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Le candidat indonésien

par Muhammad Cohen
20 février 2008, Asia Times Online

article original : "The Indonesian candidate"

HONG KONG - Barack Obama a connu une bonne passe cette semaine, en remportant l'Etat où il est né, Hawaï. Lors du Super Mardi, Obama a remporté l'Etat où il habite actuellement, l'Illinois. Un peu plus tôt, ce jour-là, il avait remporté 75% des voix dans un autre endroit qu'il a appelé "maison" pendant quatre ans, Jakarta.

La candidature d'Obama a généré de l'excitation en Indonésie au sein de la population autochtone, de même que parmi les Américains expatriés.

"Pour être honnête, cela nous nous fait assez plaisir", a déclaré le journaliste Wimar Witoelar. "Nous trouvons qu'il est difficile pour nous de produire de grands dirigeants, alors ce sera génial de produire un président des Etats-Unis d'Amérique. J'espère qu'il invitera un Indonésien à son investiture et j'espère que ce sera moi".

L'excitation parmi les Indonésiens n'a pas grand chose à voir avec son positionnement et beaucoup à voir avec une personne qui a vécu parmi eux est qui est un concurrent sérieux dans la course présidentielle. C'est ce que dit Arian Ardie, le président des Démocrates de l'Etranger à Jakarta.

"L'excitation ne vient pas tellement de sa politique ou de ses projets, mais parce qu'il a connu l'Indonésie, il a vécu ici. C'est un lien fort pour [les Indonésiens] et cela constituera un avantage pour renforcer un peu plus les relations bilatérales".

Quelques Jakartiens pensent qu'Oncle Sam encaissera directement de gros bénéfices si le sénateur multiracial de l'Illinois - son père est kenyan, et sa mère américaine s'est remariée plus tard en Indonésie - remporte la présidence.

"Cela accroîtrait immédiatement le taux de popularité de l'Amérique", a déclaré Witoelar, qui était le porte-parole présidentiel d'Abdurrahman Wahid, le premier dirigeant d'Indonésie librement choisi dans l'ère post-Suharto. "Les années de George W. Bush ne sembleront plus qu'avoir été un mauvais rêve. Cela réaffirmera notre foi selon laquelle l'Amérique est la terre d'un grand peuple et de grandes idées".

Selon le journaliste de télévision, Dalton Tanonaka, un natif d'Hawaï, qui a fait campagne pour le gouvernorat là-bas sous les couleurs républicaines et qui a travaillé à Hong Kong et à Tokyo avant de s'installer à Jakarta en 2006, cette réaction se propagera bien au-delà de l'Indonésie. "Je pense que le temps est parfait pour un président qui a vécu pendant un temps à l'extérieur des Etats-Unis, quelqu'un qui a été élevé dans une majorité non-blanche", a dit Tanonaka. "Cela soulagerait les angoisses d'un grand nombre de personnes dans le monde".

S'il est élu président, le passé d'Obama contribuera à stimuler sa crédibilité dans beaucoup de ses relations internationales, tout en lui donnant un grand sens de la mesure, soutient un homme d'affaire de Jakarta, ainsi que le New-yorkais Chris Purdy.

"Je crois qu'ayant vécu en Indonésie, un pays différent avec la plus grande population musulmane du monde, Obama aura une certaine crédibilité auprès de nombreux dirigeants internationaux - y compris musulmans - dans le monde entier. Le fait qu'il ait vécu en Indonésie contribuera, je le pense, à sa capacité de voir les problèmes sous un angle différent, qu'il écoutera et comprendra les gens qui sont différents et qu'il établira des relations pour résoudre les problèmes communs".

Même si son exposition en Indonésie a eu lieu dans sa petite enfance, elle pourrait bénéficier à l'emprise d'Obama sur le monde, soutient Ardie, des Démocrates à l'étranger. "Toute expérience internationale est bonne pour un candidat présidentiel," dit Ardie. "Les Etats-Unis font partie d'une économie et d'une société globales. Comprendre comment les choses fonctionnent hors des Etats-Unis, et peut-être aussi comment elles ne marchent pas, aidera tout président à être un meilleur dirigeant".

Ardie, né aux Etats-Unis et qui a été muté en Indonésie où est né son père, pourrait bien projeter un peu de son propre passé lorsqu'il dit d'Obama : "Même si le Sénateur Obama était jeune lorsqu'il a vécu en Indonésie, ce qu'il y a vu, ce qu'il y a connu, a façonné la conception de la vie qu'il a eue plus tard. Cela lui a donné la compréhension de l'extrême pauvreté qui existe dans beaucoup de partie du monde. Cela lui a donné une meilleure compréhension sur la manière dont les autres perçoivent les Américains et ce que signifie être un Américain".

Jakarta servira de coup d'envoi pour l'ouverture de la primaire mondiale par les Démocrates de l'Etranger. Il est estimé que 2,5 millions de Démocrates vivant à l'étranger auront 11 voix de délégués pour choisir le candidat démocrate. L'événement indonésien a reçu l'aide de la sœur d'Obama, Maya Soetoro-Ng, ancienne élève, comme Ardie, de l'Ecole Internationale de Jakarta.

La poésie dans la diversité

Le poète et écrivain indonésien primé, Laksmi Pamuntjak, voit un impact supplémentaire avec le fait qu'Obama ait passé du temps dans un pays dont la devise est "L'Unité dans la Diversité".

"Ayant vécu en Indonésie, cela l'aura pour le moins mis au courant de l'idée de vivre avec une différence, puisque l'Indonésie elle-même, une invention moderne du 20ème siècle pour toutes sortes de raisons et d'objectifs, est faite de quelques 17.000 îles, quelques 450 langues, qu'elle est continuellement en changement et jamais la 'même' chose - quelque chose, selon les mots d'un ami, comme une mosaïque de matériaux vieux/neufs, ici/là-bas, haute technologie/nouvelle technologie et toujours avec un sens du bricolage.

"Le jeune Obama aura probablement eu un avant-goût des vacillements, des ambiguïtés et des imperfections d'un tel endroit, mais aussi de la richesse des points de vue et des interprétations, de la lutte avec l'histoire et le sens de l'espoir qui provient, comme c'est le cas des jeunes nations, de recommencer soi-même de zéro".

Ati Kisjanto connaît un camarade de classe de "Barry" à l'école centrale Besuki de Jakarta, où Obama est allé au tout début en Indonésie. Kisjanto, un Indonésien chrétien, réfute les reportages, selon lesquels Besuki était une madrasa musulmane, comme étant "non fondés. Nous sommes allés dans une école très modérée qui accueillait les Chrétiens et les Musulmans". La mosquée qui se trouve maintenant sur le terrain de l'école a été construite longtemps après que Barry et Ati l'ont quittée.

"En vivant en Indonésie, en particulier dans une famille et un environnement indonésiens, il s'est mélangé aux autochtones, au lieu de vivre dans une forteresse exclusive comme la plupart des expatriés aujourd'hui en Indonésie - cela a enrichi sa façon de voir à quel point le monde consiste vraiment à plus d'une seule race, d'une seule culture, d'une seule croyance et d'un seul idéalisme", a dit Kisjanto.

Pas aussi manipulateur

Faisant une comparaison indirecte avec Paul Wolfowitz, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Indonésie et architecte de l'invasion de l'Irak, Kisjanto a déclaré qu'Obama "utilisera son passé et sa compréhension des autres cultures d'une manière positive, plutôt que manipulatrice comme d'autres personnalités américaines de premier plan qui ont été en Indonésie".

Ce n'est que ces derniers mois qu'Obama est devenu un nom connu dans les foyers aux Etats-Unis, pourtant il est déjà à peine moins connu en Indonésie.

"Le premier point qui est frappant est combien d'Indonésiens savent même qui est Obama", a dit Purdy. "Il est très connu et, ayant vécu ici, il a gagné une place spéciale dans le cœur de la plupart des Indonésiens. Ils aiment le fait que son beau-père fût indonésien, que sa demi-sœur soit indonésienne. Il y a certainement une affinité culturelle à cause de l'expérience d'Obama".

Quand même, peu de personnes en Indonésie ont quelque idée que ce soit sur les positions d'Obama, fait remarquer une féministe indonésienne qui vit désormais aux Etats-Unis. Elle craint qu'il puisse contribuer au mauvais camp de la lutte en Indonésie entre l'Islamisme et le pluralisme. "Le fait qu'Obama ait un patrimoine culturel musulman et qu'il la joue modérée sur les questions de sécurité ne nous donne pas confiance qu'il sera efficace et fort pour combattre l'extrémisme en Indonésie et dans le monde entier".

En comparaison, Hillary Clinton, la rivale démocrate d'Obama pour la présidentielle, "s'est engagée dans le mouvement des femmes et a travaillé dur avec nous sur cette question. Nous pensons qu'elle aidera plus efficacement les femmes dans les pays musulmans et qu'elle aura les tripes pour affronter les fondamentalistes qui font beaucoup d'efforts pour nous recouvrir partout dans le monde, même aux Etats-Unis.

"Franchement, je ne crois pas qu'Obama ait appris quoi que ce soit de l'Indonésie", a déclaré cette féministe, qui a demandé que son nom ne soit pas cité. "Il n'a jamais mentionné l'Indonésie dans ses interviews ou son patrimoine culturel musulman. Il est fier de son patrimoine culturel afro-américain, mais ne parle jamais de l'Indonésie".

Le site internet d'Obama consacre des milliers de mots pour contrer les affirmations selon lesquelles il serait en fait musulman, des accusations qui peuvent jouer en partie dans sa réticence à se référer à son expérience indonésienne.

"Il est triste qu'avoir été le témoin d'autres cultures et religions puisse être une arme potentielle contre un candidat", se lamente Ardie des Démocrates à l'Etrangers. Il rappelle aux électeurs : "Certains des meilleurs présidents ont vécu à l'étranger".

L'ancien producteur d'informations télévisées Muhammad Cohen a raconté l'histoire de l'Amérique au monde en tant que diplomate de l'Agence de l'Information des Etats-Unis. Il est aussi écrivain.

(Copyright 2008 John Feffer / Tomdispatch / traduction : [JFG-QuestionsCritiques])