et c'est qu'un Iran doté de l'arme nucléaire serait très déstabilisant pour toute la région".

Petraeus est devenu le principal porte-parole de l'administration pour l'argument tenant l'Iran pour principalement responsable de la résistance militaire chiite à l'occupation étasunienne en Irak. Petraeus et son état-major ont développé l'idée, début 2007, selon laquelle l'Iran utilisait un soi-disant "groupe spécial" de combattants rebelles de l'Armée du Mehdi du dirigeant chiite Muqtada al-Sadr, pour livrer une guerre par procuration contre les forces étasuniennes.

Lors de sa dernière audition devant les commissions parlementaires, Petraeus a déclaré que ces "groupes spéciaux" prétendument organisés et manipulés par l'Iran "posent la plus grande menace à long-terme à la viabilité d'un Irak démocratique".

Gareth Porter est historien. Il est aussi un analyste politique sur la sécurité nationale. (Inter Press Service) - traduction [JFG-QuestionsCritiques]