Barack Obama et la Syrie
DAMAS - Dans le monde musulman, les hommes sont fiers de leur premier bébé garçon et ils sont souvent appelés “le père de X” pour le restant de leurs jours. A leur tour, les premiers garçons prennent le nom de leur grands-pères, et ceci explique pourquoi les Syriens appelle affectueusement Barack Obama, "Abou Hussein" (père de Hussein).
Il n’a pas de garçon – seulement deux filles superbes – pourtant cela n’est pas vraiment important pour la majorité des Syriens qui se sont réveillés, le 5 novembre 2008, pour écouter l’annonce de Washington que Barack Hussein Obama était devenu le 44ème président des Etats-Unis.
En ce qui les concerne, le nom de son père est Hussein et lorsque Obama aura un bébé garçon, il l’appellera Hussein. Après tout, c’est la tradition dans le monde musulman et Obama vient d’une lignée musulmane au Kenya. Gamal Abdul-Nasser d’Egypte était "Abou Khaled", le dirigeant du Hezbollah Hassan Nasrallah est "Abou Hadi", le dirigeant de l’Organisation de Libération de la Palestine était "Abou Ammar" et, pour les masses dans le monde arabe, Barack Obama est "Abou Hussein".
Cette terminologie a été forgée par des Syriens ordinaires qui regardaient la course présidentielle avec enthousiasme – contents de voir la fin du Président George W. Bush.
Pareillement, les Syriens n’ont aucune illusion sur le fait que le nouveau président qui prendra ses fonctions dans 74 jours sera le sauveur des Arabes. Ils espèrent qu’il sera plus juste et plus impartial au sujet du conflit arabo-israélien et qu’il mettra fin à la tension qui est montée entre Damas et Washington sous l’administration Bush. Cependant, ils réalisent que cette élection montre exactement jusqu’où l’Amérique est allée en termes d’égalité raciale et tout le monde à Damas – jeunes et vieux – est impressionné.
En août, sous l’égide d’une ONG américaine, Search for Common Ground, trois Syriens se sont rendus à Washington et ont rencontré des groupes de réflexion et d’influence, des journaux et des fidèles d’Obama, pour discuter des façons de faire avancer les relations bilatérales, une fois que Bush aura quitté la Maison Blanche.
Ces douze derniers mois, Damas a accueilli toutes sortes d’officiels américains, soit des membres de l’équipe d’Obama, soit des supporters du nouveau président. Ils étaient tous porteurs d’un message similaire : La politique de non-dialogue avec Damas sous Bush a été improductive pour la région et les Etats-Unis. Cela va changer, ont-ils dit, lorsque Obama entrera à la Maison Blanche.
Ils ont tous été reçus chaleureusement par les Syriens, tant par le peuple que par les officiels. Parmi eux se trouvaient l’ancien ambassadeur Daniel Kurtzer et l’ancien conseiller à la sécurité nationale sous Carter, Zbigniew Brzezinski. Ce dernier à même parlé avec des étudiants dans l’une des nouvelles universités privées de Syrie, lesquels ont applaudi très fort à chaque fois qu’il mentionnait "le Président Obama".
Les Syriens étaient particulièrement transportés d’admiration lorsque Obama a refusé de faire l’éloge de la frappe étasunienne contre la Syrie en octobre, contrairement à son opposant républicain, le Sénateur John McCain. Les quotidiens et les magazines syriens ont publié des informations à la une sur Obama – négligeant pratiquement McCain.
Officiellement, la Syrie doit encore commenter la victoire d’Obama, et le Président Bachar al-Assad a été souvent cité au cours de la course présidentielle pour avoir dit que la Syrie attendrait de voir la position prise sur le Moyen-Orient par Obama, une fois installé à la Maison Blanche.
La Syrie était inquiète du soutien appuyé d’Obama à Israël – mais pas surprenant – durant sa visite, il y a quelques mois, à Tel Aviv. Les Syriens n’ont pas oublié le soutien massif que les Arabes ont montré en 2000 à George W. Bush, pensant qu’il serait un bien meilleur président pour les Arabes qu’Al Gore. C’est pourquoi, malgré la conviction universelle non-dite que McCain aurait été un prolongement de Bush et qu’Obama – un homme qui se veut le champion du changement – sera au moins différent.
Les Syriens sont prêts à coopérer avec Obama sur tout un tas de sujets, le premier de la liste étant l’Irak. Selon les propos du ministre syrien des affaires étrangères, Walid al-Mouallem, la Syrie aidera à garantir aux Etats-Unis une "sortie honorable" d’Irak. Damas était très près de suspendre ses relations diplomatiques avec Bagdad, après que le Premier Ministre irakien, Nouri al-Maliki, n’a pas réussi à empêcher la frappe contre la Syrie – qui a été lancée depuis le territoire irakien. Mais la Syrie ne la pas fait, afin de maintenir les canaux ouverts avec l’administration Obama et pour apporter une meilleure sécurité en Irak.
Le nombre de soldats syriens a été réduit à la frontière, mais ils ne se sont totalement retirés, en opposition à cette attaque aérienne, mais la coordination en matière de sécurité avec Bagdad (au niveau ministériel) reste intact, pour empêcher les Djihadistes de traverser la frontière et entrer en Irak.
Si Obama envoie des signaux positifs à la Syrie, les troupes pourront retourner à la frontière irako-syrienne. Le nouvel ambassadeur syrien, Nawaf al-Fares, reste à son poste à Bagdad, où il construit des passerelles avec les Sunnites irakiens (il est originaire d’une tribu importante qui se trouve à cheval sur la Syrie et l’Irak). Le jour de la victoire d’Obama, Assad a reçu une délégation envoyée à Damas par le dirigeant chiite Muqtada al-Sadr. Un grand nombre de dirigeants irakiens – des Chiites, des Kurdes et des Sunnites – se sont rendus en Syrie au cours des quatre dernières années, où ils ont rencontré des responsables syriens qui essayent de jeter des passerelles entre les factions en guerre, en vue d’aider à normaliser et à stabiliser l’Irak.
La Syrie peut aussi toujours utiliser son poids dans la région pour modérer le comportement des acteurs non-étatiques, comme le Hezbollah au Liban et le Hamas en Palestine, et trouver des solutions à l’impasse des Etats-Unis sur le programme nucléaire iranien. Voici ce que les Syriens attendent d’ici 11 semaines, lorsque Obama prêtera serment en tant que président :
* Nomination d’un ambassadeur américain auprès de la Syrie. Ce poste est vacant depuis que les relations se sont détériorées en 2005 sur le Liban et que Margaret Scooby a été rappelée. L’ambassadeur syrien auprès des Etats-Unis, Imad Mustapha, qui a été éconduit par l’administration Bush en raison de la critique que celui-ci avait émise contre la manière dont Bush traitait la Syrie, disposerait d’un plus grand espace de manœuvre.
* Fin de la rhétorique anti-syrienne qui sévit à la Maison Blanche et au Département d’Etat depuis 2003. Cela réduirait automatiquement le sentiment anti-syrien dans les médias américains.
* Reconnaissance de la coopération de la Syrie sur la sécurité frontalière avec l’Irak.
* Coopération avec la Syrie pour s’occuper du problème des 1,5 millions de réfugiés irakiens en Syrie.
* Lever – en temps utile – les sanctions imposées à Damas et abolir le Syrian Accountability Act [la loi américaine qui valide les sanctions contre la Syrie].
* Consentement des Etats-Unis à soutenir des pourparlers de paix indirects avec Israël, lesquels se déroulent actuellement en Turquie. Depuis les débuts de ces pourparlers, en avril 2008, Bush a sèchement refusé son soutien, prétendant que la Syrie était plus intéressée à un processus de paix qu’à un traité de paix. La Syrie est sincère et la nouvelle Maison Blanche doit le reconnaître, pour une solution pacifique au Moyen-Orient. Les Syriens pensent que si les Américains étaient prêts à apporter leur arbitrage honnête et leur garantie, ces pourparlers pourraient être couronnés de succès, ce qui permettrait des négociations directes. La Syrie est déterminée à récupérer le Plateau du Golan occupé (saisi par Israël durant la guerre arabo-israélienne de 1967) et Obama, s’il est sincère à propos d’un changement dans la région, doit aider la Syrie à y parvenir.
* Reconnaissance qu’aucun problème concernant les Palestiniens, les Irakiens et les Libanais ne peut être résolu au Moyen-Orient sans la Syrie. Bush a lancé sa fameuse "feuille de route" pour la paix entre la Palestine et Israël, mais il a contourné les Syriens. Si une nouvelle feuille de route était lancée, la Syrie devrait en faire partie.
* Aide à la Syrie pour combattre le fondamentalisme islamique qui s’est déversé sur son territoire depuis le nord du Liban et depuis l’Irak. L’attaque meurtrière du 27 septembre à Damas – qui a fait près de 40 victimes syriennes – aurait dû alerter les Américains. A moins que les Etats-Unis ne pousse l coopération avec elle, la Syrie pourrait devenir un champ de bataille pour les extrémistes, comme dans les années 80. La coopération en matière de renseignements et d’assistance technique avec les Américains est nécessaire pour enrayer et combattre cette menace islamique.
* Des excuses, un dédommagement et une explication pour l’attaque aérienne contre la Syrie, en octobre 2008, qui a fait huit morts syriens.
* Aide à la normalisation des relations entre la Syrie et les Etats-Unis, au niveau des deux peuples, alors qu’elles ont été tendues depuis Bush est arrivé au pouvoir en [janvier] 2001. Cela comprendrait la délivrance de visas pour les Syriens qui veulent étudier ou travailler aux Etats-Unis.
Lorsque cela sera fait, la Syrie sera prête à ouvrir ses bras à Abou Hussein et le recevra probablement à Damas comme invité d’honneur, de la même manière qu’elle l’avait fait avec Jimmy Carter et Bill Clinton.
Sami Moubayed est rédacteur en chef de Forward Magazine à Damas.
copyright 2008 : Asia Times On Line / Traduction : JFG-QuestionsCritiques.