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nucléaire iranien

L’heure de vérité sur l’Iran

Par Kaveh L. Afrasiabi
Asia Times Online, le 25 octobre 2009

article original : "Hour of decision on Iran"

Mercredi dernier, c’est un chef de l’AIEA plein d’optimisme, Mohamed ElBaradei, qui a rapporté qu’après deux années et demie de négociations intenses à Vienne, couvrant de nombreuses questions techniques, un sérieux progrès avait été fait sur une proposition consistant à apporter une assistance nucléaire pour un petit réacteur de recherche à Téhéran.

Il a ajouté que l’AIEA avait présenté aux parties – l’Iran, la Russie, les Etats-Unis et la France – un projet d’accord auquel une réponse devait être donnée à la fin de la semaine.

L’AFP a rapporté que les diplomates avaient dit que le projet de l’organe de surveillance atomique de l’ONU propose que la Russie traite l’uranium iranien faiblement enrichi pour l’enrichir au taux de 20%, requis par le réacteur de recherche à Téhéran, et que la France le transformerait en combustible.

Reprenant le sentiment d’ElBaradei, l’envoyé de l’Iran auprès de l’AIEA, Ali Asghar Soltanieh, a dit que les pourparlers avaient été « constructifs et couronnés de succès », bien qu’il ait pris la précaution d’insister sur le fait que, contrairement aux reportages dans les médias occidentaux, aucune décision finale n’avait été prise. Au moment de la rédaction de cet article, le sentiment à Téhéran semblait de plus en plus tendre contre toute décision hâtive.

« La date limite de vendredi n’a pas été acceptée lors de la réunion et n’était que l’opinion personnelle de M. ElBaradei », a dit à l’auteur une source iranienne. Cette source a ajouté que dans son opinion, « Un peu plus de temps est absolument nécessaire, ne serait-ce que pour éviter de donner l’impression que l’Iran avait accepté à la hâte une décision fatidique lourde de conséquences et parce qu’elle doit être étudiée très minutieusement sous tous les angles. »

Ce point de vue semble partagé par un grand nombre de parlementaires iraniens, dont Mohammed Reza Bahonar, le vice-président du Majlis [le parlement iranien], qui a déclaré que les termes de cet accord, en vertu desquels l’Iran acheminerait son uranium vers l’étranger et recevrait en échange du combustible nucléaire, n’étaient pas acceptables ».

Il n’y a pas non plus de consensus à Téhéran concernant le volume relativement élevé d’Uranium Faiblement Enrichi (UFE) – 1.200 kilos ou l’équivalent de 80% des stocks d’UFE de l’Iran – visé pour un acheminement vers l’extérieur.

Vu les expériences passées avec certains contrats internationaux, il y a énormément d’inquiétudes en Iran que, peu importe la solidité sur le papier des modalités du dernier accord, lorsqu’il sera question d‘effectuer la livraison, il pourrait y avoir de la mauvaise volonté. C’est une chose que le réacteur de Téhéran, vital pour le traitement du cancer et autres maladies graves, ne peut se permettre.

« N’oublions pas que la dernière livraison de combustible nucléaire pour ce réacteur a pris cinq ans. L’AIEA avait donné son approbation en 1988 et ce n’est qu’en 1993 que celui-ci a été livré », a dit un professeur de science politique de l’Université de Téhéran.

Le réacteur thermique de 5 MW a fonctionné à environ 60% de sa capacité totale à cause du manque de combustible, lequel devrait être épuisé d’ici fin 2010 ou début 2011. Il n’y a donc pas de temps à perdre avec des négociations qui traînent en longueur, une raison pour laquelle l’Iran a prévenu que si une décision n’est pas prise rapidement, il continuera de produire son combustible [nucléaire] qui nécessite un enrichissement moyen de 19,75%. Et ceci, malgré des coûts prohibitifs et des défis techniques.

« L’Iran devrait opter pour un accord graduel, un accord étape par étape », a déclaré un analyste à Téhéran, Rahmatollah Ghahramanpour. Les Iraniens ont également émis des doutes concernant la participation de la France en tant que sous-contractant pour la fabrication des barreaux d’uranium, après le raffinage de l’UFE iranien par la Russie. Un autre analyste, Hassan Beheshtipour, considère les pourparlers de Vienne comme un « test de bonne volonté », en particulier de la part des Etats-Unis et de la France.

C’est aussi un test de volonté politique, à la lumière de la quantité de « nonistes » à cette proposition d’accord, à Téhéran, à Washington et dans diverses capitales européennes.

« L’accord quantitatif, sur le niveau de masse d’uranium iranien devant être exporté [pour enrichissement supplémentaire], peut être négocié, mais la question qualitative qui est liée au tableau d’ensemble ne peut pas l’être », a développé le professeur de Téhéran cité plus haut.

« Tout accord sur le réacteur de Téhéran aura une grande signification symbolique parce qu’il modifiera le climat d’hostilité entre l’Iran et les Etats-Unis et que ceci à son tour rendra plus difficile aux opposants de l’Iran au sein du Congrès US de pousser à de nouvelles sanctions. »

Autrement dit, ceci pourrait laisser intacte la question centrale, le droit de l’Iran d’enrichir l’uranium. En même temps, cela désamorcerait la « menace iranienne » en supprimant le gros de la production nucléaire nette que l’Iran pourrait développer pour la militarisation.

De la même manière, la question quantitative pourrait s’avérer gênante. Le réacteur de Téhéran a pu être maintenu en activité depuis 1993, grâce à la livraison de 116 kilos d’uranium argentin enrichi à près de 20%, équivalant à peu près à 1.169 kilos d’UFE iranien.

Pour fonctionner au maximum de sa capacité, le besoin annuel du réacteur est d’environ 18 kilos d’uranium enrichi, soit l’équivalent de 180 kilos d’UFE. Donc, pour un approvisionnement du réacteur pendant dix ans et fonctionnant à une capacité normale de 70/80%, l’envoi de la quasi-totalité de l’UFE iranien (1.500 kg) serait nécessaire. C’est l’une des raisons pour laquelle les législateurs comme Bahonar insistent pour dire que l’assistance étrangère à ce réacteur « purement humanitaire » qui fabrique des isotopes médicaux ne devrait pas dépendre de l’utilisation de l’UFE iranien. Après tout, cela a pris plusieurs années à l’Iran pour être capable de rassembler ses 1.500 kg d’UFE actuels.

Néanmoins, étant donné que cette idée a été initialement émise par l’Iran et dont le Président Mahmoud Ahmadinejad a dit que c’était « le moyen de tester la sincérité de la communauté internationale », il est à présent relativement difficile pour Téhéran de faire machine arrière. Aussi, l’Iran ne voudrait pas manquer l’occasion d’améliorer son image en réduisant sa « capacité de militarisation nucléaire ».

C’est tout particulièrement le cas, étant donné la crise avec son voisin qui dispose de l’arme nucléaire, le Pakistan, à la suite des attaques terroristes en Iran.

Commentant la dernière proposition, le professeur de Téhéran souligne le compromis désagréable entre la sécurité de l’Iran et les besoins de sa population. « Parlez d'ambiguïté nucléaire ! C’est un accord qui répond à certains besoins mais, en même temps, qui crée de nouveaux besoins, ainsi que des effets à la fois positifs et négatifs sur un certain nombre d’autres considérations. Ce n’est certainement pas un scénario parfait. »

Peut-être qu’ElBaradei était plus proche du but lorsqu’il a décri le projet d’accord comme étant un pas énorme construisant la confiance vers la « normalisation des relations de l’Iran avec la communauté internationale ». Cet « accord historique » pourrait être le baroud d’honneur d’ElBaradei, alors qu’il se retire à la fin du mois prochain, à la suite de son second mandat de quatre ans. Il a dit qu’il « croisait les doigts » à propos de ce projet, mais il se pourrait qu’il soit laissé à son successeur, le Japonais Yukiya Amano, qui verrait cet accord finalisé.

Il se trouve que le Japonais Amano a récemment signé un accord similaire avec la Russie pour de l’uranium enrichi, sans négliger le fait d’un accord similaire entre les Etats-Unis et la Russie au début de l’année. Ceci indiquerait qu’un sujet ordinaire se rapportant à un réacteur médical, complètement contrôlé par l’AIEA, ne devrait pas être sujet à un tel battage médiatique.

Pourtant, ElBaradei pourrait avoir sapé ses propres efforts en liant ce projet à une « normalisation complète » des relations de l’Iran avec le monde extérieur et même avec le « désamorçage » de la crise nucléaire iranienne. Séparer les deux serait peut-être une meilleure approche.

Copyright 2009 Asia Times Online Ltd/Traduction : JFG-QuestionsCritiques