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enrichissement de l'uranium

L'Iran donne de nouveaux signes de flexibilité sur son programme nucléaire

Par Kaveh L. Afrasiabi
Asia Times Online, le 5 octobre 2012

article original : "New signs of Iran nuclear flexibility"

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Signalant la nouvelle flexibilité iranienne sur les négociations nucléaires en cours, un haut responsable iranien a révélé que Téhéran est prêt à considérer un plafond d'enrichissement d'uranium de 5% et à adopter le Protocole Additionnel intrusif du Traité de Non-Prolifération nucléaire, sous réserve que les sanctions contre l'Iran soient levées.

Un responsable iranien qui a rapporté [cette information] à l'auteur de cet article, sous réserve d'anonymat, a également indiqué que l'Iran a reçu une demande officielle des Etats-Unis, sérieusement prise en considération, pour la mise en place d'un téléphone rouge pour ce qui et des accidents potentiels dans le Golfe Persique, et que son pays pourrait consentir à un « accord sur les incidents maritimes » pour démontrer son intention de faire retomber les tensions régionales.

Les représentants des pays du « 5+1 » (les membres permanents du conseil de sécurité de l'Onu + l'Allemagne) se sont rencontrés en marge du sommet de l'Assemblée Générale [des Nations Unies] de la semaine dernière et se sont mis d'accord pour engager une nouvelle série de pourparlers multilatéraux avec l'Iran. Cela arrive au moment où la pression israélienne s'accroît pour forcer cette question à recevoir une réponse militaire. Le discours onusien du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, où il s'est servi d'une caricature représentant une bombe sur le point d'exploser pour tracer une « ligne rouge » sur un enrichissement iranien [de l'uranium] à 90% - à la grande surprise de nombreux experts, tant en Iran qu'à l'étranger, qui ont interprété cela comme un « feu vert » pour un enrichissement [d'uranium] iranien en dessous de cette limite -, était sans équivoque.

Que Netanyahou l'ait fait exprès ou non, sa référence explicite à un enrichissement à 90% sape inévitablement son aptitude à vendre la guerre et la logique qui l'accompagne, à savoir que la guerre est imminente à moins que l'Ouest n'impose des sanctions encore plus sévères contre l'Iran. En fait, compte tenu du fait que l'Agence Internationale à l'Energie Atomique (AIEA) a confirmé que l'enrichissement iranien est confiné en dessous de 20% et que le chef de l'organisme atomique iranien, Fereydoun Abbasi, a dit à l'AIEA que l'Iran n'a aucune intention de dépasser les 20%, Netanyahou aura du mal à trouver beaucoup d'adeptes dans la communauté globale qui soutiennent sa diatribe va-t-en-guerre contre l'Iran.

Une guerre économique généralisée fait cependant rage actuellement contre l'Iran. Même le président Mahmoud Ahmadinejad a publiquement lié à l'impact des sanctions les malheurs économiques de son pays, en premier lieu, la spirale descendante de la devise [iranienne], le rial. Naturellement, Téhéran cherche à contenir les dégâts et espère trouver une solution honorable à l'impasse nucléaire qui résulterait en une formule mutuellement acceptable.

Dans ce contexte, le ministre iranien des Affaires étrangères, Salehi, a déclaré à l'auditoire du Council on Foreign Relations[1] et à d'autres think tanks [groupes de réflexion] nord-américains que l'Iran est prêt à « institutionnaliser » la fatwa (ou édit) du dirigeant suprême religieux [l'Ayatollah Ali Khamenei] contre les armes nucléaires, en la faisant inscrire aux Nations Unies, et apporter ainsi une garantie supplémentaire sur les intentions nucléaires pacifiques iraniennes. « Nous sommes prêts à mettre en place des mécanismes supplémentaires », a déclaré Salehi, en faisant allusion à la fois au Protocole Additionnel et à l'accord secondaire avec l'AIEA (que l'Iran a refusé jusqu'à présent d'accepter).

L'Iran a signé le Protocole Additionnel du Traité de Non-Prolifération (TNP) en 2003 et travaillé avec les inspecteurs de l'AIEA en 2003 et en 2005, mais le protocole - qui permet une surveillance et des inspections intrusives des installations nucléaires - n'est toujours pas en vigueur.

La question est évidemment de savoir si la coalition occidentale menée par les USA est prête ou non à répondre favorablement aux propositions conciliantes de l'Iran ou si elle poursuit ses exigences « maximalistes » d'une suspension totale du programme d'enrichissement d'uranium par l'Iran, laquelle n'est ni en ligne avec les articles du TNP, ni même soutenue par l'opinion d'un nombre croissant d'experts à l'Ouest, qui mettent en garde sur les conséquences terribles d'une guerre contre l'Iran.

La réponse doit attendre le résultat des élections présidentielles aux Etats-Unis, en novembre. Si le Président Barack Obama est réélu, il bénéficiera d'une plus grande liberté que lors de son premier mandat pour explorer un « ensemble de mesures pour l'Iran », viables, qui cherche sincèrement à progresser avec l'Iran. Cela est des plus importants à cause de la date limite qui se rapproche pour le retrait des Etats-Unis d'Afghanistan, pays qui reste très instable, sans parler de la dangereuse instabilité en Irak. « Ce qui est certain est que sans de bonnes relations avec l'Iran, il est plus difficile pour les Etats-Unis de poursuivre ses intérêts dans la région », a déclaré Salehi à New York.

Accord sur les incidents maritimes

A titre de mise en garde, l'auteur de cet article a publié à ce sujet un billet dans le New York Times, il y a quatre ans, qui vaut la peine d'être cité :

« La confrontation qui a bien failli se produire entre la Marine des Etats-Unis et les Gardes de la Révolution iranienne souligne le besoin de mécanismes fiables pour atténuer les tensions et éviter des affrontements indésirables dans cette région volatile.

Nous devrions retenir la leçon de l'accord sur les incidents maritimes entre les deux superpuissances durant la Guerre froide. Un accord similaire entre les Etats-Unis et l'Iran est exigé, stipulant un préavis sur les manœuvres militaires ; l'assistance dans la gestion des désastres maritimes ; et éventuellement de nouveaux liens de communication et des améliorations dans les interactions actuelles entre les deux marines.

A la lumière de leurs intérêts partagés en Irak et en Afghanistan, et contre le terrorisme wahhabite, les Etats-Unis et l'Iran devraient explorer les mesures permettant de construire la confiance et un dialogue plus approfondi sur la sécurité, au-delà de la sécurité de l'Irak.

Malheureusement, la diabolisation de l'Iran par la Maison Blanche, négligeant le rôle que joue l'Iran dans la stabilité de la région, est une recette qui conduit au désastre ».

Ce billet et un article politique plus long sur le même sujet, préparé par cet auteur et soumis à l'époque aux décideurs politiques iraniens et étasuniens, ont reçu leur attention et j'ai été par la suite informé que le Président Ahmadinejad n'avait aucune objection sur un tel accord, tant que celui-ci n'est pas « illimité dans le temps mais plutôt assorti d'une durée précise ».

Ceci tient compte de l'aversion de l'Iran pour une présence des USA illimitée dans le temps dans le Golfe Persique et sa position publique exigeant le départ de toutes les forces étrangères de la région. Récemment, alors que les Etats-Unis et d'autres puissances occidentales ont mené des exercices navals dans le Golfe Persique à proximité des côtes iraniennes, la sensibilité de l'Iran vis-à-vis de la présence militaire étrangère s'est réellement accrue. Et pourtant, Téhéran envisage toujours de conclure un accord sur les « incidents maritimes » avec les Etats-Unis afin d'éviter une guerre accidentelle dans le Golfe Persique.

Mais tout porte à croire que la fenêtre d'opportunité pour rompre la glace dans les relations Us-iraniennes se referme, principalement à cause des sanctions sévères qui touchent les Iraniens moyens et qui pourraient inciter l'Iran à réagir « fermement » dans la région, pour punir ceux qui punissent sans distinction à la fois le gouvernement et la population, au prétexte de la « contre-prolifération ». Cela signifie essentiellement qu'en dépit de tout le discours sur les « points communs entres les USA et l'Iran », le fossé pourrait bien se creuser très profondément dans les mois à venir si l'Ouest continue sa guerre économique incessante contre l'Iran.

Leçons pour le mouvement de la paix

Voici un mot de conclusion destiné à tous les militants contre la guerre qui manifestent ces jours-ci avec des banderoles disant « Pas de guerre contre l'Iran » : il est temps de passer au slogan suivant : « Plus de guerre contre l'Iran ». Car le fait est que l'ensemble des sanctions, la guerre cybernétique, [2] les meurtres de scientifiques iraniens, le retrait de la liste terroriste d'un groupe connu engagé dans le renversement violent de la République Islamique,[3] etc., reflètent une guerre à part entière contre l'Iran, même si aucune bombe n'a encore été larguée sur l'Iran. Une chose est sûre : le mouvement de la paix doit se tenir au courant sur l'art de la guerre moderne et réviser ses slogans en conséquence !

Copyright 2011 Asia Times Online Ltd / Traduction [JFG-QuestionsCritiques]

Notes :
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[1] Le Council on Foreign Relations (CFR - Conseil sur les Affaires Etrangères) est un organisme, ou think-tank, bipartisan nord-américain, ayant pour but d'analyser la politique étrangère américaine et la situation politique mondiale. Fondé en 1921 par Edward Mandell House (le fameux « Colonel House »), il est composé d'environ 5 000 membres issus du milieu des affaires, de l'économie et de la politique. Son siège se situe à New York et il dispose d'un bureau à Washington. Cette organisation est considérée être l'agent de relations étrangères le plus puissant aux USA en dehors du Département d'Etat, pratiquement un ministère des Affaires étrangères bis, occulte. Ses membres comptent notamment : Madeleine Albright, Richard Holbrooke et Colin Powell.

[2] Les virus informatiques « Stuxnet » et « Flame » dirigés contre le programme nucléaire de l'Iran ont marqué le début d'une guerre cybernétique israélo-américaine contre Téhéran. Celle-ci, par le sabotage, pourrait avoir des effets analogues à ceux d'un bombardement, estiment des experts. Depuis les premières attaques mi-2009 de Stuxnet, qui déréglait les systèmes de contrôle des centrifugeuses nécessaires à l'enrichissement d'uranium, l'Iran reste vulnérable, assurent les analystes. « Avec Stuxnet, les Iraniens ont perdu environ un an. Cela a provoqué une grande confusion. Ils ne savaient pas ce qui leur arrivait », dit un David Albright, président de l'Institut pour la science et la sécurité internationale (ISIS), selon qui l'attaque informatique « semble un moyen viable de perturber leur programme ». Les États-Unis, soupçonnés avec Israël d'avoir lancé l'attaque, ont toutes les raisons de continuer car elles permettent, comme le feraient les dégâts occasionnés par un bombardement aérien, de retarder le programme nucléaire. Ces attaques virales risquent de devenir « plus violentes », selon lui. D'autres virus pourraient provoquer la fermeture de valves ou envoyer des ordres incorrects aux machines et ainsi entraîner des explosions. « Je m'attends à voir davantage de sites exploser », estime David Albright. En novembre, un dépôt de missiles avait sauté, faisant 36 morts à la suite d'un sabotage israélo-américain, « Il est bien sûr possible d'envoyer une équipe modifier un système (informatique) afin de le rendre vulnérable puis d'utiliser un virus plus tard pour déclencher l'attaque », juge David Lindahl, de l'Agence suédoise de recherche de la défense. Une nouvelle attaque virale pourrait consister en l'insertion d'équipements dotés de puces vérolées dans la chaîne industrielle, via un agent ou un employé manipulé, ou bien de cibler les logiciels de diagnostic utilisés pour déterminer le niveau d'enrichissement afin qu'il renvoient des données fantaisistes (source : AFP/L'Orient le jour).

[3] L'Iran a condamné l'administration américaine pour avoir retiré un groupe activiste extrémiste iranien anciennement allié avec Saddam Hussein de la liste des organisations terroristes, les Moujahidine-e-Khalq (MEK). Ceux-ci, dans les années 1980, ont combattu du côté des forces de Saddam Hussein dans la guerre contre l'Iran, mais ont déposé les armes après l'invasion américaine de l'Irak, en 2003. Le département d'État américain a retiré le groupe de sa liste d'organisations terroristes, le 28 septembre 2012, ce qui signifie que tous les biens détenus par celui-ci aux États-Unis sont dégelés et que les Américains peuvent réaliser des transactions commerciales avec les anciens militants. Durant des années, les Moudjahidines du Peuple ont mené des centaines d'actions terroristes en Iran, à la fois contre des leaders et à l'aveuglette contre des civils. Ils ont également été chargés par Saddam Hussein des basses œuvres que sa garde personnelle se refusait à accomplir et sont honnis par le peuple iranien. Le ministère iranien des Affaires étrangères a indiqué par voie de communiqué que ce retrait des MEK de la liste était une violation des obligations juridiques et internationales des États-Unis qui pourrait menacer les intérêts américains. Selon la télévision iranienne les États-Unis effectuent une distinction entre les «bons» et les «mauvais» terroristes, et Washington et le régime israélien utilisent le groupe pour espionner le programme nucléaire iranien (source : Irna).

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À LIRE ÉGALEMENT : Discours d'Ahmadinejad, 67ème AG des Nations Unies, 25 septembre 2012.


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