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Les USA : des gosses dans la confiserie de l’OTAN

Par Pepe Escobar
Asia Time Online, le 29 novembre 2010

article original : "US a kid in a NATO candy store"


Comme dans une fouille au corps qui met dans le mille dans un aéroport américain, le Pentagone, lors du sommet de Lisbonne de la semaine dernière, a mis la main sur une fabuleuse boîte de chocolats – et pas qu’un peu ! – de la part de ses 27 alliés de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Et ces chocolats sont à tous les parfums !

Un : Le nouveau « concept stratégique » de l’OTAN, avec un mécanisme à l’échelle européenne de cyberguerre subordonnée au modèle « obéis au bon vieux chef, pareil que l’autre vieux chef – le nouveau cyber commandement du Pentagone, défini avec euphémisme comme une « cyber protection centralisée ».

Deux : La promesse que l’ensemble de l’Europe – en théorie – sera enveloppée par un dôme anti-missiles (« la défense anti-missiles deviendra partie intégrante de notre posture globale de défense »).

Trois : Les armes nucléaires tactiques américaines seront stationnées indéfiniment dans cinq bases dispersées sur le sol européen.

Quatre : 20 « partenaires » de l’Otan continueront d’envoyer des soldats pour la guerre en Afghanistan pendant… eh bien… indéfiniment ! (Au moins, la déclaration du sommet de Lisbonne n’a pas tourné autour du pot : « La transition sera conditionnelle, elle ne se basera par sur le calendrier et ne sera pas assimilée à un retrait des troupes de la FIAS [Force Internationale d’Aide et de Sécurité] »)

L’Otan a également acquis ce qui semble être un nouveau « partenaire » en matière de défense anti-missiles à travers toute l’Eurasie – de la Baltique à l’Océan Pacifique : la Russie. Mais contrairement à ce que disent les médias institutionnels occidentaux, la Russie a seulement accepté d’étudier de « possibles » menaces balistiques et de s’engager dans un vague « dialogue » avant de participer à une éventuelle décision conjointe des ministres de la défense des pays membres de l’Otan en juin 2011.

Le remake de la Guerre des Etoiles Pentagone/Otan a été vendu sans relâche comme la défense contre une attaque balistique à grande échelle hautement hypothétique, soit de la part de l’Iran, soit de la Corée du Nord. Même en supposant qu’il ne s’agisse pas d’un truc genre BD à la Marvel, un tel système reposera sur des systèmes de contrôle et d’alerte aéroportés, que même un hacker moyennement doué pourrait pirater. Et tout ceci suppose que les dirigeants respectifs de « l’axe du mal », iraniens et nord-coréens, ont envie de se faire hara-kiri.

Donc, ce « dôme » est essentiellement un mythe de relations publiques. Mais si ce remake de la Guerre des Etoiles est interprété comme une sorte de mécanisme explosif improvisé à grande échelle pour « contenir » le concurrent stratégique qu’est la Chine, dans un futur pas si éloigné, alors ce scénario devient bien plus croustillant.

Une merveille d’intelligence

L’Otan a promis de remettre la sécurité de l’Afghanistan aux Afghans d’ici la fin de 2014. Mais juste au cas où, elle a également promis d’occuper le pays indéfiniment. Selon le porte-parole du Pentagone Geoff Morrell, même 2014 (quelqu’un se souvient de 2011 ?) est un « objectif » pieux. Quant au nombre de soldats américains ou de l’Otan qui prendront part à l’action à partir de 2015, c’est un exemple classique de « données incertaines » auxquelles nous a habitués l’ancien Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld.

Pour ce qui est des « données connues », rien ne bat la tactique du Faux Mollah.

Un diplomate a déclaré au New York Times que le Mollah Akhtar Mohammed Mansour, le soi-disant numéro deux du dirigeant Taliban invisible, le Mollah Omar, impliqué dans des discussions avec le gouvernement Karzai, n’est pas un véritable mollah : c’est un imposteur. Le Général David Petraeus a dû venir à la rescousse – voire pour couvrir – en disant que le Pentagone soupçonnait que quelque chose ne collait pas. L’Otan a été impliquée dans ces discussions – qui se déroulent depuis déjà plusieurs mois. Quant à lui, le faux mollah n’a pas manqué d’empocher beaucoup de cash dans le processus ; et, à Quetta, tous ceux du gang du Mollah Omar doivent bien rire sous leurs turbans.

Une fois encore, les aptitudes multilingues légendaires de l’Otan ne veulent pas dire que l’on peut se prendre le bec en polonais lorsqu’il faut raisonner en pachtoune. Classez donc celle-là comme un autre triomphe spectaculaire des services d’Intelligence du Pentagone et de l’Otan !

La « mission » auto-décrite de l’Otan depuis 2001 a été de combattre le « terrorisme international ». Même les agents subalternes de la CIA savent qu’il n’y a pas « d’al-Qaïda » en Afghanistan, à part 20 ou 30 formateurs djihadistes invisibles. Cette guerre n’a donc rien à voir avec al-Qaïda.

D’un autre côté, les Pachtounes représentent 42% de la population afghane.

L’Otan attaque tout le monde, de la faction de Gulbuddin Hekmatyar au réseau de Jalaluddin Haqqani, en passant par toutes les factions tribales guerrières mécontentes. La « stratégie » du Pentagone et de l’Otan a été essentiellement d’éliminer les Talibans de rang moyen et les commandants de la guérilla. Le problème est que la plupart d’entre eux sont des chefs tribaux pachtounes. Inévitablement, leurs tribus se rebellent en masse, qu’elles soient ou non affiliées aux Talibans, et jurent de tuer les envahisseurs. La vérité c’est que l’Afghanistan n’est rien d’autre qu’une guerre des Occidentaux contre les Pachtounes.

Dans un échec de relations publiques encore plus spectaculaire, le Pentagone et l’Otan ont même oublié d’en informer les Pachtounes. Un rapport du groupe de réflexion International Council on Security and Development (ICOS) vient juste de montrer que 92% des Pachtounes dans les provinces du Helmand et de Kandahar ne savent absolument rien sur le 11 septembre. Ce rapport fait remarquer que le « fossé relationnel » entre les Afghans et la « communauté internationale » est « spectaculaire ». Classez cela comme l’un des euphémismes de ces dix dernières années !

Donc, une bande de Pachtounes en colère constitue en fait la menace ultime de l’Otan et de son offensive expansionniste incessante depuis les Balkans jusqu’à l’ancienne Union Soviétique – instillant une peur suprême aux 36 divisions, 120 Brigades, 11.000 chars, 23.000 pièces d’artillerie et 4.500 avions de combat de l’Otan (et ce ne sont que les parties stationnées en Europe).

Si l’Otan est morte de trouille face aux Pachtounes, imaginez ce qui se passera lorsqu’elle tournera son attention vers les Touaregs nomades – la population autochtone de la majeure partie du Sahara central et du Sahel, qui compte des effectifs impressionnants dans le nord du Niger et du Mali. Dans la campagne occidentale actuelle concertée visant à en faire les pions ou les « démons » d’al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), il faudrait prévenir l’Otan que les Touaregs peuvent être aussi susceptibles que les Pachtounes. Que Dieu allège le fardeau de l’homme blanc !

L’Otan a bien passé un accord avec Moscou pour envoyer du soutien logistique en Afghanistan via la Russie – et non via le Pakistan. Cela met Islamabad dans l’embarras. La prochaine fois, Washington ne demandera même pas la permission d’accroître la guerre des drones. En fait, cette partie a déjà commencé.

L’humeur est non seulement au bombardement des zones tribales (surtout depuis que le réseau Haqqani s’est éparpillé au nord, du Waziristân-Nord jusqu’à Kurram), elle est aussi au bombardement de Quetta, la capitale du Baloutchistan – où le dirigeant Taliban le Mollah Omar pourrait se cacher (et rire sous son turban).

Le ministère de l’intérieur pakistanais nie tout en bloc – alors même que la CIA et les services secrets pakistanais (ISI) « accroissent leur coopération ». On devrait donc s’attendre à un prochain « dommage collatéral » du côté de Quetta ; et, les mouvements séparatistes du Baloutchistan s’en donneront à cœur-joie. La vérité c’est que les vrais hommes se rendent à Quetta.

La boutique de guerre

Quel que soit le quotient dramatique impliqué, on peut être certain que le soutien de l’Otan à la défense anti-missiles et à la cyberguerre s’efforcera d’inclure l’ensemble du monde blanc. Ainsi que la déclaration du sommet de Lisbonne l’a proclamé : « La promotion de la sécurité euro-atlantique est mieux assurée au moyen d’un large réseau de relations partenariales avec des pays et des organisations dans le monde entier. » Comprendre : l’Europe, à part poser comme une énorme boutique pour séduire les hordes consuméristes asiatiques, existe aujourd’hui avant tout comme une base opérationnelle avancée pour la guerre sur toute la planète.

En fait, les USA, l’Otan et l’Union Européenne sont pratiquement en train de se fondre dans la même entité – le président du Conseil Européen de l’UE, le bureaucrate belge sans personnalité Herman Van Rompuy, a bien dit aux dirigeants de l’Otan à Lisbonne : La capacité de nos deux organisations à façonner notre futur environnement sécuritaire serait énorme si elles travaillaient ensemble. Il est temps de faire tomber les murs qui se dressent encore entre elles. » Les Pachtounes du monde s’unissent ; si l’on continue comme ça, ces murs s’effondreront définitivement.

(Copyright 2010 - Asia Times Online Ltd, traduction [JFG-QuestionsCritiques]. All rights reserved.)

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