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Pakistan

Au revoir l'Amérique, bonjour al-Qaeda !

par Syed Saleem Shahzad

8 septembre 2006, Asia Times Online "Pakistan: Hello al-Qaeda, goodbye America"

MIRANSHAH, Waziristân septentrional — Avec une trêve entre les Taliban pakistanais et Islamabad qui est désormais en place, le gouvernement pakistanais inverse, en fait, sa position d'avant le 11 septembre. Auparavant, il avait fermé les yeux sur les groupes partisans de la lutte armée alliés d'al-Qaïda, aujourd'hui, il s'est clairement rangé du côté des Taliban afghans.

Tandis que cette trêve a généré beaucoup d'attention, c'est l'accord en sous-main entre des éléments d'Al-Qaïda et le Pakistan qui en constitue le développement le plus significatif. Selon cet accord, les personnes-clés d'al-Qaïda, soit ne seront pas arrêtées, soit celles qui sont déjà en détention seront libérées. Le potentiel est donc là pour que les relations entre Islamabad et Washington se dégradent au-delà d'un point de non-retour.

Mardi, le Pakistan a accepté de retirer ses forces des zones tribales rétives du Waziristân, qui bordent l'Afghanistan, en échange de la promesse des chefs tribaux de mettre un terme aux attaques des Taliban pakistanais de l'autre côté de la frontière.

La plupart des reportages ont dit que la pierre d'achoppement dans la signature de cette trêve avait été la libération des membres tribaux détenus au Pakistan. Mais la plupart de ces derniers avaient déjà été libérés.

Le problème principal — et l'un de ceux qui n'ont pas été rapportés — était de faire en sorte que les autorités pakistanaises continuent de laisser tranquilles les membres des organisations militantes interdites liées avec al-Qaeda.

Ainsi, par exemple, il est désormais convenu entre les partisans de la lutte armée et Islamabad que le Pakistan n'arrêtera pas deux hommes bien placés sur la liste des "personnes les plus recherchées". Dans cette liste, on retrouve Oussama ben Laden, Ayman al-Zawahiri, son adjoint, et le dirigeant Taliban, le Mollah Omar.

Saud Memon et Ibrahim Choto sont les deux seuls Pakistanais de cette liste et on les laissera tranquilles. Saud Memon était le propriétaire du local, à Karachi, où le journaliste étasunien Daniel Pearl fut torturé, exécuté et enterré en janvier 2002, après avoir été kidnappé par des Djihadistes.

Le Pakistan a aussi accepté qu'un grand nombre des personnes arrêtées par les agences de maintien de l'ordre au Pakistan soient libérées de prison.

L'important, c'est que Ghulam Mustafa, détenu par les autorités pakistanaises depuis la fin de l'année dernière, en fasse partie. Mustafa est considéré comme le chef d'al-Qaeda au Pakistan. (Voir : L'homme d'al-Qaïda qui en sait trop, Asia Times Online du 5 janvier 2006. Ainsi que cet article le prédisait, Mustafa a vraiment disparu dans un "trou noir", il ne fut jamais officiellement accusé et encore moins remis aux Etats-Unis).

Les contacts d'Asia Times Online s'attendent à ce que Mustafa soit libéré dans les tout prochains jours. À un moment, il était proche de ben Laden. Il a une connaissance approfondie de la logistique d'al-Qaeda, de son financement et de ses liens avec l'armée pakistanaise.

Des partisans de la lutte armée en liberté

"À présent elles [les autorités pakistanaises] nous ont acceptés comme les véritables représentants des Moudjahidin", a déclaré Wazir Khan à Asia Times Online, lors d'une congrégation religieuse à Miranshah. "Désormais, non seulement nous ne sommes plus des criminels, mais nous faisons partie intégrante de chaque accord. Même les autorités ont donné leur accord tacite sur le fait qu'elles ne verraient aucune objection à ce que moi-même et d'autres camarades, qui faisions partie des personnes recherchées, prenions part aux négociations".

À une époque, Wazir Khan était un intermédiaire très en vue entre ben Laden et l'un de ses plus proches contacts au Waziristân. Jusque-là, il était sur la liste des personnes "recherchées". Il peut désormais se déplacer librement. "La situation est diamétralement différente", dit-il.

Sur le plan personnel, les choses ont changé pour Wazir Khan et d'autres comme lui. D'ailleurs, vues de façon plus large, les choses ont aussi diamétralement changé.

Le Pakistan, phare de la guerre des Etats-Unis contre le terrorisme et un "des plus importants" alliés de l'Otan, retourne à l'époque grisante d'avant le 11 septembre, lorsqu'il pouvait flirter sans restriction avec les affaires régionales, et cela, à un moment où l'Afghanistan est en train de bouillir.

"Après le 11 septembre, la situation [au Pakistan] était draconienne", a déclaré à Asia Times Online, sous condition d'anonymat, un militant très important. "Toutes les organisations djihadistes avaient été informées à l'avance comment elles seraient [sévèrement] traitées à l'avenir et qu'elles feraient mieux de construire une stratégie alternative discrète. Mais certaines personnes ne pouvaient pas s'empêcher de s'aventurer inutilement et créèrent des problèmes à l'establishment. Cela donna aux Etats-Unis une occasion d'intervenir au Pakistan et plus de 700 moudjahidin d'al-Qaeda furent arrêtés.

"À présent, la situation a encore changé... nous savons que l'Etat du Pakistan est important pour l'armée pakistanaise, mais nous savons avec certitude que l'armée ne ferait jamais un compromis complet sur l'Islam".

Malgré la promesse du Pakistan, de permettre aux troupes étrangères basées en Afghanistan de pourchasser des personnes dans une zone limitée du Pakistan, qui adouci un peu le coup, la trêve entre Islamabad et les Taliban pakistanais au Waziristân a été une pilule amère pour Washington.

Toutefois, la préoccupation numéro un d'Islamabad est de gagner un peu répit à l'intérieur du pays, et aussi d'obtenir de l'Oncle Sam lui fiche la paix.

La situation au Waziristân était devenue ingérable — c'est déjà virtuellement un Etat séparé — et des troubles ont lieu dans la province rétive du Baloutchistan, surtout depuis l'assassinat du dirigeant nationaliste Nawab Akbar Bougti par les forces de sécurité pakistanaises. Les partis politiques d'opposition, plutôt remontés, ont montré une rare unité dans leur attaque du gouvernement du Général Pervez Musharraf sur cette question.

Redessiner la carte

Un article du commandant américain à la retraite, Ralph Peters, intitulé "frontières de sang" et publié par le Journal des Forces Armées le mois dernier, a fourni au Pakistan de la matière pour réfléchir à la façon de manipuler le jeu géopolitique, selon ses propres termes et conditions.

Peters, auparavant affecté au Bureau du Chef d'Etat-Major Adjoint du Renseignement, où il était responsable des guerres futures, soutient que les frontières au Moyen-Orient et en Afrique sont "les plus arbitraires et les plus faussées" du monde et ont besoin d'être restructurées.

Quatre pays — le Pakistan, l'Irak, l'Arabie Saoudite et la Turquie — sont désignés pour des réajustements majeurs. Le Pakistan et l'Arabie Saoudite sont aussi définis comme des "Etats non-naturels".

Bien que le Département d'Etat des Etats-Unis ait été prompt à réfuter que de telles idées aient quelque chose à voir avec les décisions des Etats-Unis, le Pakistan, l'Arabie Saoudite et la Turquie comprennent à demi-mots que ce sont leurs frontières qui sont visées dans les propos de restructuration.

Parmi les propositions de Peters, on trouve la nécessité d'établir "un Etat kurde indépendant", qui "s'étendrait de Diyarbakir [dans l'Est de la Turquie] jusqu'à Tabriz [en Iran] et qui serait l'Etat le plus pro-occidental entre la Bulgarie et le Japon".

Le Premier ministre pakistanais, Shaukat Aziz, s'est rendu récemment en Turquie et au Liban, où il a annoncé que son pays n'enverrait pas de soldats [au pays du Cèdre]. Ankara a alors dit que si les forces de maintien de la paix essayaient de désarmer le Hezbollah, la Turquie se retirerait de la mission de paix. Ces décisions sont le résultat d'une diplomatie secrète entre l'Arabie Saoudite, la Turquie et le Pakistan.

De l'autre côté de la frontière pakistanaise, en Afghanistan, les Talibans ont le contrôle de la plus grande partie du Sud-Ouest du pays, d'où l'on s'attend à ce que le Mollah Omar annonce le rétablissement de l'Emirat Islamique d'Afghanistan — le nom que portait ce pays avant que les Taliban ne soient chassés en 2001. Une fois que cette proclamation aura été faite, une grande poussée vers Kaboul commencera.

Les bruits des portes de prison qui s'ouvrent au Pakistan se heurteront aux Etats-Unis, tandis qu'Islamabad adoptera une politique étrangère plus indépendante et, de façon cruciale, s'alignera avec les Taliban résurgents en Afghanistan, qui, une fois encore, pourrait devenir un terrain de jeu pakistanais.

Syed Saleem Shahzad est le chef du bureau au Pakistan de l'Asia Times Online.

Traduction : [JFG-Questionscritiques]