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Le repère des “bears”

Le W devient plus nonchalant

Par Martin Hutchinson
Asia Times Online, 16 septembre 2009

article original : "The W is getting lazier"


L’optimisme jaillit de partout. La bourse américaine a repris 50% depuis mars dernier et les experts discutent à présent du temps que cela prendra pour retrouver les niveaux de 2007. L’économie semble se redresser gentiment et l’administration de Barack Obama essaye d’en revendiquer le mérite, grâce à son « plan de stimulation ». L’immobilier d’habitation est sorti du gouffre et même la Grande-Bretagne montre une sorte de rebond. N’était-ce en fin de compte qu’un simple cauchemar ?

Non. Et le pire est à venir.

Dans un précédent article, j’exprimais le point de vue selon lequel cette récession prendrait la forme d’un « W ». Pourtant, même parmi les pessimistes, ce point de vue n’était pas dans l’air du temps : les perspectives pessimistes normales militaient en faveur d’un simple « U », avec un rétablissement très lent. Au début de l’année, nombre de commentateurs spéculaient pour savoir si la récession pouvait s’aggraver jusqu’à devenir équivalente à la Grande Dépression, avec une chute de 25% du PIB [américain]. J’ai toujours pensé que c’était peu probable, ne serait-ce que parce que la Grande Dépression fut la conséquence d’une chaîne stupéfiante d’incompétences politiques, ayant peu de chance de se répéter. J’ai donc prédit une chute de 5% du PIB, entre les extrêmes, pire que les autres récessions d’après-guerre, mais en rien comparable avec la Grande Dépression. Dans cette épreuve, la chute du PIB a été jusqu’à maintenant légèrement inférieure à 4%. Certes, c’est la pire récession depuis la Seconde Guerre Mondiale, mais seulement d’un chouïa.

La modique erreur de ma prévision est peut-être due aux effets du plan de stimulation de 787 milliards de dollars du Président Obama, voté en février et entré partiellement en vigueur à la fin du printemps, qui commencent à se faire sentir. Il est certain que l’administration Obama aimerait que tout le monde pense ainsi. Toutefois, les bénéfices de cet arrosage de dépense publique dans l’économie apparaissent plus rapidement que ses coûts. Il serait donc prématuré de s’en réjouir.

Lorsque l’on observe la situation actuelle, nombre d’anomalies sont visibles. Pour commencer, l’énergie, les matières premières et les métaux précieux ont systématiquement augmenté, comme si nous étions au milieu d’un boom économique fulgurant ou d’une inflation galopante. Le rendement des bons du Trésor, après avoir quelque peu augmenté comme on pouvait s’y attendre, sont redescendus et se trouvent à un niveau extraordinairement bas par rapport à l’inflation actuelle qui est d’environ 2% - voire une prévision d’inflation raisonnable significativement plus élevée que cela.

Ensuite, la hausse de la bourse a été dans l’ensemble trop vigoureuse. On pouvait s’attendre à un rebond depuis début mars lorsque l’économie a touché le fond, mais la hausse de 50% que nous avons vue est anormale et a renvoyé les actions en territoire surévalué. Nous ne sommes pas en 1933 et, au plus bas, la bourse de notre époque n’était pas aux niveaux de 1932, seulement à une estimation conservatrice de sa juste valeur.

En se basant sur le cours des actions de début 1995, lorsque l’économie était approximativement à l’équilibre, on aurait pu s’attendre à ce que le Dow Jones passe de 4.000 points à ce moment-là pour atteindre environ 7.800 points – en ligne avec le PIB nominal. A ce stade, la bourse aurait été évaluée, du point de vue de l’économie, de façon équivalente à son niveau de début 1995. Cependant, début 1995 nous étions déjà depuis quatre ans dans le long boom économique des années 90 et la bourse était pratiquement 50% au-dessus de ce qui semblait être un pic raisonnable en 1987. Donc, avec un Dow Jones au-dessus de 9.500, la bourse semble nettement surévaluée par rapport aux perspectives douteuses de l’économie américaine d’aujourd’hui.

Avec les prix des matières premières qui se comportent comme si nous étions encore en 2007, avec des actions surévaluées et des rendements de bons du trésor extraordinairement bas, il devrait être clair que le poison de l’excès monétaire des années 1995-2007 n’a pas été éradiqué, loin s’en faut. Lorsque l’on ajoute les déficits fédéraux record, dont nous ne connaissons pas les effets à long terme, il devient clair que nous devrons passer par une nouvelle crise du crédit, avec une disponibilité financière serrée et des taux d’intérêt beaucoup plus élevés qu’à l’heure actuelle, avant que l’économie puisse connaître un rétablissement sain.

Sans une telle crise, le cours du brut continuera de croître inexorablement pour atteindre 200 dollars le baril d’ici un an, ce qui aurait certainement un effet des plus déplaisants sur l’économie, simultanément déflationniste pour l’activité économique et inflationniste pour le coût de la vie. (La théorie selon laquelle il ne peut y avoir simultanément une récession et de l’inflation est insensée et réfutée par l’expérience de tous ceux en Grande-Bretagne ou Etats-Unis qui ont plus de 45 ans).

Paradoxalement et par conséquent, plus le rebond actuel durera et sera vigoureux, plus le retournement qui suivra sera déplaisant. Au fur et à mesure que la pointe du milieu du « W » grandit, même si elle implique un peu de regain de la dépense des consommateurs américains, les déséquilibres de l’expansion monétaire et budgétaire excessive deviennent plus extrêmes et la crise qui en résultera n’en sera que plus méchante.

Si les actions, les obligations et les matières premières rebondissent pendant encore environ un mois, tout au plus, alors le « W » pourrait n’être que moyennement « nonchalant », avec une deuxième jambe légèrement en dessous du point bas établi à la fin du printemps. Cependant, puisque la Réserve Fédérale et l’administration [américaine] sont toutes deux déterminées à poursuivre leur politique de « stimulation », il est plus probable que le rebond continuera pendant 6 ou 12 mois supplémentaires, avec la bourse qui retournera vers ses niveaux de 2007, supprimant l’effet de crise du crédit, poussant le cours du baril au-dessus de 100 dollars et envoyant l’once d’or au-dessus de 1.500 dollars.

Dans ce cas, d’ici le printemps prochain, l’inflation tournera autour de 5%. Les haussiers glousseront que la récession est finie et seront tenter d’ignorer les cours excessifs des actions, des matières premières et des obligations (avec des rendements réels pour les bons à 10 ans qui seront alors négatifs), mais le marché ne leur permettra pas de rester « bull » trop longtemps.

Le rebond se terminera de l’une des trois façons suivantes. La moins probable est que le président de la FED Ben Bernanke et l’administration [Obama] retrouvent leur raison et commencent à supprimer la stimulation monétaire et budgétaire excessive. Ils n’oseront pas en supprimer beaucoup, mais même le début d’un retrait [du plan de stimulation] provoquera la panique sur les marchés financiers trop étendus. Etant donné que les politiciens en général et Bernanke en particulier sont par-dessus tout déterminés à éviter les reproches, il est improbable qu’ils choisissent ce cap, qui laisserait leurs empreintes digitales trop visibles sur les désagréments qui s’ensuivraient.

La deuxième possibilité, comme j’en ai discuté la semaine dernière, est une grève du marché obligataire, dans laquelle les rendements montent en flèche et le marché refuse d’absorber les montants toujours plus élevés des confettis du Trésor que le Secrétaire au Trésor Timothy Geithner essaye d’écouler. Dans cette éventualité, la FED interviendrait très certainement pour acheter les bons du Trésor, intensifiant de fait la stimulation monétaire.

Cela amènerait alors le troisième dénouement possible, dans lequel une inflation s’accélérant rapidement et les prix des matières premières augmentant très vite provoqueraient l’effondrement de la demande réelle, plongeant les Etats-Unis dans une récession renouvelée. Ce processus prendra probablement plus longtemps que les autres, peut-être un an. A ce stade, la FED sera également obligée de cesser d’acheter les bons du Trésor sous peine de voir les Etats-Unis glisser dans la situation de la République de Weimar en 1923, avec des brouettes pour transporter l’argent des courses.

Etant donné que le choix du déclencheur est actuellement incertain, la forme précise de la deuxième jambe du W est également incertaine. Toutefois, nous pouvons être sûrs que cela impliquera une dépression plus profonde que ce que nous avons vu jusqu’à maintenant, de telle façon que la forme du « W » est parfaitement nonchalante – ou ainsi que je l’ai entendu formulé ailleurs, il prendrait la forme du symbole de la racine carrée. Cette nouvelle dépression s’accompagnera également d’une poussée de l’inflation et de taux d’intérêt beaucoup plus élevés. Ces derniers devraient toutefois être bien accueillis, puisque qu’ils apporteront au moins les vrais rendements à l’épargne que l’on n’aurait jamais dû laisser disparaître dans une économie civilisée, comme ce fut le cas au cours des dix dernières années.

L’analyse ci-dessus a traité de l’économie des Etats-Unis comme si elle était une entité isolée, mais évidemment, ce n’est absolument pas le cas. Sur le plan international, le cheminement économique futur variera. Certains pays, comme l’Allemagne, le Brésil et le Chili, ont évité une stimulation monétaire et fiscale excessive et verront donc des rebonds assez vigoureux pour sortir d’une récession relativement courte, avec peu de résurgence de l’inflation. (Le Brésil souffrira sur le long terme à cause de sa politique pétrolière malavisée, mais c’est une autre histoire.) La trajectoire du Japon dépendra du nouveau gouvernement du PDJ [Parti Démocratique du Japon], s’il est fiscalement décemment discipliné ou non ; son approche consistant à déplacer les ressources d’infrastructure vers les consommateurs des classes moyennes est sensée, mais il a besoin de supprimer plus de ressources qu’il n’en injecte, puisque la position budgétaire du Japon vacille au bord du désastre.

A l’extrême opposé, l’économie britannique est [encore] plus dénaturée que celle des Etats-Unis parce que ses plans de stimulation budgétaire et monétaire sont [encore] plus extrêmes, avec la Banque d’Angleterre qui achète d’énormes quantités de dette du gouvernement. L’immobilier d’habitation a déjà rebondi, de 8% à Londres ces derniers mois, ce qui n’a aucun sens sur le plan économique puisque les logements londoniens sont largement trop chers. Cela signifie très certainement [pour la Grande-Bretagne] une « racine carrée » de sévérité considérable, avec le deuxième retournement qui sera bien pire que le premier et qui s’accompagnera d’une inflation rapide, avec les vestiges de la City qui décamperont à l’étranger pour éviter la montée en flèche des impôts.

Pour l’Inde, c’est évident : ce pays rencontre déjà une crise de la balance des paiements qui marquera la fin de la croissance économique pendant un certain temps. Pour la Chine, c’est extrêmement obscur : on ne peut pas croire qu’il n’y aura pas de krach bancaire d’une énorme magnitude, mais ce pays a réussi à en éviter un depuis 30 ans et pourrait à nouveau y parvenir d’une manière ou d’une autre.

Il pourrait y avoir encore des profits à réaliser avec les actions et les matières premières dans les prochains mois. Profitez-en, parce que la deuxième jambe du « W » sera vraiment déplaisante !

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]