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Les bombes utilisées par les Taliban proviennent des USA, pas d’Iran

Par Gareth Porter
Asia Times Online, publié le 6 septembre 2009

article original : "Taliban's bombs came from US, not Iran"

WASHINGTON – Pour soutenir l’affirmation officielle des Etats-Unis, selon laquelle l’Iran arme leurs ennemis jurés, les Taliban, le patron de l’ODNI (Office of the Director of National Intelligence), Dennis Blair, a cité une déclaration faite l’année dernière par un commandant Taliban, attribuant le succès militaire contre les forces de l’OTAN à l’assistance militaire iranienne.

Mais l’affirmation de ce commandant Taliban est contredite par des preuves du Ministère de la Défense américain, des forces canadiennes en Afghanistan et par les Taliban eux-même, que les dommages accrus infligés aux chars de l’OTAN par les forces Taliban provenaient de mines antichar fournies par les Etats-Unis au mouvement djihadiste qui luttait contre les Soviétiques en Afghanistan dans les années 80.

Cette affirmation Taliban a été citée par l’ODNI dans les réponses écrites à des questions pour les archives de la Commission d’Experts du Sénat sur les Services de Renseignements, à la suite du témoignage de Blair devant cette commission le 12 février 2009. Ces réponses ont été communiquées le 30 juillet dernier à la Fédération des Scientifiques Américains, en vertu de la Loi sur la Liberté d’Information.

L’ODNI a écrit que l’Iran « fournissait en secret des armes aux insurgés afghans, tout en faisant croire publiquement qu’il soutient le gouvernement afghan ». Pour prouver ces fournitures secrètes d’armes iraniennes, l’ODNI a déclaré, « les commandants Taliban ont attribué publiquement la réussite de leurs opérations contre les forces de la coalition au soutien iranien ».

Cette déclaration était reprise pratiquement mot pour mot du sous-titre d’un article publié le 14 septembre 2008 sur le site internet des publications londoniennes, Daily Telegraph et Sunday Telegraph. « Un commandant Taliban a attribué aux armes fournies par les Iraniens la réussite de leurs opérations contre les forces de la coalition en Afghanistan », était le sous-titre de l’article « Les Taliban soutiennent que l’Iran leur fournit des armes ».

Ce commandant Taliban qui était cité au singulier est devenu plusieurs dans la version de l’ODNI.

Dans cet article, la journaliste britannique Kate Clark citait un commandant Taliban sans le nommer qui aurait dit : « Il y a une sorte de mine terrestre appelée ‘Dragon’. C’est l’Iran qui l’envoie. Elle est directionnelle et fait beaucoup de victimes ». Ce commandant disait que cette nouvelle mine « détruirait complètement » les gros chars, là où les mines antichar « ordinaires » ne causaient que « des dégâts mineurs ».

Si cette révélation était vraie, qu’une arme antichar iranienne améliorée avait tué un grand nombre de soldats américains et de l’Otan, elle constituerait un développement majeur dans la guerre en Afghanistan. Les officiels américains et de l’Otan admettent que les attaques à la bombe au bord des routes sont la cause de la plupart des pertes de soldats étrangers dans ce pays.

L’augmentation rapide des pertes humaines au cours des deux dernières années est attribuée en partie au fait que les mines Taliban sont plus meurtrières.

Mais selon l’agence du Pentagone en charge de la lutte contre les bombes placées aux bords des routes en Irak et en Afghanistan, la menace accrue des Taliban contre les véhicules américains et de l’Otan ne provient d’aucune nouvelle technologie iranienne, mais de mines de fabrication italienne laissées sur place après l’assistance militaire de la CIA aux djihadistes anti-soviétiques, dans les années 80.

En réponse à une enquête menée par Inter Press Service (IPS), le JIEDDO (Joint Improvised Explosive Device Defeat Organization) [l’organisme du Département de la Défense US qui lutte contre les explosifs de fortune] a dit dans un courriel que les mines antichar TC-6 de fabrication italienne sont « très répandues » dans les régions afghanes dominées par les Taliban et qu’elles avaient été modifiées pour accroître leur capacité meurtrière dans les attaques aux explosifs de fortune.

La réponse du JIEDDO disait que les mines TC-6 étaient « déployées par deux ou trois en tandem afin de garantir une charge suffisamment importante pour infliger des dégâts aux véhicules de la coalition ». Les mines TC-6 « continuent de poser une menace importante aux forces de la coalition », a déclaré le JIEDDO.

La combinaison de deux ou trois mines antichar en une seule bombe plus destructrice serait responsable de la dangerosité accrue des mines antichar utilisées par les Taliban.

L’affirmation par ce soi-disant commandant Taliban, selon laquelle une nouvelle arme plus efficace était fournie par l’Iran, semble avoir été une désinformation délibérée destinée à la presse occidentale.

L’auteur britannique Jason Elliot, qui a beaucoup voyagé en Afghanistan depuis 1979, a rapporté dans un livre publié en 2001 (Min(d)ing Afghanistan) que les TC-6 de fabrication italienne étaient les mines antichar les plus utilisées en Afghanistan. La charge de TNT de 7 kilos, écrivait Elliot, peut « retourner un char de la même façon qu’une mouette retourne un bébé tortue ».

Des millions de mines sont restées enfouies dans le sol après l’occupation soviétique, a fait observer Elliot. Toutefois, selon l’ONU, seules environ 20.000 mines antichars ont été détruites depuis 1989.

Une preuve supplémentaire que les Taliban comptent beaucoup sur les TC-6 pour infliger des dégâts aux chars de l’Otan est une photographie publiée al-Jazeera le 1er mai 2007, montrant une réserve Taliban d’explosifs dans la province du Helmand. Celle photographie (ci-dessous), prise par un cameraman accompagnant le correspondant de presse James Bays, montre deux insurgés bricolant une bombe à partir de ce qui est clairement identifiable comme étant une mine antichar italienne TC-6.


Les combattants Taliban possèdent des quantités importantes
d’explosifs pour fabriquer des bombes antichar

Ces insurgés ont déclaré au photographe que les explosifs stockés dans cette pièce étaient en cours de conversion en « bombes antichar ».

Les forces canadiennes dans la province de Kandahar ont essuyé des attaques des Taliban, utilisant abondamment des mines antichar en Afghanistan. Selon les données publiées sur le site internet des forces canadiennes, depuis début 2007, 57 morts sur les 81 qu’ont compté les forces canadiennes en Afghanistan ont été causés par des bombes placées au bord des routes et par des mines antichar.

Le Capitaine Dean Menard, un porte-parole des forces canadiennes à Kandahar, a déclaré à IPS dans une interview téléphonique qu’une partie du matériel utilisé par les Taliban contre les forces canadiennes « est sans aucun doute attribuable à la période de l’occupation soviétique » - une référence aux mines fournies par les Etats-Unis depuis le Pakistan durant la guerre anti-soviétique.

Selon Menard, les insurgés ont obtenu ces armes antichar de « l’héritage de champs de mines » datant de la période de l’occupation soviétique. Les forces canadiennes ont également des renseignements selon lesquels les Taliban obtiennent de telles mines auprès d’un « vaste marché noir », a-t-il dit.

Le porte-parole canadien a confirmé que les Taliban « fabriquaient de plus grosses mines » à partir du matériel obtenu auprès de ces sources.

En 2007 et en 2008, l’armée et la police afghanes ont découvert deux caches d’armes de première importance dans la province de Herat, à la frontière iranienne. Parmi ces armes, des mines antichar que certains officiels afghans ont prétendu provenir d’Iran.

Mais une photo (ci-dessous) des mines découvertes à Hérat, publiée par l’Association Révolutionnaire des Femmes Afghanes (RAWA), montre clairement neuf mines italiennes TC-6 et une autre qui ressemble au couvercle d’une mine américaine M-19, mines américaines que l’on a retrouvées en Afghanistan au cours des vingt dernières années. L’une de ces mines ne peut pas être clairement identifiée sur la photographie, mais elle ne ressemble à aucune mine iranienne connue.


Une photographie de la cache découverte en 2007 à Herat, publiée par l’Agence France-Presse, montre un plus grand nombre de mines C-6 italiennes, accompagnées d’un certain nombre de mines antichar qui semblent être des M-19 de fabrication américaine. Cette photo (ci-dessous) montre un policier afghan montrant une marque sur l’une de ces mines, suggérant son origine italienne.


Une mine découverte dans la cache d’armes
mise au jour dans la province de Herat
Photo prise le 6 septembre (AFP)

Selon Jane's Mines and Mine Clearance 2005-2006, l’Iran a fabriqué une copie de la mine américaine M-19. Cependant, une mine M-19 de fabrication iranienne, ensevelie depuis longtemps et qui avait été fournie à la faction Jamiat-I Islami, luttant contre les combattants encore plus extrémistes du Hezb-e Islami dans la période 1992-96, a explosé accidentellement à Kaboul en 2006.

De plus, une étude de 2009, effectuée par le Centre d’Analyse de Stratégies et de Technologies, basé à Moscou, sur les fournitures d’armes à l’Afghanistan dans les années 1990, montre que l’aide militaire à grande-échelle de l’Iran aux forces de l’Alliance du Nord en 1999 incluait des mines antichar.

La prédominance de mines de fabrication italienne parmi les armes découvertes à Herat indique que les mines découvertes à Herat en 2007 et en 2008 ne provenaient pas de l’aide iranienne au Taliban, mais des armes fournies, soit aux Moudjahidin durant l’occupation soviétique, soit aux troupes de l’Alliance du Nord combattant les Taliban à la fin des années 90.

L’ancien officier de la CIA, Phil Giraldi, qui contrôle l’analyse des services de renseignements américains sur l’Iran, a déclaré à IPS qu’il doutait que la déclaration de l’ODNI sur la politique iranienne en Afghanistan reflète avec exactitude cette analyse.

« Si vous lisiez le rapport analytique original », a dit Giraldi, « Vous découvririez probablement qu’il est bourré de réserves. »

Gareth Porter est historien d'investigation et un journaliste spécialisé dans la politique de sécurité nationale américaine.

(Inter Press Service) - traduction [JFG-QuestionsCritiques]