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diplomatie

L’Inde et le Pakistan reprennent les discussions… de zéro

Par M K Bhadrakumar
Asia Times Online, le 27 février 2010

article original : "India and Pakistan talk - all over again"

Au milieu de beaucoup d’effets de manches, le « dialogue » indo-pakistanais, bien qu’agité, a démarré jeudi à New Delhi. On ne s’attendait à aucun progrès immédiat dans ces relations glacées et aucun progrès n’a été accompli. Les Etats-Unis, médiateurs de ces pourparlers au niveau des ministères des affaires étrangères, devraient pousser un soupir de soulagement alors que le dialogue reprend après une pause de 14 mois.

L’approche des camps indien et pakistanais est un modèle de contraste, même si chacun voyait que l’autre avait très envie de reprendre les pourparlers. L’Inde s’est toujours servie du dialogue comme d’un atout pour forcer le Pakistan à répondre à ses demandes de réduire les activités des groupes terroristes. De son côté, Islamabad a estimé que l’Inde « paniquait » devant la perspective d’un isolement régional de sa part, après que le Pakistan se fut brillamment positionné pour utiliser ses « actifs stratégiques » - les Taliban – comme d’un levier auprès des Etats-Unis, dans la fin de partie en Afghanistan.

Aucune de ces deux hypothèses n’est valide. Delhi devrait réaliser que malgré son entêtement à refuser la discussion, Islamabad a éludé sa demande de démanteler l’infrastructure terroriste en lien avec l’establishment de la sécurité pakistanaise et qui ensanglante l’Inde. En effet, tout indique que le Pakistan envisage de continuer à se servir du terrorisme comme politique d’Etat vis-à-vis de l’Inde.

De la même manière, il serait naïf pour Islamabad de croire que Delhi fera machine arrière et acceptera un régime Taliban à Kaboul. En effet, l’Inde dispose jusqu’à présent de plusieurs gros avantages, alors que son économie connaît une vitesse de croisière robuste avec un taux de croissance de 9% et qu’elle n’est pas une grande invalide nécessitant une infusion constante d’aide américaine, en dehors du fait qu’elle bénéficie de la stabilité politique qui va de paire avec la suprématie civile dans le gouvernement.

Les Indiens se sont servis des pourparlers de jeudi pour pousser le terrorisme au centre de la scène. L’exposé indien semble avoir enfoncé le clou, avec Delhi qui a présenté trois dossiers établissant la liste de terroristes basés au Pakistan, tandis que sa projection dans son introduction était aussi lisse que la soie, avec Delhi se présentant aussi raisonnable qu’ouverte aux échanges sur un éventail de questions bilatérales.

Le camp pakistanais ne s’attendait apparemment pas à ce que Delhi désigne un haut cadre militaire pakistanais comme terroriste. Etant donné les réalités politiques au Pakistan, avec l’armée qui dicte la loi, l’accusation de Delhi a presque instinctivement forcé le mielleux Secrétaire aux Affaires Etrangères pakistanais, Salman Bashir, qui conduisait la délégation pakistanaise et qui est bien considéré à Delhi, à lancer une diatribe télévisée inhabituelle de 90 minutes contre l’Inde, lors d’une conférence de presse à la chancellerie pakistanaise.

Il reste à voir comment tournera l’accusation indienne concernant l’officier pakistanais, puisqu’elle constitue une accusation visiblement nominative contre le chef de l’armée à Rawalpindi, le Général Pervez Kiani, en tant que cerveau derrière le terrorisme dans le sous-continent.

On peut s’attendre à des orages dans les jours à venir et la taille du parapluie américain pour ramener chez eux les Indiens et les Pakistanais en cas d’averse soudaine devient un élément de la liste de contrôle de l’administration Obama, à côté des malheurs concomitants de la guerre en Afghanistan.

L’audace de l’espoir d’Obama est tout simplement stupéfiante – prendre l’armée pakistanaise pour en faire une alliée clé, à la fois des Etats-Unis et de l’OTAN, dans la réalisation de sa stratégie en Afghanistan et en Asie Centrale, tout en menant Delhi en bateau en lui faisant croire que l’Inde est un « partenaire stratégique » dans les affrontements avec une Chine en plein essor et une Russie renaissante.

Obama est confronté à un grave dilemme. Le temps est compté et il a terriblement besoin de l’armée pakistanaise pour faire sortir les Taliban de la clandestinité et les faire venir à la table de négociation, sans quoi l’hémorragie afghane des Etats-Unis ne s’arrêtera pas. L’armée pakistanaise ressent les besoins d’Obama et elle sait qu’elle dispose d’une immense expérience pour servir les intérêts de Washington dans l’Hindou-Kouch – mais cela a un prix.

La liste pakistanaise de desiderata est exigeante. L’armée espère être renforcée par Washington à une quasi-parité, en force conventionnelle, avec son adversaire indien. Elle mérite également un accord nucléaire similaire à celui que l’administration George W. Bush a accordé à l’Inde. Elle ne peut pas accepter et n’acceptera aucune idée de la part de Washington qui attribuerait le rôle de superpuissance régionale à l’Inde, et elle espère que les Etats-Unis joueront un rôle de médiateur pour faire pression contre l’Inde en vue de régler le conflit au Cachemire.

Le Pakistan recherche essentiellement une relation stratégique avec les Etats-Unis, qui reconnaisse dûment sa propre revendication légitime en tant que puissance régionale qui va au-delà des impératifs de la guerre afghane ou de l’élargissement de l’Otan en Asie Centrale.

Delhi – et en vérité les autres puissances régionales – regardera attentivement jusqu’où Obama pliera pour satisfaire le Pakistan. En attendant, commence une série de consultations avec d’autres acteurs clés ayant des enjeux dans la politique régionale d’Obama. Le ministre indien des affaires étrangères, S. M. Krishna, a programmé une visite à Pékin ; le Premier ministre russe Vladimir Poutine doit se rendre à Delhi en mars ; et, une série de consultations ministérielles avec l’Iran pourrait arriver en mai.

Toutefois, Delhi pourrait ne ressentir aucun besoin réel de rechercher une entente cordiale avec des tierces parties afin d’attirer l’attention d’Obama. Les liens entre l’Inde et les Etats-Unis se renforcent régulièrement et, contrairement au Pakistan, un partenariat stratégique avec les Etats-Unis coule extrêmement bien auprès des élites et de l’opinion publique indiennes. Il ne peut échapper à Washington que l’Inde est vraiment l’un des quelques « alliés naturels » qui restent aux Etats-Unis sur la planète et, contrairement au Pakistan, Delhi promet une relation durable de valeur intrinsèque.

Par conséquent, pourquoi les Etats-Unis devraient-ils tuer la poule aux oeufs d’or ? Delhi espère que Washington ne foulera pas les intérêts essentiels et les préoccupations de l’Inde, laquelle estime qu’une relation de confiance mutuelle et un partenariat global ne sont pas trop demander.

Tandis que les Etats-Unis ont rarement été aussi influents dans le sous-continent, on peut tirer un parallèle frappant avec le début des années 60, après le conflit sino-indien de 1962. « L’expansionnisme communiste » de la Chine était au cœur de l’agenda des Etats-Unis et Washington comptait garder à la fois l’Inde et le Pakistan comme alliés – et a peut-être fait son intervention la plus directe pour régler le conflit du Cachemire, afin que sa géostratégie puisse fonctionner.

Cependant, ainsi que Howard Schaffer, un ancien ambassadeur américain expérimenté, l’a écrit dans un ouvrage récent, à un certain point, l’administration de John F. Kennedy a vu le danger d’ennuyer l’Inde en faisant pression contre elle sur le Cachemire, de peur que Delhi ne se tourne vers Pékin pour une normalisation des relations.

Mais, mis à part les analogies historiques, le processus de dialogue naissant entre l’Inde et le Pakistan qui a démarré à Delhi jeudi dernier se poursuivra probablement. Il semble raisonnable d’estimer qu’en dépit des jusqu’au-boutistes qui existent dans les deux pays, Delhi et Islamabad réaliseront l’utilité d’un processus de dialogue progressif.

Le Premier ministre indien, Manmohan Singh, est un ardent défenseur d’une transformation de la relation antagoniste indo-pakistanaise, sur des lignes similaires à celles de la concorde historique franco-allemande des années 50. Mais il y a également un peu de confusion, jusqu’à présent, alors que l’establishment indien de la sécurité ne semble pas partager sa vision et s’adonne souvent à des passe-temps idiots, consistant à poser des traquenards le long du chemin de la normalisation indo-pakistanaise.

Les Premiers ministres indien et pakistanais vont sûrement se revoir lors du sommet des 28 et 29 avril sur l’Association de l’Asie du Sud pour la Coopération Régionale, à Thimphu, la capitale du Bhoutan.

La secrétaire indienne aux affaires étrangères, Nirupama Rao, a révélé que Bashir l’avait invitée à se rendre à Islamabad pour la prochaine série de pourparlers. Programmeront-ils une session fin mars ou début avril ?

M K Bhadrakumar a servi en tant que diplomate de carrière dans les services extérieurs indiens pendant plus de 29 ans. Ses affectations incluent l'Union Sovétique, la Corée du Sud, le Sri Lanka, l'Allemagne, l'Afghanistan, le Pakistan, l'Ouzbékistan, le Koweït et la Turquie.

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