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Bienvenue dans l'été de la haine

Par Pepe Escobar
Asia Time Online, le 1er juin 2007

article original : "Welcome to the summer of hate"

PARIS — Il y a quarante ans, le monde semblait chanter en cœur. Le 1er juin 2007, à Londres, les Beatles sortaient leur huitième album, sans doute celui qui a eu le plus d'influence, Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band. Il marquait le début de l'Eté de l'Amour — qui, à part Jimmy Hendrix qui hypnotisait les hippies à Monterey, en Californie, laissait aussi de la place à l'escalade de la Guerre du Vietnam et à la victoire éclair d'Israël dans la Guerre des Six Jours.

Aujourd'hui, nous avons la sublime Patti Smith qui chante des reprises d'Hendrix et des Beatles, l'Irak à la place du Vietnam et Israël — aux côtés d'éléments de l'administration Bush — qui fait monter la sauce pour une attaque contre l'Iran. Appelez cela l'été de la haine !

Il y avait un énorme éléphant dans cette pièce de Bagdad où les ambassadeurs des Etats-Unis et de l'Iran ont brisé un iceberg de 27 années et se sont rencontrés cette semaine — et le nom de cet éléphant est Israël. Manouchehr Mottaki, le ministre iranien des affaires étrangères, a exprimé l'espoir, officiellement, que les pourparlers puissent se poursuivre dans le cas où l'administration Bush admettrait que sa politique au Proche-Orient avait "échoué".

Le journal conservateur iranien, Jam e Jam — populaire auprès des jeunes Iraniens — soulignait dans un éditorial qu'à présent "il n'est plus possible de s'opposer à notre pays… Les Etats-Unis ne peuvent pas se passer de l'Iran, qui est la nouvelle puissance au Proche-Orient."

Bien sûr, par-dessus le corps de Dick Cheney, 66 ans et quatre opérations du cœur ! Et qu'en est-il de toutes ces dépenses — les armadas flottantes que sont le Stennis et le Nimitz "faisant des exercices" en ce moment-même dans le Golfe Persique ? Qu'en est-il aussi des opérations obscures au Khuzestân et au Baloutchistan pour "déstabiliser" le gouvernement iranien ? Et l'on rapporte que les Etats-Unis tentent un sabotage industriel du programme nucléaire iranien…

Bombardez l'Iran !…

Un stratège géopolitique français de tout premier plan vient juste de rentrer d'une période de travail à Tel Aviv et à Jérusalem, où il a rencontré l'establishment militaro-industriel et tous les principaux groupes de réflexion israéliens. Il insiste sur trois points :

1. Pour l'establishment israélien, avoir envahi l'Irak et renversé le système de Saddam Hussein, qui était déjà inefficace, fut une très mauvaise manœuvre (bien qu'ils n'aient pas pensé ainsi en 2002).

2. Attaquer le Hezbollah au Liban durant l'été 2006 fut une très mauvaise manœuvre. "Nous aurions dû le faire, mais avec au moins deux divisions, pour les écraser complètement," a déclaré un général à la retraite.

3. A présent, il y a un consensus inébranlable selon lequel la manœuvre réellement inévitable sera d'attaquer les installations nucléaires iraniennes — de préférence en faisant pleuvoir des missiles de croisière sur la centrale de Natanz. Quel que soit leur baratin, attaquer l'Iran reste le dogme-clé de la politique des Siocons (sionistes + néoconservateurs).

Pendant qu'une nouvelle guerre démange les Siocons, l'Irak est en sang. De 20 à 50 cadavres sont ramassés chaque jour dans les rues de Bagdad. On n'en parle même plus aux informations. Les Sadristes — ceux qui font la loi dans la rue chiite — savent que la grande majorité des escadrons de la mort à Bagdad viennent de l'Organisation Badr, directement du septième étage du Ministère de l'Intérieur, où se trouve le Conseil Suprême Islamique, ami des Américains.

Pendant ce temps, le Pentagone continue d'envahir Sadr City, appelant à des frappes aériennes sur les maisons et les quartiers pauvres, tuant des civils et arrêtant les commandants de l'Armée "terroriste" du Mehdi dans des "cellules secrètes" qui, prétendument, font venir en fraude des intrus de l'Iran (aucune preuve crédible n'a été produite).

L'ennemi de Washington, Muqtada al-Sadr, qui porte un voile blanc par-dessus son manteau noir, est bien vivant à Koufa, spectaculairement de retour, directement de son isolement bien protégé de Nadjaf (pas d'Iran). Son message nationaliste, islamique et non-sectaire incarne la rue irakienne : "Je renouvelle aux occupants mon exigence qu'ils partent ou qu'ils définissent un calendrier pour leur retrait et je demande au gouvernement de ne pas laisser les occupants étendre l'occupation à ne serait-ce qu'un jour de plus".

Evidemment, personne n'a fait attention à ce sommet qui s'est déroulé dans cette pièce de Bagdad. En particulier Washington, pour qui l'appel nationaliste, multiconfessionnel et "travaillons avec nos frères sunnites" de Muqtada est la tempête de sable qui rend l'occupation aveugle.

Rock n'Roll Nigger

L'ancien président iranien Mohamed Khatami, actuellement directeur de l'Institut International pour le Dialogue entre les Cultures et les Civilisations, s'est rendu dernièrement en Italie. Il y a défendu la religion comme moyen de se libérer de l'oppression et insisté sur le fait que la solution à la crise actuelle est "l'acceptation de notre rôle par la communauté internationale. L'impulsion réformatrice ne mourra pas en Iran : Cela fait 100 ans que nous essayons de réformer notre pays. Notre avenir sera meilleur si nous désarmons les violents."

En même temps, l'Iran "réforme" l'Irak en profondeur — quels que soient les discours de la Maison Blanche. L'influence culturelle iranienne sur la jeunesse irakienne est écrasante — au moyen du financement d'au moins un centre culturel ou une bibliothèque dans chaque village. La première langue étrangère est désormais le Farsi, pas l'anglais. Les filles échangent leur hidjab arabe contre le tchador iranien moins contraignant. Les livres d'école irakiens sont désormais imprimés sur des presses en Iran. La majeure partie du pétrole, du gaz et de l'électricité de l'Irak sont désormais fournis par l'Iran.

Mais il n'y a rien pour arrêter l'été de la haine — et pas seulement à cause des températures torrides qui atteignent 50 degrés. L'Iran continuera d'être relié par les Siocons à al-Qaïda. L'Irak restera le véritable centre des ténèbres. Quarante ans après la Guerre des Six Jours, l'Etat d'Israël continuera de briser la Palestine en mille morceaux, en particulier Gaza. Les fonds saoudiens sont canalisés par le milliardaire Saad Hariri et les Etats-Unis apporte un soutien militaire important à l'armée du gouvernement libanais de Fouad Siniora, qui fait pitié. Celui-ci sera très occupé à répandre la division pour mieux régner, opposant les Djihadistes salafistes soi-disant au Hezbollah. Mais, à la place, les victimes seront les réfugiés palestiniens sans défense. Le plan des Siocons est de provoquer la guerre civile au Liban, où le Hezbollah serait inévitablement secoué, et de profiter de cette ouverture pour attaquer l'Iran.

Cette semaine, Patti Smith a donné un concert étonnant à l'Olympia légendaire de Paris, où, il y a un peu moins de quarante ans, après l'Eté de l'Amour, Hendrix surprit le monde entier. Patti a chanté des reprises d'Hendrix, des Beatles, de Jefferson Airplane, des Doors et de Crosby Stills & Nash. Mais c'est lorsqu'elle a laissé tomber ses cheveux pour son propre "Rock n'Roll Nigger" qu'elle a vraiment mis le feu.

Il était instructif de voir tous ces baby-boomers/initiés prospères — la génération du (Président français Nicolas) Sarkozy — crier à tue-tête une nouvelle fois, aspirant à être "en dehors de la société". Nos étés d'amour sont désormais des étés de haine. Cela concorde : après tout, lorsque nous sommes en face des Maîtres de la Guerre, comme Patti le dit, nous sommes tous des nègres du rock n'roll.

Pepe Escobar est l'auteur de "Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War" [Globalistan : Comment le Monde Globalisé se Dissout dans la Guerre Liquide] (Nimble Books, 2007).

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