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économie

Surexposée

Par Richard Daughty, alias le “Gourou Mogambo”
Asia Time Online, publié le 22 août 2009

article original : "Over-exposed"


Voici comment le magazine The Economist a intitulé le blog « Buttonwood »[1] : « La loi de l’argent facile ». L’effet immédiat a été de faire monter l’espoir que l’ « argent facile » existe. S’il existe réellement (il suffit de poser la question à Chris Dodd, le Sénateur du Connecticut !)[2], il n’existe malheureusement pas pour des gens comme vous et moi, qui ne disposons pas du pouvoir politique et du graissage de pattes pour extorquer de l’argent et plumer les contribuables. C’est, j’en conviens, scandaleusement gratuit et parfaitement impoli, mais cela me permet de montrer le mépris que j’éprouve à l’égard de l’énorme système, stupide, ignorant et dangereusement incompétent, des gouvernements américains, comme l’illustrent ce Congrès méprisable et l’encore plus méprisable Sénateur Dodd.

Mais il s’avère que la « Loi de l’argent facile » n’est qu’un jeu de mots élégant. Cette histoire raconte comment John Law[3] persuada le Roi de France, Louis XIV, à le laisser démarrer une banque et à obliger tout le monde à payer ses impôts avec une nouvelle sorte de papier-monnaie. Bien entendu, c’est la banque de M. Law qui imprimerait ce papier-monnaie. Il faut dire que Louis XIV avait accumulé d’énormes dettes et qu’il avait mis la France en faillite. Assez vite, après avoir emprunté à tour de bras des quantités énormes de papier-monnaie pour financer le développement de ses colonies dans le Nouveau Monde, un fiasco, connu sous le nom de bulle du Mississipi, s’ensuivit. A la suite de cette bulle économique, tout le monde fut financièrement nettoyé, la France fut ruinée et les aristocrates finirent par être décapités ; ce qui, j’en suis sûr, ne figurait dans le prospectus que M. Law avait donné au Roi.

Toutefois, cet essai publié sur le blog Buttonwood ne dit pas à quel point les Français du 18ème siècle étaient une bande de trous du cul qui n’avaient pas la science infuse. Il ne dit pas non plus à quel point NOUS [les Américains] sommes une bande trous du cul encore bien pires, alors qu’au 20ème siècle nous aurions dû mieux savoir et que nous n’avons pas fait mieux. Je suggère un sous-titre pour cet essai : « Un exemple de quantitative easing sur 300 ans »[4].

Bien entendu, si l’on vous a forcés, au lycée, à lire Le Conte de deux cités [Paris et Londres en 1793], tout ce que vous aurez retenu est qu’il débute par cette réplique immorale : « C’était la meilleure des époques et c’était la pire des époques ». Et, si vous avez jamais vu un film à la télé sur la Révolution Française, vous savez que ça s’est très mal terminé.

Le blog dont il est question admet que « les parallèles avec aujourd’hui ne sont pas exacts ». C’est vrai en ce sens qu’au ministère des « chemises à jabot et des chapeaux à plumes » on ne s’habille plus aussi bien. Il s’agit d’un fait vestimentaire édifiant qui n’est pas mentionné. Toutefois, deux différences entre les deux époques sont bien mentionnées : que « cela a pris quatre ans au système de Law pour s’effondrer, alors que le régime actuel de monnaie fiduciaire dure depuis près de 40 ans » et que « la croissance de l’offre monétaire, cette fois-ci, a été excessive ».

A moins de s’en réjouir, il y a une conclusion qu’il faut prendre au sérieux : « Mais une leçon de la lamentable histoire de Law persiste : Les tentatives pour maintenir le prix des actifs au-dessus de leur valeur fondamentale sont toujours condamnées à l’échec. »

Et, pareillement, il faut s’attendre [aux Etats-Unis] à de graves défaillances. Un article du Wall Street Journal disait ceci : « A leur grand désarroi, les Américains ont appris l’année dernière qu’ils étaient devenus les ‘propriétaires’ de Fannie Mae et de Freddy Mac[5]. Eh bien, leur cousine Ginnie Mae (l’Association Gouvernementale des Hypothèques Nationales – Government National Mortgage Association) devrait bientôt les rejoindre comme empaqueteuse à mille milliards de dollars de prêts hypothécaires à risque. » Un trillion de dollars !

Au cas où vous ne le sauriez pas, « la mission de Ginnie consiste à conditionner, à garantir et à vendre des prêts hypothécaires assurés par la FHA [la Federal Housing Administration - l’administration fédérale au logement], la boutique de prêts hypothécaires d’Oncle Sam. La croissance de Ginnie dérive de la croissance spectaculaire de la FHA. Ginnie assure actuellement les prêts hypothécaires à hauteur de 60 milliards de dollars – quatre fois plus qu’en 2006. »

Cette escroquerie est désormais devenue si gigantesque qu’ « entre la FHA, Ginnie, Fannie et Freddy, presque neuf nouveaux prêts hypothécaires sur dix en Amérique portent la garantie du contribuable américain ! » Aïe ! 90% des prêts hypothécaires !

Ceci explique probablement pourquoi « Ginnie a annoncé, la semaine dernière, que le total des titres adossés à des prêts hypothécaires qu’elle avait émis en juin s’élevait à un record mensuel de 43 milliards de dollars ». Chiffre époustouflant quand on multiplie par douze ces 43 milliards mensuels. Je vous suggère de ne pas faire cette multiplication, au risque de succomber à une crise cardiaque.

L’information, selon laquelle « l’exposition de Ginnie Mae aux prêts hypothécaires devrait dépasser 1 trillion de dollars d’ici la fin de l’année prochaine » – soit beaucoup plus que le double de la somme détenue en 2007 – n’est pas étonnante.

Et tout cet argent, tous ces trillions de dollars de nouvelle monnaie, doit provenir, directement ou indirectement, de la Réserve Fédérale qui le crée, ce qui veut dire qu’une part importante de cet argent nouvellement créé est injectée massivement dans l’économie. Ceux qui nous gouvernent sont donc une bande de salauds agissant de façon idiote et irresponsable. Ce sont doublement des crétins irresponsables, un, parce qu’ils ont laissé la Réserve Fédérale le faire et, deux, parce que l’histoire a montré que la seule chose qui puisse sauver votre cul de prolétaire de l’effondrement inévitable est l’or.

Quant à l’utilité d’avoir un blockhaus dans son jardin ou à l’efficacité de disposer d’une énorme puissance de feu pour repousser les assauts nourris de hordes de désespérés affamés et en colère, l’histoire n’est pas aussi convaincante. Non seulement les gens n’ont décidément « plus rien à perdre », mais ils sont scandalisés d’avoir été trahis, alors qu’ils avaient confiance en la valeur du dollar. Ils en veulent tout particulièrement à la Réserve Fédérale qui était censée maintenir leur pouvoir d’achat au moyen de la politique monétaire, ainsi qu’au Congrès des Etats-Unis, auquel ils faisaient confiance pour mettre en place avec sagesse la politique fiscale et qui avait le pouvoir de contrôler la façon dont la Réserve Fédérale s’occupait de la politique monétaire. On va voir ce que l’on va voir !

Au moins, il existe un refuge et une sécurité : l’or !

Richard Daughty est associé-gérant et directeur général de Smith Consultant Group, qui propose ses services à la fois au secteur financier et au secteur médical. Il édite la lettre d’information économique du “Gourou Mogambo” – un exercice extra-professionnel consistant à couvrir d’irrespect ceux qui le méritent terriblement.

(Copyright 2009 - Asia Times Online Ltd, traduction JFG-QuestionsCritiques. All rights reserved.)

Notes :
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[1] L'accord de Buttonwood – du nom du sycomore (buttonwood en anglais), situé à l'emplacement de l'actuel numéro 68 sur Wall Street, sous lequel les traders et les spéculateurs se rassemblaient pour commercer – fut signé le 17 mai 1792 par vingt-quatre traders new-yorkais, marquant la naissance de la bourse de Wall Street. (source : Wikipedia)

[2] Christopher John Dodd (né en 1944), est un homme politique américain, sénateur démocrate du Connecticut depuis 1981. Président de la Commission Bancaire et Monétaire du Sénat américain, il a proposé un amendement pour exempter d’impôt les bonis payés par AIG. Cet amendement a été voté et a désormais force de loi. Dodd, dont la proximité avec Wall Street n’est plus à démontrer, a levé des sommes très importantes auprès des banquiers et de certaines grosses entreprises américaines, pour sa campagne dans les primaires démocrates de 2008.

[3] Jean ou John Law de Lauriston (21 avril 1671, Édimbourg - 21 mars 1729, Venise) est un aventurier, banquier et économiste écossais — Au 18ème siècle, le nom de ce banquier se prononçait Lass, en français et en écossais, car le "w" était confondu avec deux "s". Il fut ministre des finances du royaume de France qui lui doit l'introduction du billet de banque. Son idée économique est que l'argent est un moyen d'échange et ne constitue pas une richesse en soi. La richesse nationale dépend du commerce. Il est le père de la finance et de l'utilisation du papier-monnaie à la place du métal et des factures.

[4] Le quantitative easing est le programme par lequel la Réserve Fédérale rachète des actifs toxiques aux banques et des Bons du Trésor afin d’injecter des liquidités dans le système financier. Ces liquidités sont essentiellement placées entre les mains des spéculateurs de Wall Street et non pas dans l’économie réelle.

[5] La FNMA [Federal Mortgage Association], connue sous le nom de Fannie Mae, est une entreprise à capitaux privés, agréée par le Congrès des Etats-Unis en 1968 comme entreprise soutenue financièrement par le gouvernement fédéral. La FNMA avait été créée en 1938, durant la Grande Dépression. L’objectif de cette société est d’acheter et de titriser les prêts hypothécaires afin d’assurer une disponibilité constante de fonds aux institutions qui accordent les prêts immobiliers.

La FHLMC [Federal Home Loan Mortgage Corporation], connue sous le nom de Freddy Mac, est une société par actions créée par le gouvernement fédéral américain, dans le but d'augmenter la taille du marché des prêts hypothécaires. Freddie Mac achète des hypothèques sur le marché des prêts hypothécaires de première main, les assemble et les revend à des investisseurs sur le marché mondial.

En 2008, Fannie Mae et Freddie Mac possédaient ou garantissaient des hypothèques provenant du marché américain (évalué à quelques 12.000 milliards de dollars), à hauteur de 5.200 milliards de dollars. En conséquence, ces deux sociétés ont été durement frappées par la crise des subprimes, survenue à la mi-2007. Bien que Freddie Mac ne soit pas soutenu ou financé par le gouvernement fédéral américain et que sa pérennité ne soit pas légalement garantie par ce même gouvernement, beaucoup de gens œuvrant dans le secteur de la finance estiment que cette société est trop grosse pour que l’État la laisse faire faillite. Cette croyance a été validée le 26 juillet 2008 lorsque le gouvernement fédéral est intervenu pour empêcher sa faillite. Pour cette raison, les marchés financiers évaluent cette société en tenant implicitement compte d'une garantie gouvernementale.