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La nouvelle Guerre Froide

Les Etats-Unis bafouillent sur l'échec de l'Otan

Par Kaveh L Afrasiabi
Asia Times Online, le 21 août 2008

article original : "US falters on NATO's failure"

La Secrétaire d'Etat Condoleezza Rice est censée être une spécialiste sur la Russie, pourtant on ne le dirait pas en voyant sa déclaration triomphale selon laquelle l'Otan fera échouer les objectifs russes en Géorgie.

Rice a proclamé avec hardiesse que la Russie "est de plus en plus hors la loi dans ce conflit", se référant à l'offensive russe en Géorgie à la suite de l'attaque des Géorgiens contre la région rebelle d'Ossétie du Sud. "Ils ont l'intention - et l'ont probablement toujours - d'étrangler la Géorgie et son économie", a dit Rice en parlant des forces russes qui restent en Géorgie.

Toutefois, lors du sommet d'urgence des ministres des affaires étrangères de l'Otan à Bruxelles, les pays européens se sont mis d'accord pour suspendre les contacts officiels avec Moscou jusqu'à ce que les troupes russes se retirent, mais ils ont refusé de plier à la pression américaine pour des sanctions plus sévères. L'Otan "prend sérieusement en considération les implications des actions de la Russie pour la relation entre l'Otan et la Russie", disait la déclaration des 26 membres de l'alliance.

Le fait est que la Russie a finalement tracé une ligne dans le sable et, pour toutes raisons pratiques, le coup de force s'arrête dans le sud du Caucase. À moins de déstabiliser l'Europe, il n'y a pratiquement rien que les Etats-Unis puissent faire là-dessus, à part tirer plus de salves verbales, comme Rice l'a fait sans relâche depuis le déclenchement des hostilités entre la Russie et la Géorgie les 7 et 8 août. Et même cette rhétorique est tombée à Moscou dans l'oreille d'un sourd.

Le Président géorgien Mikhaïl Saakashvili a traité les Russes de "barbares", mais l'ancien avocat new-yorkais aurait dû prendre des cours de géopolitique mondiale avant de s'en prendre bêtement à l'ours russe.

La crise actuelle a quatre causes liées entre elles : l'irrédentisme en Géorgie, l'expansion de l'OTAN, le plan des Etats-Unis de positionner un bouclier antimissile en Europe de l'Est, considéré comme une capacité de première frappe par Moscou, et la géo-économie de la sécurité énergétique.

L'armée russe est maintenant entrée dans le calcul de la sécurité énergétique et, à la lumière de la très forte dépendance de l'Europe sur la Russie, cette crise impactera certainement le futur de la politique européenne de pipelines.

Du côté des Etats-Unis, au lieu d'appliquer l'arithmétique du réalisme politique et de reconnaître les sources de la colère russe, c'est à dire, l'expansion de l'Otan, intrusive et menaçante à proximité du territoire russe, qui n'est pas la bienvenue, les Etats-Unis cherchent maintenant à accroître l'insécurité de la Russie en fait pression de manière plus agressive pour un rôle et une influence accrus de l'Otan dans la région et au-delà. Les Etats-Unis profitent de la crainte, bien visible à l'intérieur de la Géorgie ces derniers jours, que l'Ukraine et les autres pays voisins éprouvent vis-à-vis de la Russie.

De telles réactions belliqueuses de la part des Etats-Unis ne sont complètement en phase ni avec les besoins et les intérêts de l'Europe, ni avec les propres intérêts des Etats-Unis - tels que celui d'engager le dialogue avec la Russie dans le Conseil Otan-Russie. Là où les préoccupations légitimes de Moscou sur sa sécurité nationale ont été complètement mises de côté et ignorées par Washington (et, dans une moindre mesure, par Londres), d'autres dirigeants occidentaux, comme ceux à Paris et à Berlin, ont été plus prudents et l'on pourrait même dire qu'ils prennent en considération le point de vue de Moscou.

Par conséquent, la perspective d'un nouveau désaccord nord-atlantique entre les Etats-Unis et certains de ses alliés européens qui sont membres de l'Otan est bien réelle.

Pour sa part, l'échec de l'Union Européenne à offrir à la Russie une structure adéquate pour un partenariat stratégique, reflété par son incapacité à proposer un nouvel accord de coopération avec Moscou, est aussi une cause de la crise actuelle.

Mais, avec la Russie décrivant constamment ses relations avec l'UE comme le pilier fondamental de sa politique étrangère, l'UE n'a d'autre choix aujourd'hui que de reformuler son calcul en matière de sécurité, en partie dans l'ombre de la Russie. Pour les voisins de la Russie tels que l'Ukraine et la Géorgie, qui nourrissent toujours l'idée de rejoindre l'Otan, la guerre en Géorgie n'a fait que cimenter le pouvoir de veto de Moscou, à moins que ces pays ne soient prêts à s'engager dans de pires résultats.

En ce qui concerne la Chine, qui s'est limitée à une réaction étudiée à ces développements au rythme infernal, les chances sont que Pékin maintienne sa réelle sympathie pour la Russie et, dans ce milieu international d'après 11 septembre 2001, Pékin et Moscou ont une cause commune bien plus grande vis-à-vis de l'unilatéralisme étasunien et de l'expansion de l'Otan qu'elles n'ont de désaccords sur les tactiques spécifiques et les sous-stratégies. En un mot, nous pouvons nous attendre dans un futur proche à une coopération sino-russe plus étroite en matière de sécurité, par l'intermédiaire de l'Organisation de la Coopération de Shanghai, à cause des deux puissances perçues comme menaces, les Etats-Unis et l'Otan.

Etant donné les dégâts à long-terme sur les relations russo-américaines qui résulteront de cette crise et l'insistance des Etats-Unis sur le fait qu'ils n'ont rien fait de mal et que Moscou porte toute la responsabilité, une nouvelle ère de relations glaciales rappelant la Guerre Froide s'est maintenant établie et elle se poursuivra dans la prochaine administration étasunienne, quel que soit le vainqueur des élections présidentielles aux Etats-Unis en novembre.

Bien qu'en surface, l'attitude "soyons fermes avec la Russie" du Sénateur Républicain John McCain puisse sembler avoir bénéficié de cette crise, propulsant les électeurs américains vers des élections en novembre plus centrées sur les questions de sécurité, il est clair qu'une politique étasunienne intelligente devra introduire plus d'éléments de diplomatie envers Moscou pour pouvoir être couronnée de succès. Cela signifie faire plus attention à l'état d'esprit, à la psychologie politique et aux menaces perçues de sécurité nationale de la Russie, au lieu de les rejeter comme étant "absurdes", ainsi que Rice l'a fait, il n'y a pas très longtemps.

Cette crise est aussi une mise à l'épreuve pour la prise de décision politique "habile" aux Etats-Unis, une supposition restée au conditionnel malgré les prétentions officielles inverses. Il n'est tout simplement pas sage d'acculer l'ours russe et de provoquer son agression en prenant des initiatives flagrantes qui menacent ses intérêts en matière de sécurité nationale.

Une telle approche étriquée des affaires internationales est certainement la meilleure recette pour un désastre, et il se peut que le candidat Démocrate Barack Obama avec son slogan de changement soit la bonne alternative pour remettre les relations russo-américaines sur une voie saine.

Il pourrait le faire en inversant ce que l'ancien président Bill Clinton avait fait, c'est à dire revenir sur la promesse de George Bush père faite aux Russes concernant l'expansion de l'Otan.

Tout ce que Rice et ses assistants doivent faire est de se mettre à la place de Moscou et essayer d'assimiler ce que cela signifierait si ce n'était pas le Pacte de Varsovie mais plutôt l'Otan qui avait été démembré et qui intégrait activement des nouveaux membres tout en menaçant simultanément la sécurité nationale de l'ancien adversaire.

Pas difficile à faire, pourtant personne à Washington ne semble capable de faire cet exercice élémentaire.

Copyright 2008 Asia Times Online Ltd/Traduction : JFG-QuestionsCritiques