accueil > archives > édito


Comment, sous la menace, l'Iran reste calme

Par Pepe Escobar
Asia Time Online, le 2 mai 2008

article original : "How under-the-gun Iran plays it cool"

Il y a plus de deux mois, Seymour Hersh révélait dans le New Yorker que le Président George W. Bush envisageait des frappes nucléaires stratégiques contre l'Iran. Depuis lors, une campagne sans répit, à la Terminator, a été entreprise pour diaboliser ce pays, en utilisant les mêmes techniques et les mêmes contorsions sémantiques, si familières, dans la période précédant le lancement de l'invasion de l'Irak par l'administration Bush.

Les meilleurs slogans de cette campagne sont bien connus : "Les ayatollahs" construisent une bombe nucléaire chiite ; des armes iraniennes tuent des soldats américains en Irak ; et, les canonnières iraniennes provoquent les navires de guerre américains dans le Golfe Persique. Bref, l'Iran est le nouvel al-Qaïda, un Etat terroriste visant le cœur des Etats-Unis. Il est vain d'attendre des médias américains du courant dominant qu'ils proposent des outils pouvant replacer ce blitzkrieg orchestré dans son contexte.

Voici juste quelques exemples récents de la campagne en cours : le Secrétaire à la Défense Robert Gates insiste pour dire que l'Iran "est décidé à acquérir des armes nucléaires". L'Amiral Michael Mullen, qui préside l'état-major interarmées, admet que le Pentagone se prépare pour des "moyens militaires potentiels d'action" en ce qui concerne l'Iran. En tandem avec le commandant en chef des Etats-Unis en Irak, le Général David Petraeus, Mullen dénonce "l'influence létale et de plus en plus maléfique" de l'Iran en Irak, bien qu'il prétende ne nourrir "aucune prévision" d'une attaque contre l'Iran "dans le futur immédiat" et qu'il admette même qu'il n'a "aucune preuve flagrante prouvant que le haut commandement [iranien] soit impliqué".

Mais il faut garder en tête une chose que le Grand renversement de Saddam de 2003 a prouvé : qu'en fin de compte, une "preuve flagrante" est inutile. Et cette semaine, les Etats-Unis ont envoyé de façon menaçante un deuxième groupe de combat aéroporté dans le Golfe Persique.

Mais qu'en est-il de l'Iran, sous cette tempête d'accusations et de menaces ? Qu'en dire ? A quoi ressemble le monde vu de Téhéran ? Voici cinq manières de réfléchir sur un Iran sous pression et de mieux décoder l'échiquier iranien.

1. Il ne faut pas sous-estimer la puissance de l'Islam chiite

75% des réserves mondiales de pétrole se trouvent dans le Golfe Persique. 70% de la population du Golfe est chiite. Le Chiisme est une religion eschatologique - et révolutionnaire -, alimentée par un mélange de romantisme et de désespoir cosmique. Autant qu'un Islam sunnite hégémonique peut instiller la peur, certains Occidentaux devraient ressentir une certaine empathie pour la nausée quasiment sartrienne que les intellectuels chiites éprouvent pour le monde matériel béat.

En fait, pendant plus de 1000 ans, l'Islam chiite a été une galaxie de Chiismes - une sorte de Quatrième Monde à lui tout seul, toujours affligé de l'exclusion politique et d'une marginalisation économique implacable, portant toujours avec lui une vision immensément dramatique de l'Histoire.

Il est impossible de comprendre l'Iran si l'on ne comprend pas la contradiction à laquelle est confronté le leadership religieux pour diriger un État-nation, aussi tendu soit-il. Dans l'esprit des dirigeants religieux iraniens, le concept-même d'État-nation est regardé avec suspicion, parce qu'il détourne de l'umma, la communauté musulmane mondiale. L'État-nation, tel qu'ils le voient, n'est qu'une étape sur la route qui mène au triomphe final du Chiisme et de l'Islam pur.

Toutefois, pour se hasarder au-delà de la phase actuelle de l'Histoire, ils reconnaissent la nécessité de renforcer cet État-nation qui offre un refuge au Chiisme - et c'est, bien sûr, ce qui se passe en Iran. Lorsque le Chiisme finira par triompher, le concept d'État-nation - en tout cas, un héritage de l'Occident - disparaîtra, remplacé par une communauté organisée selon la volonté du Prophète Mahomet.

Croyez-moi, dans le bon contexte, c'est un message puissant ! Je suis devenu brièvement un mashti - un pèlerin visitant une voie chiite privilégiée ouverte vers le Paradis, le Sanctuaire de l'Imam Reza à Machhad, à quatre heures à l'ouest de la frontière irano-afghane. Au couché du soleil, seul étranger perdu au milieu d'une foule pieuse de tchadors noirs et de turbans blancs occupant chaque centimètre-carré de l'immense sanctuaire fortifié, j'ai été secoué par l'émotion. Et je n'étais pas un croyant, juste un simple infidèle.

2. La Géographie est le destin

A chaque fois que je me rends dans la ville sainte de Qom, à la frontière des déserts centraux en Iran, on me rappelle toujours, en termes on ne peut plus directs, que, là où les ayatollahs majeurs sont concernés, leur mission suprême est de convertir le reste de l'Islam à la pureté originelle et à la puissance révolutionnaire du Chiisme - une religion invariablement critique de l'ordre politique et social établi.

Toutefois, même un dirigeant chiite à Téhéran ne peut tout simplement pas vivre uniquement du prêche et de la conversion. Après tout, il se trouve que l'Iran est un État-nation à l'intersection cruciale des mondes arabe, turc, russe et indien. C'est le point de passage clé du Proche-Orient, du Golfe Persique, de l'Asie Centrale, du Caucase et du sous-continent indien. Il s'étend entre trois mers (la Caspienne, le Golfe Persique et la mer d'Oman). Proche de l'Europe et pourtant aux portes de l'Asie (en fait, il fait partie de l'Asie du Sud-Ouest), l'Iran est le dernier carrefour eurasiatique. Ispahan, la troisième plus grande ville d'Iran, est grosso-modo équidistante de Paris et de Shanghai. Il n'est pas étonnant que le vice-président des Etats-Unis, Dick Cheney, "salive comme le chien de Pavlov" (pour citer ces géopoliticiens du rock 'n roll, les Rolling Stones).

Les membres de la classe-moyenne supérieure au nord de Téhéran pourraient tisser le rêve d'un Iran reconquérant l'étendue de l'influence que l'empire perse détenait autrefois. Mais les diplomates soyeux comme les tapis de Qom au ministère des affaires étrangères vous assurerons que ce dont ils rêvent vraiment est d'un Iran respecté en tant que puissance régionale majeure.

A cette fin, ils n'ont pas beaucoup d'autre choix, face à l'hostilité de la "seule superpuissance du globe", que d'employer une politique étrangère sophistiquée de contre-encerclement. Après tout, l'Iran est maintenant complètement encerclé par les bases américaines de l'après-11 septembre, en Afghanistan, en Asie Centrale, en Irak et dans les Etats du Golfe. Il se retrouve face à l'armée des Etats-Unis sur ses frontières avec l'Afghanistan, l'Irak, le Pakistan et le Golfe Persique et il vit avec des sanctions économiques toujours plus rigoureuses, ainsi que sou le roulement de tambour continu des menaces de l'administration Bush impliquant de possibles attaques aériennes sur les installations nucléaires iraniennes (et probablement d'autres).

La contre-offensive iranienne aux sanctions et à sa diabolisation en tant qu'Etat voyou ou paria a été de développer une politique étrangère tournée vers l'Est qui, en elle-même, est un défi à l'hégémonie énergétique américaine dans le Golfe. Cette politique a été menée avec une grande habileté par le ministre des affaires étrangères, Manouchehr Mottaki, qui a été éduqué à Bangalore, en Inde. Tandis qu'il se concentre sur des accords énergétiques massifs avec la Chine, l'Inde et le Pakistan, l'Iran regarde aussi vers l'Afrique et l'Amérique Latine. A la grande horreur des néocons américains, une liaison aérienne intercontinentale de l' "axe du mal" existe déjà - un vol commercial hebdomadaire Téhéran/Caracas, via Iran Air.

La portée diplomatique (et énergétique) de l'Iran est désormais frappante. Lorsque j'étais en Bolivie cette année, j'ai été informé d'une excursion que l'ambassadeur iranien auprès du Venezuela avait faite avec l'avion du président bolivien, Evo Morales. Il a été rapporté que l'ambassadeur a proposé à Morales "tout ce qu'il voulait" en compensation de "l'impérialisme américain".

Pendant ce temps, une concurrence féroce sur l'énergie se développe entre les Turcs, les Iraniens, les Russes, les Chinois et les Américains - tous misant sur les futures routes commerciales qui seront cruciales alors que le pétrole et le gaz naturel couleront à flot d'Asie Centrale.

En tant qu'acteur, l'Iran essaye de se positionner comme l'Etat-bazar inévitable dans une nouvelle Route de la Soie alimentée par le gaz et le pétrole - la colonne vertébrale d'un nouveau quadrillage asiatique pour la sécurité énergétique. Voilà comment l'Iran pourrait retrouver une partie de la prééminence dont il a bénéficié à l'époque lointaine de Darius, le Roi des Rois. Et c'est la principale raison pour laquelle les néo-Guerriers de la Guerre Froide, les néo-sionistes, les impérialistes de salon, tous ceux mentionnés plus haut, piquent une telle crise collective - et à la fois menaçante.

3. Que fait Ahmadinejad ?

Depuis les premiers jours où l'ancien président iranien, Mohammed Khatami, a suggéré un "dialogue des civilisations", les diplomates iraniens ont répété sans cesse la position officielle sur le programme nucléaire iranien : il est pacifique. L'AIEA n'a trouvé aucune preuve d'un développement militaire de l'énergie nucléaire. Le leadership religieux s'oppose aux armes atomiques et l'Iran - contrairement aux Etats-Unis - n'a envahi personne ou attaqué de nation pendant les quatre derniers millénaires.

Pensez à George W. Bush et au président iranien Mahmoud Ahmadinejad comme s'ils étaient les nouveaux Blues Brothers : ils croient tous les deux qu'ils sont missionnés par Dieu. Tous deux sont des fondamentalistes religieux. Ahmadinejad croit avec ferveur dans le retour imminent du Mahdi, le messie chiite, qui a "disparu" et qui est resté caché depuis le neuvième siècle. Bush croit avec ferveur à l'apocalypse et au retour de Jésus Christ. Mais seul Bush, malgré ses invasions actuelles et ses menaces constantes, a une (sorte) de laissez-passer de la part de la machine idéologique occidentale, tandis qu'Ahmadinejad est dépeint comme un Hitler croyant dans un nouvel Holocauste.

Ahmadinejad est décrit sans relâche comme un islamo-fasciste colérique totalement irrationnel et négationniste qui veut "rayer Israël de la carte". Cette citation infâme, répétée jusqu'à la nausée mais hors de son contexte, est arrivée d'un discours d'octobre 2005 lors d'une conférence anti-sioniste obscure. Ce qu'Ahmadinejad a réellement dit, selon la traduction littérale du farsi, était que "le régime sioniste occupant Jérusalem doit disparaître des pages du temps"[1]. Il citait en fait le chef de la Révolution Islamique de 1979, l'Ayatollah Ruhollah Khomeyni, qui l'a dit pour la première fois au début des années 80. Khomeyni souhaitait qu'un régime aussi injuste envers les Palestiniens soit remplacé par un autre plus équitable. Il ne menaçait pourtant pas d'atomiser Israël.

Dans les années 80, dans les années les plus violentes de la guerre Iran-Irak, Khomeyni avait aussi bien fait savoir que la production, la possession ou l'utilisation des armes nucléaires est contraire à l'Islam. Le dirigeant Suprême de l'Iran, l'Ayatollah Ali Khamenei, a émis plus tard une fatwa - une injonction religieuse - dans les mêmes termes. Pour ce régime théocratique, le programme nucléaire iranien est cependant un symbole puissant d'indépendance, vis-à-vis de ce qui est toujours largement considéré par les Iraniens de toutes classes sociales et de niveau d'éducation comme un colonialisme anglo-saxon.

Ahmadinejad veut absolument le programme nucléaire iranien. C'est son gagne-pain en termes de popularité intérieure. Durant la guerre Iran-Irak, il était membre de l'équipe de soutien qui aidait les forces kurdes anti-Saddam Hussein. (C'est là qu'il est devenu ami avec "Tonton" Djalal Talabani, aujourd'hui le président kurde de l'Irak). Il n'y a pas beaucoup de présidents qui ont reçu un entraînement dans l'art de la guérilla. A Téhéran, des spéculations endémiques courent, disant qu'Ahmadinejad, la direction de la Force Quds - division d'élite du Corps des Gardes Révolutionnaires Iraniens (CGRI) -, plus la milice volontaire d'irréductibles, le Basidj (connu officieusement en Iran comme "l'armée des millions"), font le pari d'une attaque des Etats-Unis contre les installations nucléaires pour renforcer le régime théocratique du pays et leur faction.

Les Réformistes se réfèrent à la visite du président russe, Vladimir Poutine, à Téhéran en octobre dernier, lorsqu'il fut reçu par le Dirigeant Suprême (un honneur très rare). Poutine a proposé un nouveau plan pour résoudre le dossier nucléaire iranien explosif : l'Iran arrêterait l'enrichissement nucléaire sur le sol iranien en échange d'une coopération et d'un développement pacifique en ligue avec la Russie, les Européens et l'AIEA.

Le négociateur nucléaire iranien en chef du moment, Ali Larijani, confident du Dirigeant Suprême Khamenei, de même que le dirigeant lui-même, a fait savoir que cette idée était sérieusement prise en considération. Mais Ahmadinejad a immédiatement contredit en public le Dirigeant Suprême. Encore plus étonnant, pourtant avec l'approbation évidente du dirigeant, il a ensuite viré Larijani et l'a remplacé par un ami de longue date, Saïd Djalili, un idéologue jusqu'au-boutiste.

4. Pas de révolution de velours en vue

Avant les élections iraniennes de 2005, lors d'une réunion secrète à haut niveau des ayatollahs au pouvoir qui s'est tenue dans sa propre maison, le Dirigeant Suprême a conclu qu'Ahmadinejad serait capable de raviver le régime avec sa rhétorique populiste et son conservatisme pieux, qui semblait alors très attirant pour les masses opprimées. (Assez curieusement, le slogan de la campagne d'Ahmadinejad était "Nous pouvons".)

Mais les ayatollahs au pouvoir ont fait une erreur de calcul. Puisqu'ils contrôlaient tous les leviers-clés du pouvoir - le Conseil Suprême à la Sûreté Nationale, le Conseil des Gardiens de la Révolution, le Judiciaire, les bonyads (les fondations islamiques qui contrôlent de vastes segments de l'économie), l'armée, le CGRI (l'armée parallèle créée par Khomeyni en 1979 et récemment qualifiée d'organisation terroriste par l'administration Bush), les médias -ils assumaient qu'ils contrôleraient aussi celui-ci qui se décrit lui-même comme "le nettoyeur du peuple". Comme ils ont eu tort !

Pour Khamenei lui-même, c'était du gros business. Après 18 ans de lutte interne non-stop, il a finit par avoir le contrôle complet du pouvoir exécutif, de même que du législatif, du judiciaire, du CGRI, du Basidj, et des ayatollahs-clés à Qom.

Ahmadinejad, de son côté, a lancé son propre programme. Il a purgé le ministère des affaires étrangères d'un grand nombre de diplomates à l'esprit réformateur ; il a encouragé le ministère de l'intérieur, le ministère de la culture et le Conseil Islamique à prendre des mesures sévères contre toutes les formes d'influences occidentales "néfastes", des produits de l'industrie du spectacle aux foulards colorés pour les femmes fabriqués en Inde ; et il a rempli son cabinet d'amis révolutionnaires de la période de la guerre Iran-Irak. Ces amis se sont avérés être aussi fidèles qu'incompétents administrativement - en particulier en ce qui concerne la politique économique. Au lieu de solidifier la direction théocratique sous le Dirigeant Suprême Khamenei, Ahmadinejad a fracturé de façon croissante une élite dirigeante de plus en plus impopulaire.

Néanmoins, le mécontentement vis-à-vis de l'incompétence économique d'Ahmadinejad ne s'est pas traduit en barricades dressées dans la rue et ne le fera probablement pas ; ni, contrairement au scénarios de pays imaginaires des cons, une attaque contre les installations nucléaires de l'Iran ne provoquerait pas un soulèvement populaire. La moindre faction politique soutient le programme nucléaire par fierté patriotique.

Il y a sûrement ici un paradoxe flagrant. Ce régime peut bien être largement impopulaire - à cause de l'imposition d'une telle austérité dans un pays riche en ressources énergétiques et de l'absence quasi-totale de mobilité sociale - mais pour des millions, en particulier à la campagne et dans les provinces retirées, la vie est toujours soutenable. Dans les grands centres urbains - Téhéran, Ispahan, Chiraz et Tabriz - la plupart serait en faveur d'une avancée vers une économie plus orientée sur le marché, combinée à une libération progressive des mœurs (alors même que le régime insiste pour aller dans l'autre sens). Cependant, aucune révolution de velours ne pointe à l'horizon.

Au moins quatre factions sont en action dans le jeu complexe, façon mini-Perse, du pouvoir politique iranien d'aujourd'hui - et deux autres, la gauche révolutionnaire et la droite laïque, même si elle est complètement marginalisée, ne devraient pas être non plus oubliés.

L'extrême droite, très religieusement conservatrice mais économiquement socialiste, s'est étroitement alignée, depuis le début, sur les Frères Musulmans égyptiens. Ahmadinejad est l'étoile de cette faction.

Les ecclésiastiques, du Dirigeant Suprême aux milliers de personnalités religieuses provinciales, sont de purs conservateurs, encore plus patriotiques que l'extrême droite, pourtant généralement pas des admirateurs d'Ahmadinejad. Mais il y a une division interne cruciale. Les bonyads - les fondations islamiques, actives dans tous les secteurs -, substantiellement riches, veulent à tout prix une réconciliation avec l'Ouest. Ils savent que sous la pression des sanctions occidentales, la fuite incessante des capitaux et des cerveaux travaille contre l'intérêt national.

Les économistes à Téhéran estiment qu'il pourrait y avoir jusqu'à 600 milliards de dollars de fonds iraniens investis dans les économies des pétro-monarchies du Golfe Persique. Les meilleurs et les plus brillants continuent de fuir le pays. Mais les fondations islamiques savent aussi que cet état des affaires sape lentement le pouvoir d'Ahmadinejad.

L'extrêmement influent CGRI, élément-clé du gouvernement avec de vastes intérêts économiques, transite entre ces deux factions. Ils privilégient le combat contre ce qu'ils définissent comme le sionisme, ils sont en faveur de relations étroites avec les Etats arabes sunnites et veulent aller jusqu'au bout avec le programme nucléaire. En fait, des sections importantes du CGRI et du Basidj pensent que l'Iran doit entrer dans le club nucléaire, non seulement pour prévenir une attaque du "Satan américain" mais pour changer irréversiblement l'équilibre du pouvoir au Proche-Orient et en Asie du Sud-Ouest.

Les réformistes-progressistes actuels de la gauche étaient au départ des anciens partisans du fils de Khomeyni, Ahmed Khomeyni. Plus tard, après une mutation les faisant passer d'un socialisme à la soviétique à une sorte de démocratie religieuse, leur nouvelle icône est devenue l'ancien président Mohammed Khatami (célèbre pour son "dialogue des civilisations"). Après tout, on avait un président islamique qui avait capturé le vote des jeunes et des femmes et qui avait écrit sur les idées du philosophe allemand Jürgen Habermas, appliquées tant à la société civile qu'à la possibilité d'une démocratisation de l'Iran. Malheureusement, son "Printemps de Téhéran" n'a pas duré longtemps - et il est parti depuis longtemps.

La faction-clé de l'establishment est sans aucun doute celle du modéré Hashemi Rafsandjani, un ancien président qui a fait deux mandats, président actuel du Conseil Politique et membre-clé du Conseil des Experts - 86 ecclésiastiques, aucune femme, le Saint Graal du système, et la seule institution capable de destituer le Dirigeant Suprême. Il est maintenant soutenu par l'intelligentsia et la jeunesse urbaine. Connu familièrement comme "Le Requin", Rafsandjani est un parfait machiavel. Il maintient des liens privilégiés avec des acteurs-clés à Washington et s'est avéré être un survivant ultime - manœuvrant avec une grande habileté entre Khatami et Khamenei, alors que, dans le pays, le pouvoir s'est déplacé.

Rafsandjani est, et le restera toujours, un supporter du Dirigeant Suprême. En tant que numéro deux de fait du régime, sa quête n'est pas seulement de "sauver" la Révolution Islamique de 1979 mais aussi de consolider la puissance régionale de l'Iran et réconcilier le pays avec l'Ouest. Son raisonnement est clair : il sait que la tempête anti-islamique est déjà en train de bouillonner parmi les jeunes dans les villes majeures d'Iran, qui rêvent d'intégrer les élites nomades de la modernité mondiale liquide.

Si l'administration Bush avait le moindre désir réel de laisser ses porte-avions flotter hors du Golfe et d'établir une entente cordiale avec Téhéran, Rafsandjani serait l'homme auquel parler.

5. Sur la nouvelle Route de la Soie

Des amis réformistes à Téhéran ne cessent de me dire que le pays est à présent plongé dans une atmosphère similaire à la Révolution Culturelle chinoise des années 60 ou à la campagne de rectification des années 80 à Cuba - et rien de "velours", d' "orange" ou de "tulipe" ou toute autre code de couleur des mouvements à l'occidentale dont Washington pourrait rêver ne pointe, pour l'instant, à l'horizon.

Dans de telles conditions, que se passerait-il s'il y avait une attaque aérienne des Etats-Unis contre l'Iran ? En 2006, le Dirigeant Suprême a officiellement proposé sa propre version des menaces. Si l'Iran était attaqué, a-t-il dit, les représailles seraient doublement puissantes contre les intérêts étasuniens ailleurs dans le monde.

Depuis les voies de ravitaillement et les bases américaines au sud de l'Irak jusqu'au Détroit d'Ormuz, les Iraniens, bien qu'ils ne soient pas une locomotive militaire, ont vraiment la capacité de causer de réels dégâts aux forces et aux intérêts américains - et certainement de conduire le prix du pétrole vers la stratosphère. Une telle "guerre" serait clairement un désastre pour tout le monde.

Cependant, la direction théocratique iranienne semble douter que l'administration Bush et l'armée américaine, épuisées par leurs guerres en Irak et en Afghanistan, attaquent. Ils sentent une marée dans leurs dos. En attendant, la stratégie de se tourner vers l'Est, conduite par les prix de l'énergie en forte augmentation, porte ses fruits.

Ahmadinejad vient juste de terminer une tournée de l'Asie du Sud et, au désespoir des néocons américains, le quadrillage asiatique pour la sécurité énergétique devient rapidement une réalité. Il y a deux ans, au ministère du pétrole à Téhéran, il m'avait été expliqué que l'Iran pariait sur la totale "interdépendance politique et géo-économique de l'Asie et du Golfe Persique".

Cette année, l'Iran dévient enfin un pays exportateur de gaz naturel. La structure pour le pipeline Iran/Pakistan/Inde de 7,6 Mds de dollars, connu aussi sous le nom de pipeline de la "paix", est un essai. Ces deux alliés-clés des Etats-Unis en Asie du Sud ignorent les désirs de l'administration Bush et renforcent rapidement leurs liens économiques, politiques, culturels et - ce qui est crucial - géostratégiques avec l'Iran. Une attaque contre l'Iran serait à présent inévitablement considérée comme une attaque contre l'Asie.

Quel désastre est en cours de préparation ! Pourtant, la faction de Cheney à Washington (sans parler du possible futur président John McCain) semble prête à bombarder. Peut-être le Mahdi lui-même - dans sa sagesse occulte - parie-il sur une guerre américaine contre l'Asie pour se traîner jusqu'à Qom et ressusciter.

(Copyright 2008 Asia Times Online Ltd, traduction JFG-QuestionsCritiques. All rights reserved.)

Note:
______________________

[1] Lire l'article de Jonathan Steele Perdus dans la traduction.