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Traite des blanches

Le commerce d'esclave conduit à Israël

par Mona Alami
Asia Times Online, 5 septembre 2008

article original : "Slave trade heads to Israel"

JÉRUSALEM — Israël continue d'être une destination favorite du trafic de femmes pour l'industrie du sexe — connu aussi sous le nom de traite des blanches — et pour une forme d'esclavage moderne dans lequel sont exploités les travailleurs émigrés des pays développés.

Le Département d'Etat des USA a placé Israël en position Tiers 2 dans son rapport de 2007 sur le trafic d'êtres humains. Un tribunal israélien a également statué contre la politique du pays en matière de visas de travail qui forcent les travailleurs étrangers à être liés par une forme d' "engagisme" [Indentured Labour][1] avec un employeur unique.

"Israël n'a été remonté à la position Tiers 2 que l'année dernière", dit Romm Lewkowicz, un porte-parole de l'Assistance aux Travailleurs Immigrés d'Israël [Israel's Hotline for Migrant Workers], une association de défense des droits des travailleurs étrangers.

Le Département d'Etat des USA divise les pays en trois tiers. Le Tiers 1 est pour les pays qui ont mis en place avec succès des mesures de contrôle du trafic d'êtres humains (la plupart des pays occidentaux tombent dans cette catégorie). Le Tiers 2 est pour les pays qui essayent d'éradiquer cet esclavage des temps modernes mais qui n'ont toujours pas réussi à satisfaire les normes nécessaires. Le Tiers 3 est réservé aux pays qui ne s'occupent pas de cette question au niveau le plus élémentaire.

En 2006, Israël se trouvait sur la liste de surveillance du Département d'Etat relative au trafic d'êtres humains.

"Cette position tombe entre les catégories Tiers 2 et Tiers 3. Les Etats-Unis appliquent des sanctions économiques aux pays qui tombent dans la catégorie Tiers 3, mais comme nous avons une relation économique forte avec les USA, Israël a reçu un avertissement et a été placé dans une catégorie légèrement plus élevée", a déclaré Lewkowicz.

Le gouvernement israélien a été également confronté à des critiques sévères de la part des Etats-Unis sur ce qu'Israël appelle sa politique de visa de travail restrictif qui lie effectivement les émigrés — essentiellement en provenance des pays en développement et des pays de l'Est de l'ancien bloc soviétique, dans certaines industries comme le bâtiment, la main d'œuvre non qualifiée, le personnel de maison et l'agriculture — à l'employeur spécifié sur le visa.

"La délivrance de ces visas est conditionnée à ce que les travailleurs restent avec le même employeur spécifié sur le visa et, si cette condition est rompue, le travailleur immigré est alors déclaré illégal et passible d'expulsion sans avoir l'occasion de défendre son cas dans un tribunal", dit Sigal Rosen de l'association Hotline.

Ceci a encouragé des employeurs sans scrupules à retenir les salaires et à extorquer leurs employés, sachant qu'ils peuvent toujours les remplacer et échapper aux poursuites.

L'une des affaires les plus notoires était l'accord de 2002 "des Turcs contre des Chars". Conformément à cet accord, l'industrie militaire israélienne (Ta'as) a mis à niveau environ 200 chars pour la Turquie, au tarif de 687 millions de dollars, à l'occasion de l'un des plus gros contrats d'exportation d'armement du pays. Une partie de ce contrat accordait à 800 travailleurs turcs des permis de travail en Israël dans l'industrie du bâtiment, après que ceux-ci avaient été placés par l'agence d'emploi turque Yilmazlar.

L'un des contractants de Yilmazlar, Shaheen Yelmaz, est arrivé en Israël en 2006, en rêvant de pouvoir aider son père à rembourser une montagne de dettes, après la promesse d'un bon travail en Israël payé 1.400 dollars par mois — une fortune selon les normes turques où le chômage est élevé.

A son arrivée, son passeport et son téléphone mobile lui furent retirés et, en compagnie d'autres travailleurs turcs, il fut logé dans des conditions sordides.

"Nous n'avions pas le droit de quitter les locaux le soir et l'on ne pouvait sortir que lors de notre jour de repos. Et nous n'étions pas payés pendant les trois premiers mois", a déclaré Yelmaz.

L'Ambassade de Turquie n'était pas disposée à intervenir en raison du contrat lucratif avec Israël.

Yelmaz et ses camarades, la plupart peu éduqués, furent forcés de signer des documents en blanc avant de quitter la Turquie, lesquels garantissait visiblement leur dépendance à Yilmazlar.

"Notre employeur israélien nous avait également dits que si nous n'étions pas contents nous pouvions partir. Ensuite, la police nous arrêterait comme illégaux et nous serions expulsés", a dit Yelmaz.

A la suite d'un grand nombre de cas similaires, Hotline et d'autres associations israéliennes des droits de l'homme ont remis une pétition à la Cour Suprême d'Israël. Cette cour a reconnu l'injustice de ce système, mais statua que le contrat de Yilmazlar avec l'industrie de défense israélienne était un cas unique et que le contrat de cette société avec Israël était limité.

Toutefois, la Cour a bien statué en 2006 que la politique de visas restrictifs était généralement illégale et ordonna à l'Etat d'établir une alternative. Rosen dit qu'ils attendent toujours une réponse définitive de la part de l'Etat israélien.

Yelmaz fut par la suite expulsé vers la Turquie, endetté à hauteur de 15.000 dollars, et le contrat d'Israël avec Yilmazlar fut renouvelé.

"Tandis que la situation des travailleurs sous engagisme reste sérieuse, le trafic de femmes s'est quelque peu amélioré", dit Lewcowicz. "Depuis que le Département d'Etat des USA a placé Israël sur sa liste de surveillance en 2006, le nombre de femmes envoyées en Israël a décliné et le trafic de femmes est désormais illégal. De plus, le gouvernement accorde désormais aux prostituées un visa de réhabilitation d'un an. Cependant, la bureaucratie impliquée signifie que l'octroi de ces visas est souvent problématique."

Mais de nouveaux problèmes ont fait surface. "Israël n'est plus seulement un importateur de prostituées mais en est devenu également un exportateur. L'année dernière, nous avons découvert un nouveau business où des femmes israéliennes étaient victimes d'un trafic vers le Royaume-Uni et l'Irlande pour travailler dans l'industrie du sexe," a déclaré Lewkowicz.

La prostitution est devenue aussi une activité clandestine en Israël. "Auparavant, elle était pratiquée ouvertement dans la rue, mais beaucoup d'acteurs de cette industrie se sont résolus désormais à travailler depuis des appartements privés, à la suite des mesures sévères prises par la police et le gouvernement contre ce trafic", a-t-il ajouté.

Selon le Groupe de Travail sur le Trafic d'Êtres Humains [Task Force on Human Trafficking (TFHT)], dont le siège se trouve à Jérusalem, approximativement 1.000 prostituées sur les 10.000 estimées en Israël sont mineures.

Les immigrants des pays de l'ancien bloc soviétique, dont certains sont impliqués dans la mafia russe, gèrent environ 20% de ce commerce, tandis que les 80% restant sont gérés par des Israéliens, dit Lewkowicz.

Un rapport d'Analyse du Terrorisme Mondial, publié par la Fondation Jamestown, basée à Washington, expose qu'un grand nombre des femmes victimes de ce trafic sont passées clandestinement depuis le Sinaï en Egypte par des Bédouins qui sont également impliqués dans la contrebande d'armes.

Cette industrie s'est avérée très lucrative pour les trafiquants d'êtres humains, avec chaque femme vendue en Israël rapportant entre 50.000 et 100.000 dollars.

Mais, selon Hotline, l'Etat empoche aussi une bonne part des profits de la traite des blanches.

Les prestataires de services, comme les chauffeurs de taxis transportant les prostituées, les avocats qui représentent les clients des prostituées, les logeurs qui louent leurs locaux à des bordels, payent tous l'impôt sur le revenu, qui atterrit au bout du compte dans les coffres de l'Etat. Sans parler des cas de policiers corrompus qui se sont remplis les poches avec les pots-de-vin.

(Copyright 2008 AsiaTimesOnline — Traduction : JFG/QuestionsCritiques. All rights reserved.)

Note :
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[1] Emploi sous contrat de travail restrictif pour une période fixée dans un pays étranger en échange du paiement pour le voyage, le logement et la nourriture. L'engagisme était le moyen par lequel de nombreux Britanniques émigraient en Amérique du Nord durant l'ère coloniale, et, au 19ème siècle et au début du 20ème siècle, il était utilisé pour recruter des travailleurs asiatiques employés ailleurs dans les empires coloniaux européens.

Les conditions des travailleurs engagés sous cette forme [indentured workers] étaient en général très mauvaises. Beaucoup mourraient durant le voyage et, durant le temps de l'engagement (habituellement entre quatre et sept ans), le travailleur n'avait pas le droit de changer d'employeur, bien que l'employeur pût vendre le temps restant du contrat, très proche de la façon dont un esclave pouvait être vendu. Le travail sous engagisme était largement utilisé comme source de travailleurs depuis l'Inde, pour l'emploi dans les plantations de canne à sucre aux Caraïbes, depuis 1839, à la suite de l'abolition de l'esclavage.