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Bush-Poutine

Ce qu'ils n'ont pas dit à Kennebunkport

par Spengler

2 juillet 2007, Asia Times Online
article original : "What they didn't say at Kennebunkport"

Rien du dialogue imaginaire ci-dessous ne se sera produit dans l'enceinte de la famille Bush sur la côte maritime du Maine, lors de la retraite du 1er juillet entre le Président russe Vladimir Poutine et le Président des Etats-Unis George W Bush.

Je suppose que Poutine a dû faire de son mieux pour amadouer son homologue américain et le laisser au dépourvu. Bush n'est prêt, ni intellectuellement, ni psychologiquement, à comprendre ce qu'un dirigeant russe doit faire. Et un homme pratique comme Poutine ne perdrait pas son temps à expliquer l'inexplicable à quelqu'un qui ne comprend pas. La tâche peu enviable de Poutine est de persuader Bush de ses bonnes intentions, tout en gagnant de l'espace pour manœuvrer afin de prendre des mesures que les Etats-Unis considèreront comme hostiles. Je n'ai aucune idée sur la manière dont il a réussi cela à Kennebunkport. Mais, il est réaliste d'imaginer comment la conversation aurait pu se dérouler si Poutine avait dit à Bush la vérité sans fard.



Bush : Vous savez, Vladimir, beaucoup d'Américains s'inquiètent de ce que le progrès vers la démocratie en Russie soit tombé en pièces. Ils voient des journalistes que l'on intimide, des hommes d'affaires qui sont mis en prison et des opposants de votre gouvernement qui meurent dans des circonstances suspectes. Je veux améliorer les relations avec vous, mais vous avez mauvaise presse.

Poutine : Dites-moi, George — quelle est votre idée de la démocratie russe ?

Bush : Bien, lorsque Boris Eltsine s'est tenu debout sur un char pour intimider les Communistes et qu'ensuite il y a eu des élections libres, les Américains ont vraiment cru que la Russie était sur la voie de la démocratie.

Poutine : Pour sûr, nous étions sur la voie de quelque chose ! Pourquoi pensez-vous que nous avons fait faillite en 1998 ? Tout ce qui n'était pas défini atterrissait sur le compte en Suisse de quelqu'un. Demandez à votre père ! Il a prononcé un discours lors d'une conférence de Goldman Sachs à Moscou en juillet de cette année-là, déclarant aux investisseurs combien la Russie était une super opportunité, un mois avant que nos liquidités s'assèchent.

Bush : Vous n'avez pas besoin de mêler mon père à cela…

Poutine : Je ne dis pas qu'il a été impliqué dans le pillage de la Russie, le plus gros vol de tous les temps — j'indique qu'il était aussi nul que le reste d'entre vous. Si nous n'avions pas pris des mesures énergiques contre les escrocs et les voleurs qui avaient pris le contrôle du pays et tout dérobé, nous ne serions pas en train de discuter ensemble en ce moment même. Il n'y aurait pas de Russie.

Bush : Mais ne pouvez-vous pas faire en sorte que ce pays soit honnête par des moyens démocratiques ?

Poutine : George, tout le monde n'est pas comme les Américains. Si les Américains n'aiment pas ce qui se passe, ils élisent un autre parlementaire, signent une pétition, achètent des publicités dans les journaux ou n'importe quoi d'autre. Les Russes, pendant deux générations, ont appris que si vous faisiez une mauvaise plaisanterie, vous disparaissiez au milieu de la nuit. Vous surviviez en baissant la tête et en buvant votre vodka. Nous avions l'habitude d'avoir des faiseurs de trouble politiques — en fait, quelques-uns parmi les plus enthousiastes du monde. On les appelait les "communistes". Ceux que Joseph Staline n'a pas tués, il les envoyait au Goulag. Qui croyez-vous au juste prendra l'initiative contre les syndicats du crime qui disposent d'armées privées ? Si le gouvernement ne le fait pas, personne ne le peut — et les moyens que nous employons ne seront pas jolis-jolis.

Bush : Je ne veux pas faire d'allusions personnelles, Vladimir, mais je suppose que vous savez quelque chose sur ces moyens.

Poutine : Vous avez raison de le penser ! Pourquoi croyez-vous que le gouvernement russe est entre les mains de personnes qui ont servi dans la Sécurité de l'Etat ? A la mauvaise époque, la seule institution qui pouvait prendre l'initiative était les services de sécurité. Il n'y avait aucun autre endroit pour apprendre comment exercer le pouvoir.

Bush : Je peux comprendre à quel point les choses étaient mauvaises, Vladimir, mais vous devez comprendre à quel point les Américains se soucient de la démocratie.

Poutine : Bien sûr, vous vous souciez de la démocratie — votre population est faite de gens qui ont quitté leurs pays, oublié leurs langues, abandonné leurs cultures et qui se sont jetés dans le melting-pot. Ils pensent qu'ils ont des droits. Pour commencer, les Russes n'ont jamais eu de droits et ne savent pas ce que signifie les défendre.

Bush : Je dois dire, Vladimir, que c'est une drôle de façon de diriger un pays.

Poutine : Qui vous a dit que nous étions un pays, George ? La Russie est un empire. Nous avons 160 groupes ethniques, différents répartis dans six fuseaux horaires, et nous avons plein de Russes dans des territoires qui appartenaient autrefois à l'Union Soviétique. Peut-être n'aimez-vous pas notre histoire, mais vous ne pouvez pas la réécrire. Permettez-moi de vous donner un exemple : combien de Musulmans avez-vous aux Etats-Unis ?

Bush : Je ne vois pas en quoi ceci est pertinent, mais c'est probablement de l'ordre de 3 ou 4 millions.

Poutine : Ce n'est même pas 2% de votre population. Savez-vous combien de Musulmans vivent en Russie ? Au moins 25 millions sur 150 millions d'habitants — et ils pourraient devenir une majorité dans 50 ans, vu la natalité.

Bush : Je ne vois pas où vous voulez en venir.

Poutine : Ce que je veux dire est : voulez-vous vraiment la démocratie en Russie — une personne, une voix ? Parce que si vous la voulez, vous pourriez vous retrouver avec un Etat islamique dans un demi-siècle ayant plus de pétrole que l'Arabie Saoudite et un gros arsenal nucléaire.

Bush : Vladimir, je ne vois pas où vous voulez en venir. Les Américains ne pensent tout simplement pas de cette manière. Nous essayons d'aider les pays musulmans à construire la démocratie pour que le Proche-Orient soit en paix.

Poutine : Je ne veux pas descendre votre idée en flammes, George, mais il semble que ça ne marche pas trop bien en Irak, en Palestine ou au Liban, n'est-ce pas ?

Bush : Vladimir, je ne vous comprends pas du tout. Si les Musulmans vous inquiètent tant, alors pourquoi nous donnez-vous autant de fil à retordre pour imposer des sanctions à l'Iran ?

Poutine : Ne vous est-il jamais venu à l'esprit que vous avez un nombre insignifiant de Musulmans auxquels répondre — et la moitié d'entre eux sont des noirs nés aux Etats-Unis qui ne votent jamais Républicain ? J'ai des millions de Chiites azéris qui vont dans des mosquées financées par l'Iran. Je ne peux m'offrir le luxe de taper sur les doigts des mollahs et espérer qu'ils remettent leurs mains dans leurs poches après. Lisez ce que Nicolas Machiavel a dit sur le sujet : n'infligez jamais une petite blessure à un opposant. Les hommes se vengeront eux-mêmes des petites blessures, mais ils ne peuvent pas se venger eux-même des blessures majeures.

Bush : Vous n'êtes pas en train de me dire d'infliger une blessure majeure à l'Iran, hein, Vladimir ?

Poutine : Si quelqu'un s'apprête à le faire, George, ce sera vous — vous ou les Israéliens. Je ne peux tout simplement pas me le permettre — du moins pas pour l'instant, certainement pas avant nos prochaines élections présidentielles en mars prochain. Peut-être n'aurez-vous pas à le faire. L'Iran est faible. Il y a toujours une petite chance que quelqu'un de raisonnable comme Akbar Hashemi Rafsandjani puisse remplacer ce fou de Mahmoud Ahmadinejad en tant que président. Mais il y a une chose sur laquelle vous pouvez compter : personne ne déteste plus que nous l'idée d'un Iran doté d'armes nucléaires. À notre porte nous partageons une frontière avec l'Iran.

Bush : Donc, au pire, Vladimir, vous me laisserez faire le sale boulot et vous garderez les mains propres ?

Poutine : Souvenez-vous, j'ai des élections six mois avant vous et un problème de succession d'un type différent. Votre démocratie existe depuis plus de 200 ans. Nous sommes à peine des adolescents. J'ai besoin de quelqu'un qui prenne ma suite, qui soit assez dur et assez rusé pour empêcher la Russie de voler en éclats : Nous pouvons être durs lorsque c'est nécessaire. Ou n'avez-vous pas entendu parlé de la Tchétchénie ?

Bush : Vous ne prenez pas en compte à quel point mon problème est rude — à moins que je ne puisse régler le problème de l'Iran, il n'y a aucun moyen pour moi de faire sortir les troupes américaines d'Irak sans une guerre totale contre les Chiites soutenus par l'Iran et les Sunnites soutenus par l'Arabie Saoudite.

Poutine : Eh bien ! Vous êtes livré à vous-même, là. Ne me faites pas porter le chapeau.

Bush : Vladimir, j'espérais que nous sortirions de cette discussion avec une entente sur au moins un point : Pourquoi êtes-vous si fâché que nous mettions en place des systèmes antimissile dans des endroits comme la République Tchèque ? Vous savez que nous ne pouvons pas défendre l'Europe contre une attaque de missiles russes.

Poutine : George, ce n'est pas simplement une question de missiles. C'est à propos de vos bases en feuilles de nénuphar au Kirghizstan, en Ouzbékistan, au Tadjikistan et ailleurs à notre porte. Vous n'obtiendrez pas la démocratie dans ces endroits — c'est une supposition idiote. Tout ce que vous ferez sera de promouvoir les forces centrifuges qui menacent de mettre en pièces la Fédération Russe. Vous ne comprenez-pas, George ? Nous sommes russes seulement aux trois-quarts et, dans une génération, nous ne serons peut-être plus qu'à moitié russes. Nous n'avons pas récupéré de la raclée que vous nous avez infligée dans les années 80. En Russie, la moitié des décès des hommes adultes est due à l'alcoolisme. Nos femmes ont 13 avortements pour 10 naissances. Nous nous battons pour survivre. Nous ne laisserons pas ce qui reste de la Russie être mis en pièces.

Bush : Pensez-vous que nous puissions trouver un terrain d'entente sur le Kosovo ?

Poutine : C'est là où vous jouez vraiment avec le feu, George. Vous proposez de démanteler la Serbie pour ajouter une nouvelle province à l'Albanie et vous allez créer un précédent pour toutes les minorités séparatistes qui veulent quitter la Russie. Nous ne pouvons en aucune manière accepter cela — et je vous préviens que si vous insistez sur ce moyen d'action dangereux et imprudent, nous ferons précisément la même chose pour les territoires à notre porte, à commencer par l'Ossétie du Sud.

Bush : Mais, Vladimir, comment allons-nous convaincre le monde musulman que nous pouvons être leur partenaire pour la paix si nous ne respectons pas les souhaits d'une écrasante majorité musulmane au Kosovo ?

Poutine : Je déteste le dire ainsi, George, mais je pense que je pourrais vous donner une leçon sur la manière de gagner de l'influence parmi les Musulmans. Vous n'êtes pas spécialement populaire auprès des Musulmans en ce moment.

Bush : Bon, vous n'avez pas besoin d'en rajouter. Comment proposez-vous de gagner de l'influence auprès des Musulmans ?

Poutine : Savez-vous combien de civils sont morts en Tchétchénie lorsque nous avons supprimé la rébellion là-bas ? Personne ne le sait exactement, mais le nombre tourne autour de 100.000. Nous savons qu'un demi-million de Tchétchènes ont perdu leurs maisons. Nous tuons des Musulmans depuis 300 ans. Voilà pourquoi ils nous respectent.

Bush : Vladimir, ce que vous dites est horrible. Le peuple américain ne verra jamais le monde ainsi.

Poutine : Le peuple américain n'en a pas besoin. Ils sont assis confortablement dans leur propre continent et ils pensent que c'est un grand désastre lorsque quelques milliers de personnes sont tués dans un immeuble de bureaux. Je ne suggère pas que vous alliez expliquer à vos électeurs que les choses pourraient être très différentes dans d'autres parties du monde. Mais je vous mets en garde : un travail suffisamment coriace est entre nos mains. Ne le rendez pas plus difficile ou vous le regretterez !

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