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diplomatie

La Chine trempe un orteil dans la Mer Noire

Par M K Bhadrakumar
Asia Times Online, le 1er août 2009

article original : "China dips its toe in the Black Sea"

A l’instar des chasseurs d’étoiles qui ont regardé la semaine dernière la plus longue éclipse totale du soleil du 21ème siècle, les observateurs diplomatiques ont pris leur pied à regarder la pénombre de la politique des grandes puissances, impliquant les Etats-Unis, la Russie et la Chine, qui constitue l’un des phénomènes cruciaux de la politique du 21ème siècle.

Tout a commencé avec le Vice-président américain, Joseph Biden, qui avait décidé de faire une tournée en Ukraine et en Géorgie du 20 au 23 juillet derniers pour réprimander publiquement le Kremlin pour ses « notions relatives aux sphères d’influence remontant au 19ème siècle. » La tournée de Biden dans le « voisinage immédiat » problématique de la Russie a eu lieu dans la quinzaine qui a suivi la visite décisive à Moscou du Président US Barack Obama pour « réinitialiser » les relations entre les Etats-Unis et la Russie.

Il est clair que le coup de Biden a été mis en scène comme une démonstration de force de la résolution de l’administration de Barack Obama à maintenir un engagement stratégique en Eurasie – un retroussage de manches et une préparation à l’action après l’échange de plaisanteries habituelles entre Obama et son homologue au Kremlin, Dimitri Medvedev. Dit simplement, le message cru de Biden était que l’administration Obama a l’intention de défier sérieusement la prétention de la Russie à être la puissance dominante dans l’espace post-soviétique.

Biden a exclu tout « compromis » avec le Kremlin ou toute forme de « reconnaissance » des sphères d’influence de la Russie. Il a engagé l’administration d’Obama à soutenir le statut de l’Ukraine comme une « partie intégrante de l’Europe » et l’intégration de l’Ukraine dans l’alliance euro-atlantique. De plus, dans une interview accordée au Wall Street Journal, Biden a parlé du propre futur sombre de la Russie en termes existentiels crus.

Le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a promptement répondu dans une interview à Vesti, la chaîne d’informations basée à Moscou. Il a déclaré : « J’espère que l’administration du Président Obama donnera suite aux accords atteints à Moscou. Nous pensons que les tentatives de certaines personnes au sein de son administration de nous renvoyer tous dans le passé, de la façon dont le Vice-président Joe Biden, un homme politique bien connu, l’a fait, ne sont pas normatives. »

Retour au Reaganisme

Lavrov a ajouté, « l’interview que Biden a donnée au Wall Street Journal semblait avoir été recopiée dans les discours des principaux responsables de l’administration de George W. Bush. » Toutefois, il est difficile de faire peu de cas de Biden comme une voix authentique. C’était Biden qui avait parlé de « réinitialiser » les relations des Etats-Unis avec la Russie. Il a effectivement soulevé des attentes à Moscou. Et la visite d’Obama à Moscou au début du mois juillet a été largement interprétée comme le commencement officiel du processus de « réinitialisation ».

A présent, il apparaît que cette « réinitialisation » pourrait renvoyer la politique des Etats-Unis envers la Russie aux années 80 et en direction de la thèse triomphaliste de Ronald Reagan selon laquelle la Russie ne pouvait pas être à la hauteur des Etats-Unis, vu sa structure économique et démographique profondément défectueuse, et, par conséquent, plus la pression est grande sur l’économie russe, plus Moscou serait conciliante vis-à-vis de la pression des Etats-Unis.

Ainsi que Stratfor, un think-tank étasunien lié à l’establishment de la sécurité, l’a résumé, le grand jeu consistera à « faire pressions sur les Russes et laisser la nature faire le reste ».

Il y a déjà des preuves de cette approche occidentale coordonnée concernant la Russie, dans le projet d’un « partenariat oriental » de l’Union Européenne, dévoilé à Prague en mai dernier, dont l’étendue géographique rassemble l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Moldavie, la Biélorussie et l’Ukraine, et dont l’objectif est de tirer ces Etats post-soviétiques « d’importance stratégique » vers Bruxelles, au moyen d’une matrice d’aide économique, de libéralisation du commerce et de l’investissement et de régimes de visas ne permettant pas l’accession à l’UE mais les encourageant effectivement à relâcher leurs liens avec la Russie. En effet, la poussée de l’UE a déjà commencé à éroder les liens étroits de la Russie avec la Biélorussie et l’Arménie.

Moscou se retrouve déjà face à un défit immédiat, alors que le résultat des élections législatives en Moldavie a balayé du pouvoir le dernier parti communiste au profit des partis d’opposition pro-européens. Les Etats-Unis et l’Union Européenne ont maintenu en Moldavie la tactique de pression de la « révolution Twitter[1] » avortée, pour forcer un changement de régime qui mette fin au leadership du Président Vladimir Voronine, dont les penchants pro-russes sont bien connus. L’UE a fait de généreuses promesses d’intégration économique à la Moldavie, et Moscou a fait une contre-proposition en juin, la promesse d’un prêt de 500 millions de dollars.

Cependant, dans un développement étonnant, la Chine est entrée en juillet dans la bataille et a signé un accord pour prêter 1 milliard de dollars à la Moldavie sur 15 ans à un taux d’intérêt hautement favorable de 3%, avec un moratoire de cinq ans sur le remboursement des intérêts. Cet argent acheminé par l’intermédiaire de la Covec, le géant chinois de la construction, en tant que projets d’exportation dans des domaines comme la modernisation de l’énergie, les systèmes d’approvisionnement en eau, les usines de traitement des eaux usées, l’agriculture et les industries de haute technologie.

Curieusement, la Chine a dit qu’elle était prête à « garantir le financement de tous projets considérés comme nécessaires et justifiés par la partie moldave », au-delà de ce prêt d’un milliard de dollars. En Fait, Pékin a signalé sa volonté de prendre en charge l’ensemble de l’économie moldave, dont le PIB est estimé à 8 milliards de dollars et dont le budget dérisoire s’élève à 1,5 milliards de dollars.

Cette manœuvre chinoise est sans aucun doute un positionnement géopolitique. Dans un récent commentaire au deuxième degré, le Quotidien du Peuple a fait remarquer que « sous l’administration de [Barack] Obama, la signification et l’utilisation de la ‘cyber-diplomatie’ a changé de façon importante… Les autorités américaines… ont attisé les problèmes pour l’Iran au moyen de sites internet comme Twitter … [La Secrétaire d’Etat Hillary Clinton] a déclaré que c’est l’essence du pouvoir intelligent, ajoutant que ce changement nécessite que les Etats-Unis élargissent leur conception de la diplomatie ».

La Moldavie est un pays où la Chine a historiquement été une observatrice plutôt qu’une actrice. C’est le premier bon en avant de Pékin à travers l’Asie Centrale vers les confins occidentaux effilochés de l’Eurasie. Pourquoi la Moldavie est-elle en train de devenir si formidablement importante ? Pékin aura calculé la signification géopolitique immense de l’intégration de la Moldavie par l’Ouest. Ce serait alors une question de temps pour que la Moldavie soit admise au sein de l’OTAN, avant que la Mer Noire ne devienne un « lac de l’OTAN » et que l’alliance ne soit dans une position virtuellement imprenable pour marcher sur le Caucase et directement en Asie Centrale sur les frontières chinoises.

Ce que nous pourrions ne jamais vraiment savoir est l’étendue de la coordination entre Moscou et Pékin. Les deux capitales ont souligné dernièrement la coordination sino-russe accrue en matière de politique étrangère. La déclaration conjointe émise après la visite du Président chinois Hu Jintao en Russie en juin, a exprimé spécifiquement le soutien de Pékin à Moscou sur la situation dans le Caucase. Manifestement, un degré élevé de coordination devient visible dans tout l’espace post-soviétique.

Des Islamistes sur la Route de la Soie

Il est donc concevable que Moscou ait sensibilisé Pékin sur son intention d’établir une deuxième base militaire à Och, au Kirghizstan, qui est située à proximité immédiate de la province chinoise du Xinjiang et qui la principale route de transit pour les combattants islamistes d’Asie Centrale basés en Afghanistan et au Pakistan.

Il y a des signes sans équivoque d’une renaissance des activités islamistes en Asie Centrale et dans le nord du Caucase. La Chine observe attentivement leurs retombées sur le Xinjiang. Bien que les commentateurs occidentaux se donnent du mal pour dépeindre la poussée islamiste renouvelée en Asie Centrale comme le résultat des opérations militaires pakistanaises le long des zones frontalières pakistano-afghanes, qui étaient habituellement des sanctuaires pour les partisans de la lutte armée, le débat est loin d’être clos. Les experts chinois ont indiqué qu’avec l’atténuation des tensions dans les rapports entre la Chine et Taiwan, l’étendue de l’ingérence des Etats-Unis dans les affaires chinoises s’est considérablement réduite et, en retour, cela a déplacé l’attention des Etats-Unis vers les régions occidentales de la Chine, du Xinjiang et du Tibet.

Il y a beaucoup d’ambiguïté stratégique quant à ce qui précipite la récente reprise des activités islamistes sur la large bande de terre qui constitue le « point névralgique diplomatique » de la Russie et de la Chine. En l’espace de 48 heures après l’éruption, début juillet, de la violence dans le Xinjiang, le ministre chinois des affaires étrangères, Yang Jiechi, a téléphoné à son homologue russe, et Moscou a fait une déclaration soutenant Pékin sans ambiguïté.

Le 10 juillet, une déclaration similaire du secrétaire général de l’Organisation de la Coopération de Shanghai (OCS) a suivi, soutenant les mesures prises par Pékin « dans le cadre de la loi » pour ramener « le calme et rétablir une vie normale » dans le Xinjiang, à la suite des affrontements entre les ethnies ouighours et les Chinois Han. La déclaration de l’OCS a réitéré la détermination à « approfondir un peu plus la coopération dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, du séparatisme, de l’extrémisme et du crime organisé transnational, dans l’intérêt de [la protection de] la sécurité et de la stabilité régionales ».

Une fois encore, La Chine a souligné que la sécurité régionale de l’Asie Centrale et celle de l’Asie Méridionale sont étroitement liées. Commentant la déclaration de l’OCS, le Quotidien du Peuple a déclaré que cela « démontrait que les Etats membres de l’OCS comprenaient parfaitement que la situation dans le Xinjiang pèse étroitement sur celle de toute la région environnante … Certains pays d’Asie Centrale, comme le Pakistan et l’Afghanistan sont également devenus victimes de ces forces diaboliques … Ces forces diaboliques ont également traversé la frontière pour répandre la violence et le terrorisme en installant des camps d’entraînement. Des liens ont été découverts entre ces forces et les émeutes récentes à Urumchi, la capitale du Xinjiang. La lutte contre ces forces diaboliques bénéficiera grandement à tous les pays d’Asie Centrale et Méridionale, ainsi que le prouve que ces « trois forces diaboliques » sont nuisibles, non seulement à la province du Xinjiang mais également à toute la région. »

Fait révélateur, dans un autre commentaire, le Quotidien du Peuple a lancé une attaque cinglante contre la politique des Etats-Unis qui ont attisé les troubles dans le Xinjiang. « Pour le peuple chinois, il n’est pas nouveau que les Etats-Unis attisent, tacitement ou ouvertement, le mécontentement contre la Chine … Les Etats-Unis embrassent sans distinction toutes ces forces hostiles à la Chine … C’est peut-être une pratique coutumière pour les Etats-Unis d’adopter le double-langage lorsqu’il s’agit de leurs intérêts contre ceux des autres. Ou, peut-être, ont-ils une arrière-pensée pour assurer que leur position de suprématie ne soit pas défiée ou altérée en divisant les autres pour mieux régner… Depuis la fin des années 80, les Etats-Unis n’ont jamais réfréné leurs intentions d’entretenir ce qu’ils appellent les « questions chinoises » … Cette fois-ci, dans leurs efforts d’attiser la querelle entre les Ouïgours et les Han, en recelant et en soutenant les forces séparatistes, les Etats-Unis surgissent à nouveau pour être le tiers qui bénéficierait, dans un secret espoir, de cette empoignade. »

C’est pourquoi il n’y avait pas besoin d’anticiper que la Chine soutiendrait l’initiative russe d’appeler à un sommet régional quadrilatéral pour la sécurité, sommet qui s’est réuni jeudi dernier à Douchanbe, au Tadjikistan, auquel ont participé les présidents russe, pakistanais, afghan et tadjik. Cette manœuvre russe pose un défi géopolitique aux Etats-Unis, qui ont monopolisé la résolution du conflit en Afghanistan ; laissant la Russie hors de l’Hindou-kouch ; tentant de faire voler en éclat la convergence sino-russe conduite par l’OCS sur la sécurité régionale en Asie Centrale ; intensifiant les efforts diplomatiques et politiques pour éroder les liens de la Russie avec les Etats d’Asie Centrale ; et étendant leur influence et leur présence au Pakistan et amenant progressivement ce pays dans le giron du programme de partenariat de l’OTAN.

Le tempo du sommet régional de sécurité à Douchanbe a été donné par le Président tadjik Imomali Rakhmon, lorsqu’il a dit à son homologue pakistanais, Asif Ali Zardari, lors d’une rencontre mercredi dernier, qu’il espérait travailler étroitement avec le Pakistan pour empêcher la montée de l’instabilité en Asie Centrale. « Nous partageons des positions similaires et proches sur ces questions, et nos pays devraient entreprendre des actions coordonnées, dirigées contre ce phénomène antagoniste », a déclaré Rakhmon.

Il est concevable que la Chine utilisera également son influence sur le Pakistan pour le pousser dans la direction d’une coopération régionale plutôt que de se soumettre passivement à la politique régionale des Etats-Unis. La remarque initiale de Zardari à Douchanbe a toutefois été évasive. Il a répondu platement à Rakhmon : « Nous nous dresserons ensemble contre les défis de ce siècle. »

Moscou a soumis comme point à l’ordre du jour du sommet de Douchanbe une proposition pour une coopération régionale qui implique de vendre à l’Afghanistan et au Pakistan de l’électricité depuis la centrale hydroélectrique tadjik de Sangtudinskaya (dans laquelle la Russie a investi 500 millions de dollars et dont elle détient 75% des parts). L’ironie est que cette idée était au départ une illumination américaine destinée à appuyer la stratégie en « Grande Asie Centrale », espérant faire sortir la région de l’orbite d’influence des Russes et des Chinois.

La Russie trace une Ligne Maginot

De la même manière, il est tout à fait certain que tandis que la Chine n’est pas membre de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC) emmenée par la Russie, Pékin tirera satisfaction que Moscou est en train de construire la présence de cette alliance en Asie centrale comme contrepoids à l’OTAN. Après les troubles du Xinjiang, Pékin a un intérêt direct dans l’idée russe de créer un centre antiterroriste au Kirghizstan et à faire avancer la force de réaction rapide de l’OTSC (Les Forces de Réaction Opérationnelle Collective) en Asie Centrale.

Il n’y a aucun doute que le résultat du sommet de l’OTSC qui se réunira dans la station balnéaire de Cholpon-Ata au Kirgizstan ce week-end sera vivement observé à Pékin. A la veille de ce sommet, un assistant du président russe a révélé à Moscou (mercredi dernier) qu’un accord de principe avait été atteint sur l’ouverture d’une base russe à Och sous la bannière de l’OTSC. Une source au Kremlin a également déclaré au quotidien russe Gazetta que cette rencontre au sommet discuterait de la situation en Afghanistan.

Vu en toile de fond, ces exercices militaires conjoints sino-russes, intitulés « Mission de Paix 2009 » et qui se sont déroulés du 22 au 26 juillet, ne peuvent pas être considérés comme une simple répétition de deux exercices de ce genre qui se sont déroulés en 2005 et en 2007. Il est vrai que ces trois exercices se sont déroulés au sein de la structure de l’OCS, mais ceux de cette année ont réellement été une initiative bilatérale sino-russe, avec les autres Etats membres représentés en tant qu’ « observateurs ».

Le général de division chinois, Qian Lihua, du ministère de la défense, a affirmé que ces exercices avaient une « très grande importance », alors que les forces du terrorisme, du séparatisme et de l’extrémisme sont « aujourd’hui endémiques ». Il a déclaré qu’à part renforcer la sécurité et la stabilité régionales, ces exercices symbolisaient également le « niveau stratégique et la confiance mutuelle élevés » entre la Chine et la Russie et qu’ils sont devenus une « manœuvre puissante » pour les deux pays afin de renforcer la « coopération pragmatique » dans le domaine de la défense.

Faisant le point sur la coopération entre les armées chinoise et russe, Qian a déclaré :

D’abord, les échanges à haut niveau sont devenus plus fréquents. C’est devenu une routine pour les deux nations de prendre des dispositions et d’avoir des échanges entre les ministres de la défense ou les chefs d’état-major au moins une fois par an. Des échanges fréquents entres les départements de la défense et des visites à haut niveau militaire ont conduit efficacement le développement fluide des relations bilatérales entre la Chine et la Russie. Deuxièmement, la consultation stratégique est devenue un mécanisme de routine. Depuis 1997, les armées chinoise et russe ont instauré un mécanisme pour tenir des consultations annuelles entre la direction des deux parties au niveau des chefs d’état-major adjoints. Jusqu’à présent, 12 séries de consultations stratégiques ont eu lieu, ce qui a encouragé une confiance mutuelle et une coopération amicale. Troisièmement, les échanges entre groupes et équipes professionnelles sont devenus pragmatiques. Les armées chinoise et russe ont conduit des échanges pragmatiques et une coopération dans de nombreuses forces et corps, incluant les communications, l’ingénierie et la cartographie.

Qian a anticipé qu’avec la Mission de Paix 2009, la « confiance stratégique mutuelle et la coopération pragmatique entre les deux armées entreront dans une nouvelle étape. »

L’inquiétude de la Chine est palpable face à la montée des activités militantes islamistes en Asie Centrale. « Les terroristes essayent de se mettre discrètement à l’abri au Tadjikistan, en Ouzbékistan et au Kirghizstan … Ils ont vécu pendant longtemps en Afghanistan », comme l’a dit récemment le ministère tadjik de l’intérieur, Abdurakhim Kakhkharov. La Vallée de Rasht, dans les Montagnes du Pamir où se rassemblent les terroristes, ne sont qu’à une « distance pédestre » de la frontière afghane (et chinoise).

Il a été rapporté que le célèbre commandant islamiste tadjik, Mullo Abdullo, serait rentré d’Afghanistan et du Pakistan avec ses fidèles après presque dix ans et qu’il essaye de recruter des partisans de la lutte armée dans la Vallée du Rasht. Selon divers rapports, les éléments partisans du Nord Caucase russe, d’Ouzbékistan, du Tadjikistan, du Kirghizstan et du Xinjiang, se rejoignent.

Pour citer le Président kirghiz Kurmanbek Bakiyev, « La situation en Afghanistan affecte non seulement le Kirghizstan, mais toute l’Asie Centrale. Des gens sont venus ici pour perpétrer des actes de terreur. » Bakiyev a ajouté d’un ton menaçant : « Il y a toujours des forces là-bas dont nous ne savons rien, qui y sont et qui sont prêtes à se livrer à des activités illégales. Elles n’ont qu’un seul but : déstabiliser l’Asie Centrale. » Pourtant, l’Otan a plaidé son incapacité à stopper le mouvement des Taliban en direction de la frontière tadjik.

La question a un million de dollar est donc de savoir si les troubles actuels ne sont qu’un simple écho distant ou s’ils équivalent à une répétition des efforts étasuniens de financer et d’équiper les combattants moudjahidin et d’encourager l’islam militant en tant qu’outil géopolitique dans l’Asie Centrale soviétique des années 80.[2]. Voilà pourquoi les remarques de Biden rappelant le Reaganisme seront prises très au sérieux à Moscou et à Pékin – que l’économie russe est une épave, que la géographie russe est rongée par un éventail de faiblesses qui se flétrissent et que les Etats-Unis ne devraient pas sous-estimer leur influence. La manœuvre audacieuse de la Chine en Moldavie montre qu’elle a peut-être commencé à considérer l’espace post-soviétique comme son « voisinage proche ».

La fin de la « Chinamérique »

La question est qu’il y a un angle économique considérable dans ces manœuvres. L’envoyé des Etats-Unis en Eurasie pour les problèmes énergétiques, Richard Morningstar, a admis franchement lors d’une audition devant la Commission sénatoriale des affaires étrangères, il y deux semaines, que le succès de la Chine à gagner l’accès aux réserves énergétiques de la Caspienne et de l’Asie Centrale menaçait les intérêts géopolitiques des Etats-Unis.

De façon intéressante, le regain de troubles en Asie Centrale (y compris au Xinjiang) – que les services de renseignements russes anticipaient depuis fin 2008 – se déroule le long de l’itinéraire de 7.000 kilomètres suivi par le pipeline qui part du Turkménistan pour relier le Xinjiang, en passant par l’Ouzbékistan, le Kirghizstan et le Kazakhstan, et qui devrait être achevé d’ici à la fin de l’année. Il n’y a aucun doute que ce pipeline signifie un tournant historique dans la géopolitique de toute la région.

Le célèbre historien économique Niall Ferguson a comparé la « Chinamérique » – la thèse selon laquelle la Chine et l’Amérique ont effectivement fusionné pour devenir une économie unique – à un « mariage qui va à vau-l’eau ».

Dans le contexte du « dialogue stratégique » du Groupe des Deux entre les Etats-Unis et la Chine, qui s’est tenu la semaine dernière à Washington, Ferguson anticipe qu’un point essentiel sera atteint lorsque la Chine, au lieu de continuer avec ce « mariage malheureux », pourrait décider de « faire cavalier seul … de leur acheter la puissance globale à part entière ».

Les facteurs d’influence sont les taux d’épargne aux Etats-Unis qui montent en flèche[3] et les importations des Etats-Unis en provenance de la Chine qui se réduisent drastiquement ; les Chinois ont le sentiment qu’ils en ont assez des bons du Trésor américain, avec le spectre de la chute du cours des bons du Trésor ou de la chute du pouvoir d’achat du dollar (ou les deux) – dans les deux cas la Chine à tout à perdre.

Ferguson reconnaît que la Chine à peut-être commencé agir en ce sens et sa campagne pour acheter des actifs étrangers (comme en Moldavie), son mouvement expérimental vers une société de consommation, son soutien grandissant à l’idée de bons de tirage spéciaux sur un panier de devise pour remplacer le dollar – tout ceci constitue les signes d’un divorce imminent de la « Chinamérique ». Mais qu’est-ce que cela implique pour la politique du monde ? Voici ce que dit Ferguson :

Imaginez une nouvelle guerre froide, mais une dans laquelle les deux superpuissances sont de la même taille économique, ce qui n’a jamais été le cas dans la Guerre Froide d’autrefois, parce que l’URSS a toujours été beaucoup plus pauvre que les USA. Ou, si vous préférez une analogie plus ancienne, imaginez un retour à l’antagonisme anglo-allemand du début des années 1900, avec l’Amérique dans le rôle de la Grande-Bretagne et la Chine dans le rôle de l’Allemagne impériale. C’est une meilleure analogie parce qu’elle saisit le fait qu’une intégration économique à haut niveau n’empêche pas nécessairement la croissance d’une rivalité stratégique et, au bout du compte, un conflit. Nous sommes bien sûr très loin d’une guerre directe. Ces choses se construisent plutôt lentement. Mais les plaques tectoniques géopolitiques se déplacent, et elles se déplacent rapidement. La fin de la Chinamérique provoque un alignement plus étroit entre l’Inde et les Etats-Unis. Cela crée une opportunité pour Moscou de construire des liens plus étroits avec Pékin.

Il est sûr que la différence essentielle, par rapport à l’éclipse soleil de juillet qui ne sera pas surpassée avant juin 2132, est qu’il n’y a aucune certitude dans le monde louche de la politique des superpuissances, en particulier dans la relation triangulaire problématique qui mplique les Etats-Unis, la Russie et la Chine. Mais une chose est sûre. Comme dans le cas de l’éclipse du soleil qui a été observée de tous les coins possibles de la planète, ce déplacement des plaques tectoniques géopolitiques et l’alignement résultant de l’interconnexion des forces dans toute l’Eurasie seront observés avec un vif intérêt par des pays aussi divers que l’Inde, le Brésil, l’Iran, la Corée du Nord, le Venezuela, Cuba, la Syrie et le Soudan.


L'Ambassadeur M K Bhadrakumar a servi en tant que diplomate de carrière dans les services extérieurs indiens pendant plus de 29 ans. Parmi ses affectations : l'Union Sovétique, la Corée du Sud, le Sri Lanka, l'Allemagne, l'Afghanistan, le Pakistan, l'Ouzbékistan, le Koweït et la Turquie.


Copyright 2009 Asia Times Online Ltd / Traduction : JFG-QuestionsCritiques. All rights reserved.

Notes du traducteur :
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[1] Twitter est un outil de réseau social et de microblogging qui permet à l'utilisateur d'envoyer gratuitement des messages.

[2] On (re)lira avec intérêt la chronique de Robin Cook, ancien ministre britannique des affaires étrangères, étrangement décédé deux semaines plus tard, "La lutte contre le terrorisme ne se gagnera pas par des moyens militaires", Robin Cook, The Guardian, 8 juillet 2005. Tony Blair est toujours soupçonné par certains milieux d’avoir commandité son assassinat…

[3] Voir sur l’épargne des Américains le point de vue de Mike Whitney, "Pourquoi l’économie n’a pas encore touché le fond", CounterPunch, le 5 juillet 2009.