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nucléaire

Les Etats-Unis confrontés à un choix difficile concernant l’Iran

Par Kaveh L. Afrasiabi
Asia Times Online, le 6 septembre 2009

article original : "US faces a tough choice on Iran"

Avec l’arrivée du mois de septembre, le dossier nucléaire iranien se trouve une fois encore au centre de la scène. Un certain nombre de développements se déroulant simultanément pourraient voir des sanctions supplémentaires imposées à l’Iran pour son programme d’enrichissement d’uranium, en particulier alors qu’Israël fait monter les enchères.

Mercredi dernier, le « Groupe des Six sur l’Iran » - les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Chine, la Russie et l’Allemagne – se sont réunis en Allemagne pour tenter de finaliser un accord imposant des sanctions plus sévères à l’Iran. Les Nations-Unies ont déjà asséné deux séries de sanctions contre ce pays.

Cette réunion a eu lieu avant la réunion de l’ONU qui traitera de ce sujet à la fin du mois et peu après la publication du dernier rapport de l’Agence Internationale à l’Energie Atomique (AIEA), le 28 août, sur le programme nucléaire iranien.

L’AIEA, basée à Vienne, dont l’ensemble du conseil d’administration se réunira à nouveau la semaine prochaine, a confirmé que l’Iran n’avait pas suspendu ses activités d’enrichissement d’uranium et a appelé ce pays à rassurer le monde sur le fait qu’il n’essaye pas de fabriquer une arme atomique. Ce rapport dit également que Téhéran produit du carburant nucléaire à un rythme plus lent et que l’Iran avait accordé aux inspecteurs de l’ONU un plus grand accès à son principal complexe nucléaire de Natanz.

« Il reste un certain nombre de questions en suspens qui soulèvent des inquiétudes et qui doivent être clarifiées pour exclure l’existence de possibles dimensions militaires au programme nucléaire iranien », disait le texte du rapport de l’AIEA, cité par Associated Press. Ce rapport déclarait que l’AIEA « ne considère pas que l’Iran a répondu de façon appropriée sur le fond, s’étant concentré à la place sur le style et sur la forme… et n’apportant que des réponses limitées et de simples réfutations. »

Face à cela, après un grand débat interne, l’Iran a finalisé un nouvel « ensemble » qui expose ses perspectives sur la façon de conduire les négociations nucléaires. Les détails n’ont pas été dévoilés, mais le fait que le camp iranien soit prêt à s’engager dans des pourparlers sérieux a reçu une réponse enthousiaste de Washington.

Au milieu de tout ça, le gouvernement israélien mène une campagne mondiale contre l’Iran en rassemblant ses forces, surtout aux Etats-Unis, pour donner l’image la plus sinistre possible, à la fois sur la nature des progrès nucléaires de l’Iran – ou plutôt de la menace nucléaire qu’il constitue – et sur le régime iranien, dépeint dans un édito du Wall Street Journal comme « fasciste ». Tout en accusant le Président Barack Obama d’inaction à propos de l’Iran, cet éditorial soutient totalement une frappe israélienne contre l’Iran, au cas où les Etats-Unis et leurs alliés n’imposeraient pas de « sanctions invalidantes » à l’Iran.[1]

L’administration Obama a placé beaucoup d’espoir dans un dialogue constructif avec Téhéran, position à présent privilégié par le gouvernement iranien. Tout le poids du lobby juif essaye maintenant de convaincre la Maison Blanche qu’elle doit affronter les conséquences imprévisibles et dangereuses d’une guerre israélienne unilatérale contre l’Iran si elle ne parvient pas à donner un véritable poids à des sanctions contre l’Iran.

Les experts pro-israéliens aux Etats-Unis inondent les chroniques d’opinion dans les journaux et les programmes d’information à la télévision. On parle beaucoup de « mollahs fous » et de leurs bombes en fabrication, destinées à rayer l’Etat hébreu de la carte.

En s’appuyant sur une caricature de l’Iran et de l’Islam chiite, ces experts décrivent un régime iranien irrationnel envoûté par un « apocalypticisme » religieux, dans lequel, le sacrifice de millions de vies d’Iraniens est considéré comme le prix légitime à payer pour une noble cause. Ceci est on ne peut plus réducteur et se base sur une interprétation perverse de la croyance Mahdiste dans les douze imams du Chiisme.

La pression contre l’Iran se poursuit malgré le dernier rapport de l’AIEA, qui confirme clairement que l’agence atomique a pu continuer de « vérifier le non détournement du matériel nucléaire déclaré ».

Le chef de l’agence, Mohammed ElBaradei, qui va prochainement quitter l’AIEA, a déclaré que la menace nucléaire iranienne était exagérée. Ceci a particulièrement déplu aux Israéliens, qui ont été catégoriques dans leurs attaques contre ElBaradei, l’accusant d’être pro-iranien.

Pourtant, le passé d’ElBaradei démontre qu’il est un fonctionnaire essentiellement neutre de cette organisation internationale, bien qu’il ait parfois cédé à la pression de Washington et d’autres capitales occidentales en refusant de blanchir complètement l’Iran. Cela s’est produit après un plan de travail entre l’Iran et l’AIEA, l’année dernière, qui réussit à résoudre six questions en suspens en faveur de l’Iran.

En conséquence de la transparence nucléaire de l’Iran, par l’admission des fonctionnaires de l’AIEA et de nombreux experts nucléaires, toute tentative iranienne de détourner le processus d’enrichissement de l’uranium à « des fins militaires » serait rapidement découverte par l’AIEA.

Ceci étant dit, les conclusions des propres services de renseignements des Etats-Unis est que l’Iran n’a pas encore décidé de commencer la production d’uranium hautement enrichi. Cette décision pourrait ne jamais être prise, surtout si les Etats-Unis et l’Iran parviennent à résoudre certaines de leurs divergences et à modifier ainsi le calcul en matière de sécurité dans un sens où le seuil nucléaire, qui est à la portée de l’Iran sur le plan technologique, ne serait pas franchi.

C’est le fond du problème avec la prophétie d’Israël qui s’accomplit d’elle-même : plus Israël menace l’Iran de frappes préventives, soi-disant pour faire cesser sa marche vers les armes nucléaires, plus cela alimente les préoccupations iraniennes en matière de sécurité. Cela pourrait alors pousser les décideurs politiques [iraniens] à renoncer à leur antipathie vis-à-vis des armes nucléaires et à poursuivre la mise en place d’un « bouclier nucléaire ».

La fausse affirmation d’Israël, selon laquelle l’Iran a déjà pris cette décision et que ce pays est complètement engagé dans le franchissement de cette voie nucléaire, est un tissu de malentendus. La « menace iranienne » sert sans aucun doute la politique arabe, en créant un dénominateur commun potentiel entre les Etats arabes modérés, comme l’Egypte et l’Arabie Saoudite, qui ont exprimé leurs préoccupations sur le programme nucléaire iranien.

Cependant, cela ne veut pas dire qu’Israël et ces Etats arabes sont sur la même longueur d’onde en ce qui concerne l’Iran. L’Egypte, qui détient actuellement la présidence du Mouvement des Non-Alignés (MNA), a soutenu les efforts du MNA à la réunion de l’AIEA à Vienne pour voter une résolution interdisant des attaques militaires contre les installations nucléaires [iraniennes].

Les bénéfices d’une « attaque chirurgicale » israélienne contre les installations nucléaires iraniennes sont hautement discutables. Cela pourrait déclencher un conflit majeur au Proche-Orient, dans lequel s’engloutiraient les voisins de l’Iran, sans parler de la détermination iranienne d’aller complètement dans la voie nucléaire, en chassant l’AIEA et en pratiquant la prolifération clandestine d’armes nucléaires.

L’option militaire israélienne apporterait au mieux un recul temporaire – deux années tout au plus – suivi d’un effort bien plus puissant de la part de l’Iran pour posséder ces armes aussi vite que possible, avec l’entière population nationaliste qui serait derrière le gouvernement, lequel a déjà maîtrisé l’ensemble du cycle du carburant nucléaire.

C’est un véritable « scénario cauchemardesque », une guerre permanente contre l’Iran, un enchaînement de bombardements aériens intermittents ; ce n’est certainement pas un scénario attractif dans le climat international d’aujourd’hui.

Ceux qui proposent la guerre contre l’Iran ignorent [délibérément] cela et se concentrent à la place sur une « affaire à un coup », comme si le mauvais génie de la menace nucléaire iranienne pouvait être enterré en détruisant les sites nucléaires iraniens. Il est abondamment clair que cela n’aurait pour résultat que produire l’exact opposé : rendre manifeste la tendance nucléaire de l’Iran, qui est restée jusqu’à présent latente.

Même le moyen d’action rationnel buterait sur le côté approprié de « sanctions invalidantes ». De telles sanctions, en particulier une interdiction d’exporter de l’essence vers l’Iran, soulèverait très probablement l’ire de Téhéran, au point de riposter. Cela pourrait avoir lieu en Irak, en Afghanistan, dans le Golfe Persique et plus loin, en représailles au mal infligé.

Il se peut que ce soit le message de Téhéran, derrière le choix de Mahmoud Ahmadinejad de placer un commandant du Corps des Gardiens de la Révolution Iranienne au poste de ministre de la défense : cherchez-nous et préparez-vous à en subir les conséquences ! Le Général Ahmed Vahidi, recherché par Interpol en connexion avec l’attaque de 1994 contre un centre juif à Buenos Aires, devrait bientôt être confirmé par le parlement au poste de ministre de la défense.

Sinon, le « Groupe des Six » pourrait opter de respecter les droits de l’Iran en vertu du Traité de Non-Prolifération, par lesquels ce pays est autorisé à développer un programme nucléaire civil, et se concentrer sur les mesures de surveillance et de préservations de l’AIEA, afin de garantir le côté pacifique du programme nucléaire iranien. Ceci aurait toutes les chances de renforcer l’engagement de l’Iran à se limiter à son statut actuel de puissance nucléaire latente.

Copyright 2009 Asia Times Online Ltd/Traduction : JFG-QuestionsCritiques

Note :
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[1] Israel, Iran, and Obama, The Wall Street Journal, 30 août 2009.