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     Une base chinoise en Iran ?
    Par Kaveh L Afrasiabi
Asia Times Online, le 28 janvier 2008
article original : "A China base in Iran?"


Dans le sillage de la récente tournée du Golfe Persique effectuée par le Président George W Bush, coïncidant avec un voyage similaire du Président français Nicolas Sarkozy qui a culminé avec un accord avec les Emirats Arabes Unis pour [l'installation d'] une petite base française, le calcul de l'Iran en matière de sécurité a changé. Téhéran en est pratiquement arrivé à considérer l'option de rendre la pareille à l'excès perçu comme tel des intrusions occidentales dans son voisinage, en permettant à la Chine [d'installer] une base dans l'un des ports iraniens du Golfe Persique ou sur l'une de ses îles.

Sans aucun doute, ce serait un geste géopolitique considérable, à la fois de la part de l'Iran et de la Chine, qui perturberait sûrement la superpuissance étasunienne, qui bénéficie d'une hégémonie sans rivale dans cette région pétrolière et qui a elle-même perturbé la Chine avec le récent accord nucléaire civil qu'elle a passé avec l'Inde, accord largement interprété comme étant une initiative à long terme pour "contenir" la Chine.

Dans cette interaction serrée de géopolitique et de géo-économie, avec la Chine qui est fortement dépendante des importations d'énergie depuis l'Iran et des autres Etats du Golfe, la tendance va sans aucun doute vers un complément naval à la rafale d'accords énergétiques qu'elle est en train de conclure, afin de sécuriser ses précieux cargos qui transportent le pétrole et le gaz (liquéfié) et qui sortent [du Golfe] par les couloirs étroits du Détroit d'Ormuz.

En ce moment, la stratégie de la Chine se confine à la ville portuaire de Gwadar, le long de la côte sud-ouest du Pakistan, dans la province du Baloutchistan, stratégiquement située près du Détroit d'Ormuz. Pourtant, compte tenu des relations étroites entre les Etats-Unis et le Pakistan, il est très improbable que les Etats-Unis permettent à Islamabad d'entamer des relations stratégiques avec Pékin. La Chine, qui manque toujours d'une marine impressionnante, pourrait en effet utiliser [une telle base] pour projeter sa puissance dans la région.

Le cas est assez différent avec l'Iran. Celui-ci est constamment menacé par les Etats-Unis - et à présent par la France - et il bénéficie déjà d'un statut d'observateur au sein de l'Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), que dirigent la Chine et la Russie. La tentative de l'Iran de rejoindre l'OCS a été en partie bloquée, en conséquence de l'impasse sur son programme nucléaire, mais elle aboutira probablement, dans un avenir pas trop lointain, si le statut actuel de la coopération entre l'Iran et la Russie et entre l'Iran et la Chine se poursuit.

De son côté, la Chine a déjà dépassé l'Allemagne en tant que partenaire commercial numéro un. Sonipec, le plus grand raffineur de pétrole de Chine, vient juste de finaliser un accord portant sur plusieurs milliards de dollars pour développer l'immense champ pétrolier de Yadavaran, cela en plus du "contrat du siècle" sur le gaz naturel de l'immense champ gazier iranien de Pars Nord. Les contractants chinois travaillent aussi à construire pour l'Iran des terminaux pétroliers dans la Mer Caspienne et, entre autres projets, à étendre le métro de Téhéran et à construire des aéroports. Tout cela, alors que les ventes d'armes chinoises à l'Iran incluent des articles aussi chauds que de la technologie de missiles balistiques et des radars de défense anti-aériens.

La coopération grandissante sino-iranienne sur les fronts de l'énergie et du commerce s'étendra sûrement tôt ou tard à une coopération militaire plus poussée et, là-aussi, cela dépendra en partie des hauts et des bas dans les "jeux de stratégie" Iran/Etats-unis et Chine/Etats-Unis, surtout si la Chine ressent une pression supplémentaire de la part des Etats-Unis sur le front géopolitique.

Pour sûr, il est maintenant possible que l'Iran veuille montrer une meilleure disposition que jusqu'ici pour embrasser l'idée de vaisseaux de guerre chinois faisant escale chez lui. Ceci en prélude à plus d'accords de grande envergure pouvant aller jusqu'à inclure des dispositions pour un petit poste naval avancé chinois sur l'une des îles iraniennes du Golfe Persique.

Une fois encore, un tel scénario, certain de soulever le courroux de Washington, dépend d'un grand nombre de variables. Parmi celles-ci, les futurs mouvements des Etats-Unis dans le Golfe Persique, par exemple, si l'armée américaine cesse ou non d'utiliser certaines îles artificielles installées par les Emirats. Si tel est le cas, cela accroîtrait la capacité de projection de puissance des Etats-Unis au regard de l'Iran et Téhéran pourrait être plus enclin à essayer de contrebalancer une pression américaine aussi lourde pesant sur lui en jouant la "carte de la Chine".

Il faut le répéter, la nouvelle et audacieuse manœuvre de la France dans le Golfe Persique a également perturbé Téhéran. En effet, l'Iran trouve que le nouveau tournant pro-américain de la politique étrangère française est nuisible à ses intérêts nationaux. Le résultat net est la bifurcation cognitive de "l'Ouest" contre "nous" [1] qui cadre gentiment avec l'"orientation vers l'Est" de l'Iran, sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad. Cela fait partie intégrante d'une nouvelle approche énergétique "mondialiste" qui inclut de nouvelles ouvertures stratégiques avec certaines nations d'Amérique Latine et Centrale.

Autrement dit, c'est une grave erreur de mal-interpréter la "nouvelle politique étrangère" de l'Iran comme étant de nature uni-dimensionnelle, tant régionale que continentale, malgré son intérêt étroit pour les régions qui lui sont immédiatement voisines.

Voici ce que dit un professeur de sciences de premier plan à l'Université de Téhéran : "L'Iran ne peut pas rester indifférent aux manœuvres géopolitiques agressives menées contre lui par les nations occidentales, qui ont pris l'Iran pour cible dans un langage sans ambiguïté".

Ce professeur s'est demandé à haute voix comment la France réagirait si tout d'un coup l'Iran commençait à installer des bases près de sa côte ou, d'ailleurs, comment Washington réagirait à une base iranienne au Nicaragua, pays ami de l'Iran ! "Ils ont vraiment besoin de se réveiller et de comprendre que la sécurité nationale n'est pas un processus à sens unique".

Si les experts politiques iraniens ne sont pas encore prêts à concéder que l'Iran en est maintenant au stade d'autoriser une base chinoise le long de sa vaste côte du Golfe Persique, ils sont toutefois nombreux à s'accorder sur le fait, avec le milieu géopolitique changeant qui représente des menaces potentielles sérieuses à la sécurité nationale de l'Iran, que toutes les options doivent rester ouvertes.

Note
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[1] Après tout, Sarkozy est revenu sur la parole de "multipolarité" de son prédécesseur et, à la place, selon un article dans le New York Times de cette semaine, "a tempéré cette notion en parlant de la place de la France dans sa 'famille occidentale', une expression bien accueillie à Washington".

Copyright 2008 Asia Times Online Ltd/Traduction : JFG-QuestionsCritiques.