accueil > archives > édito


pourparlers de Genève

La surprise d’octobre dans les relations US-Iran

Par Kaveh L. Afrasiabi
Asia Times Online, le 4 octobre 2009

article original : "October surprise in US-Iran relations"

NEW YORK – Défiant la volée de prédictions pessimistes et malgré les récentes révélations concernant une deuxième installation iranienne d’enrichissement d’uranium, la réunion de Genève entre l’Iran et les nations du « Groupe des Six » ne s’est pas terminée, jeudi, dans un échec.

Au contraire, un mini-progrès a été accompli, puisque l’Iran, d’un côté, et le Groupe des Six, de l’autre, se sont mis d’accord pour tenir une réunion complémentaire à la fin du mois. Qui plus est, les représentants étasunien et iranien se sont rencontrés face-à-face en marge de cette réunion, à la suite d’une demande de dernière minute faite mercredi par les Etats-Unis.

Le geste surprise du Département d’Etat US, d’accorder un visa au ministre iranien des affaires étrangères, Manouchehr Mottaki, pour se rendre à Washington, apparemment pour inspecter la « Section d’Intérêts » de l’Iran,[1]

est venu s’ajouter à la rafale d’initiatives diplomatiques qui a entouré les pourparlers de Genève. Toutefois, cette visite sans précédent pourrait n’avoir été essentiellement qu’un geste symbolique de bonne volonté de la part de l’administration Obama à la veille de la réunion de Genève.

Répondant à ces signes de réchauffement de la part de Washington, Mottaki a réitéré, dans un entretien avec le Council on Foreign Relations[2], que l’Iran était prêt pour un dialogue constructif et étendu, tout en faisant bien comprendre que l’intention de Téhéran aux pourparlers de Genève était de défendre les droits nucléaires de l’Iran.

« Notre intention est également de voir s’il y a un changement d’attitude de la part de l’administration Obama et si nous pouvons détecter une preuve que cette nouvelle attitude s’éloigne de l’état d’esprit hégémonique et qu’elle se rapproche du respect mutuel », a déclaré Mottaki, ajoutant que la menace de sanctions pouvait « ruiner les opportunités de coopération ».

La présence de Mottaki aux Etats-Unis a été un avantage majeur pour la diplomatie US-iranienne, en permettant à l’Iran de compléter ses actes à la table des négociations de Genève par la série d’interviews données par Mottaki aux médias américains et destinées à appuyer la diplomatie publique de l’Iran.

De son côté, le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, a donné du corps à la position de négociation de l’Iran, en tenant une conférence de presse la veille des pourparlers de Genève. Il a exprimé son optimisme au sujet de cette réunion et il a proposé d’établir « trois commissions spécialisées » qui publieraient des comptes-rendus sur les questions nucléaires et non-nucléaires pertinentes de préoccupation mutuelle, aboutissant à un « sommet de chefs d’Etats ».

Aussi, Ahmadinejad s’est assuré que de tels gestes de la part de l’Iran soient compris comme faisant partie des efforts de son gouvernement pour soutenir le rôle de l’Iran dans la « gestion des affaires mondiales ». Autrement dit, comme aspects d’une stratégie mondiale cohérente qui cherche à affirmer un statut trans-régional et en fait mondial à l’Iran, à la lumière de son importance géostratégique et géoéconomique.

Les détails des pourparlers de Genève n’avaient pas encore été rendus publics. Peu avant cette réunion, une déclaration d’un porte-parole du Département d’Etat US faisat allusion de façon optimiste aux perspectives de ces pourparlers qui conduisaient à un « dialogue plus en profondeur ». Celui-ci a également assuré au monde que les Etats-Unis s’abstiendraient d’apporter des « jugements à l’emporte-pièce ».

Toutefois, sur ce dernier point, le négociateur américain, William Burns, nommé par George W. Bush et qui a le rang de Sous-Secrétaire d’Etat en charge des affaires politiques, a semblé nourrir des doutes mineurs sur la capacité de l’équipe de négociation iranienne, conduite par Saïd Djalili, à « prendre des décisions ». C’est, du moins, ce qui ressort d’un entretien que l’auteur a eu avec un ancien fonctionnaire américain, qui s’est exprimé sous condition d’anonymat.

La décision de Téhéran de consentir à la demande des Etats-Unis pour un entretien en face-à-face, conçu spécifiquement pour discuter du programme nucléaire iranien, pourrait être un choc pour les détracteurs bellicistes de la politique iranienne d’Obama, qui ont décrit le gouvernement iranien comme étant rigide et inflexible.

Ce n’est pas ainsi que se voit l’Iran. Voici un exemple typique : lors d’une rencontre privée avec des groupes de réflexion américains à New York la semaine dernière, Ahmadinejad a insisté à plusieurs reprises sur la flexibilité dont il a fait montre vis-à-vis de l’administration Obama, sans toutefois recevoir le moindre retour d’Obama.

A la place, Obama a dirigé toute sa communication vers le Dirigeant Suprême iranien, l’Ayatollah Ali Khamenei, sans passer par Ahmadinejad. Ceci est dû en partie aux piètres conseils qu’il a reçus d’un certain nombre d’ « experts sur l’Iran », comme Vali Nasr et Ray Takyeh, qui ont publiquement écarté Ahmadinejad comme un « agitateur » sans influence et sans pouvoir significatifs dans la prise de décision politique.

Pourtant, la présidence iranienne est une institution politique puissante et Ahmadinejad est source de décision en matière de politique étrangère, même si le sceau final du dirigeant suprême est obligatoire pour la macro-politique. A la fois en termes de définition des tactiques et des stratégies spécifiques et de la sélection des priorités en matière de politiques étrangère et nucléaire, il ne fait aucun doute qu’Ahmadinejad et son équipe de politique étrangère, dont font partie Djalili et Mottaki, jouent un rôle central.

La surprise d’octobre dans les relations US-iraniennes réside maintenant dans le fait que, malgré les nombreux obstacles, une rencontre initiale directe à moitié couronnée de succès a eu lieu entre les Etats-Unis et l’Iran. Il est vraisemblable qu’elles se renforceront lors de réunions ultérieures, qui établiront à leur tour un peu plus de confiance, en particulier avec en toile de fond, un environnement plutôt vicieux fait d’accusations et de contre-accusations.

Une des raisons pour laquelle la réunion de Genève n’a pas échoué est qu’il existe, lorsque l’on en vient à la question épineuse de la transparence nucléaire de l’Iran, un champ d’accord entre les deux camps. Cela fait suite aux assurances répétées d’Ali Akbar Salehi, le nouveau chef de l’Organisme à l’Energie Atomique de l’Iran, sur un calendrier d’inspections par l’AIEA de la deuxième installation d’enrichissement d’uranium en cours de construction près de la ville de Qom et révélée par l’Iran lui-même.

En révélant ce site, dans une lettre qu’il a adressée à l’AIEA le 21 septembre dernier, en même temps qu’il a effectué des essais de tir de missiles, à courte, moyenne et longue portées, à la veille des pourparlers de Genève, l’Iran a voulu renforcer sa position de négociation. L’idée était d’introduire de nouveaux obstacles à l’ « option militaire » en démontrant la capacité de dissuasion de l’Iran. Ces manœuvres ont servi également à montrer que le programme nucléaire iranien pouvait survivre à une attaque, étant donné le savoir-faire des Iraniens dans le nucléaire.

Ces initiatives iraniennes ont plutôt neutralisé les manœuvres occidentales destinées à affaiblir la position de Téhéran en vue de cette réunion, notamment la décision d’Obama d’abandonner le bouclier US antimissile en Europe, sur la base que l’Iran ne posait pas de menace dans un avenir proche avec des missiles à longue portée. Pourtant, dans les jours qui ont suivi cette annonce, l’Iran a été capable d’effectuer des essais de tir réussis, avec des missiles Shahab-3 et Sejil (à combustible solide) qui ont la capacité de frapper des parties d’Israël et d’Europe, ainsi que les bases américaines dans la région.

Un professeur de science politique de l’Université de Téhéran a confié à l’auteur : « En Iran, de nombreuses personnes congratulent aujourd’hui le gouvernement pour avoir réussi à placer quelques coups importants dans ce jeu d’échecs, sans lesquels le « E3+3 » [le Groupe des Six] aurait mangé l’Iran tout cru à Genève ».

En effet, le consensus à Téhéran parmi les experts en politique étrangère est qu’au moyen d’une diplomatie habile mélangeant à la fois fermeté et ouverture, l’Iran a gagné beaucoup de respect dans la communauté internationale et a forcé l’autre camp à le traiter avec plus de déférence.

La question du programme nucléaire iranien – que beaucoup de personnes croient toujours être destiné à développer des armes nucléaires – est pourtant loin d’être réglée. Il faudra beaucoup de bonne volonté dans les deux camps à la table de négociation pour avancer, en se concentrant, pour paraphraser Javier Solana, le chef de la politique étrangère de l’Union Européenne, sur les domaines des intérêts partagés et des « garanties objectives » permettant de s’assurer de l’aspect pacifique du programme nucléaire iranien.

Déjà, à la lumière des inspections régulières par l’AIEA des installations iraniennes, ainsi que des caméras et autres mesures de surveillance placées à l’usine d’enrichissement de Natanz, une bonne partie de ces garanties objectives est fermement en place. Il est maintenant nécessaire d’étendre ces mesures à la nouvelle installation iranienne et, peut-être, de convaincre l’Iran à ré-adopter le Protocole Additionnel[3] envahissant du Traité de Non-Prolifération [TNP].

Ce dernier point est possible si le Conseil de Sécurité des Nations-Unies accepte d’abandonner son exigence à ce que l’Iran suspende son programme d’enrichissement d’uranium, une exigence rejetée par l’Iran comme étant « illégale » et qui n’a absolument aucune chance d’être épousée par quelque politicien que ce soit à Téhéran, à moins de vouloir se suicider.

A ce stade, avec le verre de la diplomatie US-iranienne désormais à moitié rempli après une rencontre initiale qui a ouvert les possibilités d’un futur dialogue, il y a suffisamment de motifs pour envisager avec un optimisme prudent la désescalade de la crise nucléaire iranienne.

Copyright 2009 Asia Times Online Ltd/Traduction : JFG-QuestionsCritiques

Notes :
_________________________

[1] Le « Service des Intérêts de la République Islamique d’Iran aux Etats-Unis » [The Interests Section of the Islamic Republic of Iran in the United States] fait partie de l’ambassade du Pakistan à Washington et est de fait la représentation diplomatique de la République Islamique d’Iran aux Etats-Unis.

Lorsque les Etats-Unis et l’Iran ont rompu leurs liens diplomatiques, les deux pays se sont mis d’accord pour établir ce que l’on sous le nom de ‘Sezrvices des Intérêts » pour s’occuper de leurs intérêts, avec des pays tiers servant de puissances protectrices. Les Etats-Unis ont un « service d’intérêts » à Téhéran, qui fait partie de l’ambassade de Suisse. Toutefois, les services pour les citoyens américains sont limités. Ce service n’émet pas de visa pour les Etats-Unis.

[2] Le Council on Foreign Relations (CFR), créé en 1921 par Edward Mandell House, conseille le département d’État. Pour chaque conflit, il détermine les buts de guerre dans l’intérêt de ses membres et hors de tout contrôle démocratique. Il participe également à l’écriture d’une histoire officielle chaque fois qu’il est nécessaire de condamner les errements du passé et de se refaire une image. Financé par 200 multinationales, il comprend 4 200 membres co-optés parmi lesquels sont choisis la plupart des dirigeants gouvernementaux. L’élite des affaires élabore la politique étrangère des États-Unis par consensus à huis clos.

[3] Le dispositif du protocole additionnel du 22 septembre 1998 complète les mesures de l'accord de garanties fondé sur la vérification par l'AIEA de la comptabilité des matières nucléaires déclarées. 58 des 189 États membres du TNP appliquent le protocole additionnel.