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Les Etats-Unis se rapprochent d'un blocus de l'Iran

Par Kaveh L Afrasiabi
Asia Times Online, le 12 septembre 2008

article original : "US a step closer to Iran blockade"

Le gouvernement des Etats-Unis vient d'imposer de nouvelles sanctions contre l'Iran, cette fois-ci en visant ses compagnies maritimes. La principale ligne maritime iranienne et 18 de ses filiales, accusée d'être engagée dans la contrebande de matériel nucléaire — une accusation catégoriquement réfutée par l'Iran —, a été placée sur la liste noire des Etats-Unis.

Même si l'impact économique de cette mesure contre les Lignes Maritimes de la République Islamique d'Iran (LMRII) sera minimal, à la lumière de l'absence quasi-totale de lien entre cette compagnie maritime et les entreprises étasuniennes, cette toute dernière initiative des Etats-Unis contre l'Iran envoie un signal fort sur l'intention des Etats-Unis de faire monter la pression contre l'Iran — et, si nécessaire, de façon unilatérale. Il s'agit peut-être d'un prélude à des actions plus séreuses et plus dangereuses dans un proche avenir. D'abord, un blocus naval de l'Iran, en vue d'asphyxier, entre autres choses, son accès aux importations de carburants.

L'administration de George W. Bush, qui vit ses derniers mois, s'apprête, lentement mais sûrement, à engager des actions impétueuses qui lieront efficacement les mains du prochain président des Etats-Unis, surtout si celui-ci devait être le candidat démocrate Barack Obama. En effet, par le passé, ce dernier a fait connaître son intérêt pour un dialogue direct avec Téhéran.

Si ces nouvelles sanctions sont en fait des catalyseurs en vue d'actions plus agressives des Américains contre l'Iran — certains membres du Congrès étasunien demandent l'interdiction des cargos iraniens — alors, d'ici à ce que le successeur de Bush au bureau ovale prenne ses fonctions en janvier prochain, le climat d'hostilités entre les Etats-Unis et l'Iran pourrait avoir dégénéré, à un point où il faudrait un effort monumental pour défaire ce qui semble être le dernier coup d'éclat de Bush.

D'un autre côté, à la vieille des élections présidentielles en novembre prochain, plus de tensions entre les Etats-Unis et l'Iran conduiraient l'électeur à accorder une plus grande priorité aux questions de sécurité nationale, ce qui bénéficierait au rival républicain d'Obama, John "Bombardez ! Bombardez ! Bombardez l'Iran !" McCain.

En effet, le couplage de la crise en Géorgie avec celle de l'Iran représente un bonus majeur pour McCain et son approche "de fermeté" envers les ennemis extérieurs des Etats-Unis.

Selon le journaliste d'investigation américain, Seymour Hersh, qui a écrit plusieurs reportages sur les actions secrètes des Etats-Unis contre l'Iran, Bush a plus fois juré de quitter la Maison Blanche en laissant le programme nucléaire iranien intact.

Avec les nouvelles tensions entre la Russie et la Géorgie qui réduisent les perspectives d'une nouvelle diplomatie "multilatérale" vis-à-vis de l'Iran aux Nations-Unies cet automne, la Maison Blanche vient de démarrer un nouveau chapitre de l'action unilatérale coercitive contre l'Iran, qui pourrait bien faire partie d'une "approche d'ensemble" globale. Cette approche pourrait inclure l'interdiction des navires iraniens en haute mer, voire des mesures progressives pour imposer un régime de "blocus intelligent", destiné à refuser l'accès à l'Iran aux carburants dont il a un besoin vital.

Cette dernière mesure aurait en fait pour objectif de viser la population iranienne en lui faisant subir une souffrance tangible et qui pourrait dissiper son soutien à la politique nucléaire du gouvernement, donc à l'insistance de celui-ci pour faire valoir ses droits à enrichir l'uranium en vertu du Traité de Non-Prolifération. Il ne fait aucun doute que les Etats-Unis joueraient avec le feu, et les choses pourraient s'envenimer plutôt rapidement et devenir incontrôlées dans l'éventualité d'une réaction forte de l'Iran.

En ce qui concerne Washington et Tel Aviv, leurs efforts pour monter la Syrie contre l'Iran sont en train de payer — grâce en partie aux efforts infatigables de la France — et les politiciens israéliens ne cachent pas leur espoir que leurs négociations avec Damas leur permettront de toucher un dividende, arrivant à point nommé, par le refroidissement de l'alliance irano-syrienne, jusqu'ici au beau-fixe.

En Iran, des murmures de "diplomatie faible et réactive" peuvent déjà se faire entendre, plaçant ainsi l'administration du Président Mahmoud Ahmadinejad sur la défensive.

Par conséquent, les faucons à Washington sentent venir l'occasion de dernière minute d'affaiblir l'Iran. Ils auront certainement analysé les menaces et estimé les risques. Mais si jamais leurs calculs s'avéraient incorrects, cela pourrait être désastreux pour le gouvernement étasunien dans les années à venir, avec des ennuis énormes.

Quant à l'Iran, un porte-parole des LMRII a dénoncé la mesure des Etats-Unis comme étant "illégale" et basée sur des "accusations mensongères". Les LMRII, qui sont en fait une société privée et non pas une entreprise d'Etat, ont promis de porter plainte auprès des tribunaux internationaux, l'action des Etats-Unis s'inscrivant en violation des termes et du cadre des sanctions de l'ONU, imposées par le Conseil de Sécurité contre l'Iran au sujet de son programme nucléaire. Par exemple, ces sanctions exemptent la centrale nucléaire de Busher en Iran, permettant à celle-ci d'être approvisionné en matériel nucléaire pour cette centrale de fabrication russe et dont la construction est presque terminée.

Cela signifie que les Etats-Unis pourraient chercher à saisir les marchandises nucléaires russes destinées à l'Iran en représailles pour son offensive en Géorgie pro-occidentale, faisant ainsi monter la colère de Moscou. Une autre alternative serait que les Etats-Unis utilisent la menace d'une telle action comme moyen de pression à la fois contre Téhéran et Moscou. La Russie, du point de vue de Washington, doit être amenée à rentrer dans le rang en ce qui concerne l'Iran.

Une fois encore, toute action de ce genre par les Etats-Unis aura des conséquences prévisibles et des conséquences imprévisibles, et les faucons de Washington seraient bien téméraires s'ils prétendaient connaître tout l'éventail de ces ramifications, qui pourraient être dramatiques parce qu'elles raviveraient une nouvelle guerre froide et militariseraient purement et simplement la crise nucléaire iranienne.

Téhéran ne semble pas accueillir favorablement une escalade avec les Etats-Unis. Un ministre délégué aux affaires étrangères, Mehdi Safari, a annoncé que l'Iran est prêt à s'engager dans des négociations de bonne-foi avec l' "Iran Six" (les cinq pays du Conseil de Sécurité, plus l'Allemagne).

Ahmadinejad est attendu à New York dans moins de deux semaines pour participer à l'assemblée générale de l'Onu et, selon toutes les indications, les Etats-Unis et Israël ont choisi délibérément de donner un nouvel élan à leur campagne contre Ahmadinejad, justifiant une lettre de l'ambassadeur iranien à l'ONU, Mohammed Khazaï, se plaignant de menaces flagrantes contre le président iranien de la part des politiciens israéliens — ils ont même dit qu'ils le kidnapperaient.

En conclusion, alors que des plans sérieux contre l'Iran sont fomentées à Washington et à Tel Aviv, le sort de la paix et de la stabilité dans la région pétrolière volatile du Golfe Persique semble une fois de plus sur le point d'être compromis, si la direction prise va vers une confrontation ouverte avec l'Iran.

Copyright 2008 Asia Times Online Ltd/Traduction : JFG-QuestionsCritiques

LIRE AUSSI :
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"L'Administration Bush intensifie ses manœuvres secrètes contre l'Iran", par Seymour Hersh.

"Bombardez ! Bombardez ! Bombardez l'Iran !", par Trita Parsi.