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     L'Iran courtise la Russie et
la gauche latino-américaine
    Par Kaveh L Afrasiabi
Asia Times Online, le 4 septembre 2008
article original : "Iran and the left in Latin America"


Le Président bolivien Evo Morales est à Téhéran cette semaine, ouvrant la voie à un nouveau chapitre de la coopération économique et stratégique de son pays avec la République Islamique d'Iran. Celle-ci a promis des investissements lourds dans le secteur énergétique bolivien et d'autres projets en commun, dont certains impliquent d'autres pays d'Amérique Centrale et Latine, comme le Venezuela et le Nicaragua, sans négliger Cuba.

Dans un communiqué conjoint, Morales et le Président Mahmoud Ahmadinejad ont conclu sur la nécessité de "mesures politiques concrètes contre tout type d'impérialisme", tout en condamnant également l'intervention du Conseil de Sécurité des Nations-Unies sur le programme nucléaire iranien, comme "manquant de toute justification légale ou technique".

La Bolivie est peut-être un pays pauvre, mais elle est stratégiquement située et représente une alliée importante pour l'Iran, pouvant agir comme catalyseur afin d'améliorer la coopération croissante de l'Iran avec les autres nations latines, en particulier celles qui sont considérées à gauche ou populistes.

Lors de sa visite en Bolivie, l'année dernière, Ahmadinejad a promis que l'Iran investirait un milliard de dollars dans le secteur sous-développé du pétrole et du gaz en Bolivie, et les deux parties sont à présent beaucoup plus proches d'en faire une réalité. Il est certain que la décision de Morales, de mettre de côté toute hésitation et de soutenir sans réserve la position de l'Iran dans l'impasse nucléaire actuelle, explique en grande partie la cémentation de l'amitié entre l'Iran et la Bolivie.

Du point de vue de Téhéran, un bénéfice indirect de la visite de Morales est que cela fait bien comprendre à Moscou les services que Téhéran peut rendre en renforçant le credo anti-unipolaire de Moscou, qui a été exprimé par le Président Dimitri Medvedev dans son discours majeur de politique étrangère, la semaine dernière. Piochant dans le lexique de la Guerre Froide, Medvedev a ouvertement mentionné l'intention de la Russie de continuer de créer une "sphère d'influence" politique et il s'est assuré de mentionner, "pas seulement avec nos voisins".

Ainsi que divers experts russes, dont le Centre Russe aux Etudes Stratégiques, l'ont fait remarquer, la Russie, dans le sillage de la crise en Géorgie, est désormais prête à renforcer ses liens avec des pays, tels que l'Iran et le Venezuela. A la lumière de la visite en Géorgie du Vice-Président étasunien Dick Cheney, vilipendé par le Premier ministre Vladimir Poutine comme étant directement responsable du déclenchement de la crise en Géorgie à des fins électorales, le fossé croissant entre les Etats-Unis et la Russie représente simultanément une occasion pour Téhéran de neutraliser les efforts du Conseil de Sécurité de l'ONU d'imposer des sanctions plus sévères sur l'Iran vis-à-vis de son programme nucléaire et d'explorer une coopération stratégique supplémentaire — et plus constructive — avec la Russie et la gauche latino-américaine, face à la menace commune de l'unilatéralisme des Etats-Unis.

Tout compte fait, la performance de l'unilatéralisme étasunien de l'après-guerre froide a été moins que séduisante. Il y a de nombreux exemple d'interventionnisme flagrant, d'intimidation et de propagande belliciste qui ont mis la paix mondiale en danger. Et, à présent, avec les deux candidats à la présidence aux Etats-Unis, le sénateur démocrate Barack Obama et le républicain John McCain, se vendant sur la notion du maintien de la prééminence des Etats-Unis dans la politique mondiale, on doit s'attendre à ce que la continuité dans le modèle de la politique d'après-guerre froide ait le dessus, toutefois avec de nouvelles nuances si Obama remporte l'élection.

Les conseillers en politique étrangère d'Ahmadinejad contemplent ouvertement les nouvelles relations de l'Iran avec l'Amérique Latine comme l'un des acquis de sa présidence. En fait, le nouveau degré de coopération entre l'Iran et la Bolivie, ainsi qu'avec les autres pays d'Amérique Centrale et Latine, est une confirmation opportune supplémentaire de la vision et de la conception stratégiques que ces conseillers ont apporté au gouvernement iranien, à comparer avec le gouvernement de Mohammed Khatami qui a poussé l'arc de la détente avec l'Ouest, presque à l'exclusion de tout le reste.

L'équipe de politique étrangère d'Ahmadinejad est à présent occupée à envisager les prochaines mesures, maintenant que les Russes ont mis en veilleuse leurs hésitations sur des relations plus proches avec des pays qualifiés de "voyous" par l'Occident.

"En ce qui concerne l'Iran, le récent sommet de l'Organisation de la Coopération de Shanghai" [OSC] à Douchanbe a été un succès, car la Chine et la Russie ont accepté d'étendre le rôle et la contribution des nations qui y ont un statut d'observateur, et cela inclut l'Iran", a confié un analyste politique de Téhéran à Asia Times Online. En conséquence, l'Iran est aujourd'hui à un doigt de rejoindre l'OSC à part entière, et la qualité de membre n'est qu'une question de temps en ce qui concerne Téhéran.

Il est clair que les retombées de la crise géorgienne pour l'Iran se multiplient, et la diplomatie latine habile de l'Iran est censée ajouter un nouveau dynamisme à la coopération géopolitique et géostratégique avec la Russie (et la Chine). En tant que puissance moyenne (et pas "une toute petite", ainsi qu'Obama l'a ridiculisée récemment), l'Iran, en conséquence de sa diplomatie mondiale active dans le Mouvement des Non-Alignés, a une influence globale plutôt disproportionnée qui dépasse de beaucoup sa contribution dérisoire à l'économie mondiale (moins de 1%), et ce pays est bien positionné et prédisposé à s'atteler au train du nouveau front mondial anti-hégémonique.

En utilisant ses pétrodollars pour solidifier ses réseaux, l'Iran a déjà passé plusieurs accords économiques avec le Venezuela, le Nicaragua et Cuba ; si jamais Ahmadinejad était réélu l'année prochaine, son deuxième mandat renforcerait probablement un peu plus ces liens.

En même temps, la perspective de relations plus étroites entre la Russie et l'Iran impacte directement la pensée de Washington à propos de l'Iran, étant donné la réticence de la Maison Blanche à consentir une nouvelle série de dialogues US-Iran sur la sécurité de l'Irak et/ou de prendre en considération les doutes sérieux de l'Iran sur un accord de sécurité US-Irak.

Dit simplement, ignorer l'Iran n'est plus une option pour Washington, alors que l'Iran peut agir efficacement comme jeune partenaire de Moscou en tissant les fils d'un lien organique avec les gouvernements de gauche ou populistes d'Amérique Latine (et du reste du monde). Plus ces liens seront organiques ou à multiples facettes, plus grande seront la valeur et l'importance attachées à l'Iran par les nations-clés de l'OSC, la Russie et la Chine, comme cela peut être vu dans la visite du président bolivien — la diplomatie iranienne agissant à la fois régionalement et mondialement.

A ce stade, il n'est pas clair si la Chine est vraiment favorable à un nouveau développement de ce type ou si la Russie est déterminée sur cette ligne, puisque Moscou semble résolue à prendre la mesure d'un dommage contrôlé avec l'Ouest au milieu de ces soulèvements ; et il est certain que sa coopération avec l'Ouest sur le programme nucléaire iranien peut avoir la vertu changeante de cicatriser quelques blessures.

Copyright 2008 Asia Times Online Ltd/Traduction : JFG-QuestionsCritiques