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Le dilemme des Etats-Unis alors que le dossier nucléaire de l’Iran revient sur la table

Par Kaveh L Afrasiabi
Asia Times Online, le 5 février 2009

article original : "US dilemma as Iran's nuclear file reopens "

Dans son élan en vue d’un dialogue direct étasunien, la nouvelle administration US du Président Barack Obama est également sur le point de faire avancer l’approche multilatérale, compte tenu de la réunion des pays du « Groupe des Six » [Iran Six] qui devait débuter à Frankfort, mercredi, pour discuter de l’impasse nucléaire iranienne.

En même temps, le ministre iranien des affaires étrangères, Manouchehr Mottaki, dans une interview exclusive à la télévision japonaise NHK, a déclaré que l’Iran a besoin de « plus de détails concernant les intentions américaines ». Selon toutes les indications, l’Iran n’est pas tout seul et les alliés européens des Etats-Unis, en particulier, dont quelques-uns redoutent l’idée d’un accord séparé US-Iranien, ont aussi un besoin urgent d’être mieux informés sur la « nouvelle stratégie » de Washington vis-à-vis de l’Iran et du grand Moyen-Orient.

En préparation à cette réunion à Frankfort, la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton a tenu mardi sa première réunion d’affaires étrangères avec ses homologues britannique et allemand pour « discuter de l’Iran et de l’Afghanistan ». La Grande-Bretagne et l’Allemagne, en compagnie des Etats-Unis, de la France, de la Chine et de la Russie, forment le « groupe des Six » qui s’occupe du programme nucléaire iranien et que certains soupçonnent s’être une façade pour développer des armes nucléaires.

Le ministre allemand des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, se serait opposé à l’imposition de sanctions supplémentaires et est en conflit avec la Chancelière Angela Merkel, qui a ouvertement exprimé ses doutes que la stratégie proposée par Obama, un « dialogue sans conditions préalables », puisse réussir.

Deux séries de sanctions onusiennes ont été imposées à l’Iran, ainsi que des sanctions unilatérales de la part des Etats-Unis, sur le programme d’enrichissement de l’uranium de Téhéran, que ce dernier dit avoir le droit de poursuivre en vertu du Traité de Non-Prolifération dont il est signataire.

An Allemagne, cette dissension au sujet de l’Iran, mise en lumière par la visite imminente à Téhéran de l’ancien chancelier Gerhard Schröder, « entièrement coordonnée » par le ministre allemand des affaires étrangères, reflète une plus grande division qui règne en Union Européenne (UE), principalement entre ceux qui, à l’instar de la Grande-Bretagne et de la France, sont en faveur d’une nouvelle action ferme contre l’Iran et d’autres, tels que l’Espagne – et dans une moindre mesure l’Allemagne –, qui conseillent une diplomatie plus patiente avant de recourir à de nouvelles sanctions.

En conséquence de ces divisions, l’UE n’a pas imposé de nouvelles sanctions à l’Iran, bien que la pression pour interdire aux banques iraniennes de faire des affaires dans les territoires européens se fasse plus forte, ce qui serait un coup dévastateur porté aux échanges entre l’Iran et l’UE si celle-ci était mise à exécution. Un tel geste serait également un coup porté à toute perspective d’une coopération entre l’Iran et l’Otan sur l’Afghanistan, où la convergence d’intérêts entre l’Iran et l’Occident est indéniable.

Donc, malgré l’effet potentiellement débilitant de toute annonce anti-iranienne par le « groupe des Six » sur de telles questions régionales comme l’Afghanistan, il est improbable qu’à ce stade précoce de la présidence d’Obama, la moindre action directe contre l’Iran ne soit prise à la réunion de Frankfort.

A la place, ce qui en sortira sera le plus probablement le recyclage des exigences précédentes et le renouvellement de l’ensemble de mesures d’encouragements politiques et économiques faites à l’Iran pour qu’il abandonne ses activités nucléaires sensibles.

Pour sa part, l’Iran a demandé constamment que l’autre camp prenne sérieusement en considération son propre ensemble de propositions qui a été dévoilé en mai 2007. L’Iran a promis de s’engager dans une « coopération constructive » avec la communauté internationale pour s’attaquer aux questions mondiales, y compris la menace de prolifération nucléaire.

Toutefois, les jeux diplomatiques peuvent avoir des conséquences involontaires et il existe la possibilité que les deux pointes de la diplomatie multilatérale et bilatérale, envisagée par l’administration Obama, ne soient pas capables de se renforcer mutuellement en tout temps.

Le simple fait que l’approche multilatérale ait précédé l’approche bilatérale peut conduire à de nouvelles pressions prématurées contre l’Iran, ainsi qu’à des ultimatums coercitifs. Cela, parce que les Etats-Unis pourraient se retrouver entravés et même piégés par des conditions préalables, déjà martelées lors des forums multilatéraux. Ceci est de la plus haute importance pour les Etats-Unis, afin d’éviter de s’enfermer un peu plus dans le jusqu’au-boutisme de la diplomatie du « groupe de six », qui éroderait la confiance iranienne dans tout dialogue direct Téhéran/Washington.

Que certains diplomates européens puissent délibérément torpiller l’approche bilatérale des Etats-Unis avec l’Iran trouverait sa raison dans les inquiétudes européennes, « qui incluent la crainte que les Etats-Unis pourraient se mettre eux-mêmes sur les rangs pour pomper le pétrole iranien si les discussions sont couronnées de succès », pour citer un édito récent paru dans le Christian Science Monitor.

La Russie, elle aussi, pourrait partager cette crainte, puisqu’elle perdrait son monopole sur le marché nucléaire iranien, dans l’éventualité où il y aurait un progrès significatif à la suite du dialogue US-Iranien. Il ne serait alors pas surprenant que Moscou revoit à la baisse ses objections à un alourdissement des sanctions onusiennes contre l’Iran, puisqu’une telle manœuvre pour court-circuiter la diplomatie US-Iranienne, au prétexte de s’accorder avec le scénario de Washington en vue d’une action contre l’Iran, a ses propres valeurs changeantes pour les dirigeants du Kremlin. Moscou a très envie de recoller les morceaux avec Washington à la suite de la vilaine querelle gazière avec l’Europe et le conflit beaucoup plus terrible en Géorgie l’année dernière.

Par conséquent, pour paraphraser un expert politique de Téhéran, il y a une grosse inquiétude à Téhéran que la Russie soit prête une fois encore à « marchander avec Washington à propos de l’Iran ». Le président russe, Dimitri Medvedev, a tout fait pour déclarer son engagement à travailler avec l’administration d’Obama sur les questions globales, y compris la « menace de prolifération ». De nombreux Iraniens sont convaincus que si le prix de Washington est correct, alors les Russes accepteront de reporter leur achèvement de la centrale nucléaire déjà très retardée, qu’ils construisent à Bushehr en Iran.

« Nous pensons que la Russie, sans tenir compte de quelque pression que ce soit, remplira ses engagements pour achever la centrale de Bushehr », a déclaré à des journalistes sceptiques l’ambassadeur iranien à Moscou, Mahmoud Reza Sajjadi. Les médias sont inondés de plaintes émises par les Iraniens ordinaires comme par les politiciens à propos du jeu de la Russie qui a retardé de 10 ans cette centrale.

Moscou n’est pas non plus enchantée par la proposition iranienne qu’un consortium international enrichisse l’uranium sur le sol iranien. En effet, l’accord passé entre la Russie et l’Iran, pour lui fournir le carburant nucléaire nécessaire à la centrale de Bushehr, donne en retour à Moscou un levier stratégique avec son voisin iranien.

Il y a de fortes objections à l’Ouest, pour des raisons entièrement différentes, contre cette idée d’un consortium international. Parmi ces raisons, il y a l’inquiétude que cela conduirait l’Iran à maîtriser la technologie ultramoderne de l’enrichissement de l’uranium, conformément à un article récent de l’expert nucléaire américain, Stephen Rademaker.

Toutefois, un ancien diplomate britannique, John Thomson, et un scientifique du Massachusetts Institute of Technology, John Forden, ont pris fait et cause pour l’idée d’un tel consortium, à la condition que la technologie sensible soit confinée dans une « boîte noire ». Dans une interview récente donnée à l’agence de presse iranienne Fars, Thomson aurait déclaré : « En comparaison avec la continuation de la situation [actuelle], un consortium international, quoique enrichissant [l’uranium] sur le sol iranien, serait préférable. »

Jusqu’à maintenant, il n’y a eu aucune réaction officielle des Etats-Unis à cette idée d’un consortium international, et les commentaires négatifs de Rademaker, un ancien fonctionnaire de l’administration de George W. Bush, donnent un aperçu rare de la pensée de Washington concernant cette option.

Mais Rademaker esquive l’option Thomson/Forden citée plus haut, qui repose sur des accords existants entre les Etats-Unis et l’Europe et qui pourraient être répliqués en Iran sans trop de difficultés.

En poursuivant de bonne-foi des négociations directes avec l’Iran, l’administration Obama pourrait faire un progrès énorme en résolvant l’impasse nucléaire iranienne. Sous cette option viable, pourraient être étayés des détails importants, ainsi que d’autres options, comme une surveillance accrue par l’AIEA [Agence Internationale à l4energie Atomique] des activités iraniennes d’enrichissement.

Cependant, comme il a été établi plus haut, l’administration Obama doit d’abord prendre garde d’éviter toute décision hâtive dans son approche multilatérale qui pourrait en effet faire échec à l’approche bilatérale plus prometteuse.

Copyright 2009 Asia Times Online Ltd/Traduction : JFG-QuestionsCritiques