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sous-continent indien

Les préoccupations sécuritaires de l’Iran pèsent lourd

Par Kaveh L. Afrasiabi
Asia Times Online, le 20 février 2009

article original : "Iran's security concerns weigh heavy"

NEW YORK – Selon toutes les indications, l’administration de Barack Obama a donné le coup d’envoi d'une forte initiative en vue de négocier avec l’Iran de façon rationnelle et pragmatique, en contraste avec la mentalité de croisade contre « l’axe du mal » de son prédécesseur, qui a diffamé l’Iran, l’Irak et la Corée du Nord. Le président Obama semble vouloir s’occuper des inquiétudes de l’Iran en matière de sécurité, dans le cadre d’une négociation globale couvrant l’impasse nucléaire et les questions régionales.

C’est la raison pour laquelle les partisans américains d’une « négociation globale » semblent prendre la main dans le débat actuel sur la politique iranienne des Etats-Unis – une information bienvenue pour l’Iran.

Un cas d’espèce est Hillary Mann Leverett, une ancienne fonctionnaire américaine qui a négocié avec l’Iran sur l’Afghanistan après le 11 septembre 2001. Elle a déclaré au centre de recherche américain du CFR [Council on Foreign Relations] que les Etats-Unis devaient se préparer à s’occuper des préoccupations de l’Iran en matière de sécurité. Elle a dit que dans son opinion les précédents pourparlers avec l’Iran avaient été « structurellement viciés », parce qu’ils étaient tactiques et non stratégiques et qu’ils n’étaient pas reliés aux autres sujets concernant les relations bloquées entre les deux pays.

Utilisant comme modèle l’ouverture en direction de la Chine opérée par le président Richard Nixon au début des années 70, Leverett et un certain nombre d’autres experts américains ont conseillé un mélange de diplomatie ouverte et de diplomatie secrète entre les Etats-Unis et l’Iran, afin de briser le glacier de méfiance qui règne entre les deux camps.

Cette approche de « négociation globale » est avant-tout conçue pour le probvlème du programme nucléaire de l’Iran, que beaucoup soupçonnent de servir à développer des armes nucléaires. Le point crucial est de savoir si les Etats-Unis et l’Occident peuvent tenir leurs engagements dans une telle négociation.

La réponse n’est pas aussi claire que les partisans d’une négociation globale le croient. Leverett et son mari, Flynt, ainsi que d’autres experts, véhiculent l’image que les puissances mondiales disposent facilement des mécanismes de « garanties en matière de sécurité ». De ce point de vue, en offrant à l’Iran la garantie de ne pas changer le régime et de respecter ses frontières, les préoccupations de Téhéran en matière de sécurité nationale, qui sous-tendent sans doute son programme nucléaire, seraient tout simplement effacées.

Mais, si l'on s'arrête aux paramètres et aux suppositions d’une approche d’une négociation globale, de sérieux vices apparaissent. L’Iran a toute une série de préoccupations en matière de sécurité nationale en rapport avec le radicalisme et l’extrémisme sunnite de son voisinage, la course aux armements entre les pays du Golfe Persique et les menaces d’insécurité dans un sous-continent indien instable.

C’est le nœud du problème avec l’approche d’une négociation globale : celle-ci suppose que les préoccupations de l’Iran vis-à-vis de la puissance militaire des Etats-Unis dépassent toutes ses autres préoccupations et que, par conséquent, tout ce que les Etats-Unis et ses alliés occidentaux doivent faire pour renvoyer le génie nucléaire iranien dans sa bouteille est d’apporter des garanties solides sur les intentions bienveillantes des Etats-Unis envers l’Iran.

L’erreur de ce raisonnement repose sur deux choses :

D’abord, il suppose que l’Iran a pris la décision délibérée d’aller jusqu’au bout dans la fabrication de bombes nucléaires, alors qu’il n’y a en fait que peu de bases empiriques pour soutenir une telle affirmation. Les théoriciens d’une négociation globale peuvent au mieux montrer du doigt une « capacité nucléaire militaire » qui, de toutes les façons, est en germe dans tout programme nucléaire.

Deuxièmement, cet argument passe à côté du fait que l’Iran est de plus en plus préoccupé par l’effondrement politique et de la sécurité au Pakistan, incluant l’expansion de la puissance des Talibans à l’intérieur même du Pakistan. Il y a également une érosion de l’autorité de Kaboul, due à l’encerclement rampant de la capitale par les Taliban anti-iraniens. Ceci présente un tableau troublant qui opère contre le maintien au niveau de latence du potentiel nucléaire iranien.

« Si l’on regarde le Pakistan aujourd’hui, le scientifique nucléaire Abdul Kader Khan, qui a vendu la technologie nucléaire à de nombreux pays, a été relevé de sa résidence surveillée et il pourrait facilement retourner à ses anciennes affaires après avoir été réprimandé. Ceci est très inquiétant pour l’Iran », a dit à l’auteur un professeur en sciences politiques de Téhéran.

Interrogé sur la nature du signal que le gouvernement pakistanais a envoyé en libérant Khan, celui-ci a répondu que, dans son opinion, c’était un signal à la fois en direction de l’Inde et des Etats-Unis d’être plus attentifs aux besoins du Pakistan ou, sinon, ils devront craindre des « armes nucléaires incontrôlées ». Le professeur de Téhéran a ajouté : « Une autre [attaque terroriste du style] Mumbai et toute la région s’enflammera ; nous sommes aussi proche que cela d’un Armageddon nucléaire potentiel. »

Peut-être pas, mais, vu de Téhéran qui observe avec nervosité les développements en Afghanistan et au Pakistan, on peut pardonner aux Iraniens de receler « les scénarios du pire », garantissant une plus grande préparation militaire de la nation pour répondre à tout imprévu.

En tête de liste se trouve le Pakistan, qui a croisé le fer avec l’Inde, non seulement au Cachemire mais également en Afghanistan, où Islamabad voit une opportunité, à travers les Taliban, de couper les tentacules de New Delhi qui enserrent le Président Hamid Karzaï. Le Pakistan pourrait donc réaffirmer son influence régionale, peu importe la branche d’olivier brandie par Washington.

Un Pakistan nucléaire réaffirmé, soutenu par l’Arabie Saoudite et reposant sur des mandataires régionaux, est, sans aucun doute, une perspective inquiétante pour l’Iran, quels que soient les liens étroits entre ces deux pays. L’Iran et le Pakistan sont tous deux membres de l’Organisation de Coopération Economique et parlent depuis des années de construire ensemble un pipeline avec l’Inde, bien que la participation de Delhi soit incertaine.

A ce jour, que ce soit officiellement ou officieusement, personne en Iran n’a suggéré directement ou indirectement que les besoins de l’Iran en matière de sécurité nationale déterminent une capacité de dissuasion nucléaire vis-à-vis du Pakistan, l’argument étant que la logique action-réaction de la prolifération pakistanaise a été éternellement bloquée sur l’horizon du conflit avec l’Inde.

Aujourd’hui, cet argument tient de moins en moins la route, étant donné les instabilités croissantes et les priorités changeantes du gouvernement pakistanais qui soulèvent de sérieuses questions sur ses intentions dans la région.

En conséquence, l’Iran ne peut plus se permettre de prendre pour acquises la nature bénigne de l’arsenal nucléaire pakistanais et l’absence future de toute tentative par Islamabad — ou les factions qui s’y trouvent — de lui mettre la pression. Ceci pourrait se faire au moyen de projections de puissance, possiblement mandataires dans leur nature et même liées à l’évolution des relations entre le Pakistan et le Conseil de Coopération du Golfe (CCG). (Ce conseil comprend le Bahreïn, le Koweït, Oman, le Qatar, l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis.)

En effet, toute la région est plongée dans l’obscurité des changements politiques perpétuels et nage dans l’incertitude. En conséquence, la réaction logique de l’Iran, destinée à réduire les incertitudes liées à sa sécurité, irait dans le sens d’une aggravation de sa tendance à la prolifération – déjà attisée par les incursions dans son voisinage après le 11 septembre 2001.

Que faire, alors ? Un scénario optimiste serait d’inclure l’Iran dans l’Organisation de la Coopération de Shanghai (OCS) et que l’OCS exerce vigoureusement des garanties « de sécurité collective » en faveur de l’Iran. L’Iran n’aurait plus besoin de nourrir de craintes vis-à-vis d’adversaires nucléaires dans la région et au-delà. (L’OCS comprend la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizstan, la Russie, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan.). C’est plus que ce que l’OCS peut apporter pour l’instant, mais ce pourrait être la seule option viable dans un futur à plus ou moins long terme – en tout état de cause, certainement pas à court terme.

Une autre option consisterait à inclure l’Iran dans le CCG. Mais ceci est hautement improbable, étant donné la profusion de problèmes entre l’Iran et les Etats membres du CCG, dont l’asymétrie militaire, tels que l’acquisition par les Etats membres du CCG d’avions de combat de pointe. Ceci a obligé l’Iran à se reposer sur des contre-initiatives basées sur des missiles.

Une troisième option serait d’établir un conseil OTAN-Iran sur le modèle du conseil OTAN-Russie. Ceci représenterait une amélioration qualitative dans les relations entre l’Iran et l’Ouest. C’est dans le domaine des possibilités et pourrait être sérieusement pris en considération par Téhéran et l’OTAN, même s’il n’est pas clair ce que ceci apporterait à l’Iran en matière d’inquiétudes vis-à-vis du sous-continent indien.

En somme, il n’y a aucune solution simple — ni de règlement rapide — aux inquiétudes endémiques en matière de sécurité auxquelles l’Iran est confronté aujourd’hui. Et en termes du dialogue US-iranien dans les mois et les années à venir, il est instructif de savoir que la compréhension occidentale égocentrique des besoins de l’Iran en matière de sécurité nationale et de ses intérêts, ainsi que les recommandations politiques qu’elle engendre, est fondamentalement viciée.

En Afghanistan, en particulier, où l’Iran a investi une grande quantité d’énergie dans le gouvernement de Karzaï, une autre « négociation globale », c’est-à-dire, un accord faustien entre les Etats-Unis et les partenaires de sa coalition, d’une part, et les Talibans redoutés, d’autre part, est peut-être en cours et il pourrait être trop tard pour sauver le gouvernement à Kaboul.

En retour, ceci a encouragé l’Iran à penser qu’il doit établir un contact avec tous les acteurs et « penser l’impensable » consistant à marchander son propre accord faustien avec les Saoudiens et les fondamentalistes sunnites soutenus par le Pakistan que sont les Taliban. Après tout, il est concevable qu’un futur régime fantoche pakistanais à Kaboul puisse approcher des personnes comme Khan et partir en quête « d’armes nucléaires incontrôlées ».

Copyright 2009 Asia Times Online Ltd/Traduction : JFG-QuestionsCritiques