accueil > archives > éditos


Proche-Orient

Le ton monte en Israël après une saisie d’armes

Par Sami Moubayed
Asia Times Online, le 7 novembre 2009

article original : "Israel up in arms over weapons seizure"

DAMAS – Les ambassadeurs et les diplomates de 44 pays, accompagnés des attachés militaires de 27 nations, ont été emmenés, jeudi soir, vers une base au centre d’Israël pour voir de leurs propres yeux les armes et les munitions saisies mercredi sur le bateau Francop, dans les eaux internationales au large de Chypre.

L’ambassadrice d’Israël auprès des Nations-Unies, Gabriela Shalev, a déposé plainte, jeudi, devant l’Onu, après que des commandos israéliens se sont emparés du Francop qui transportait des tonnes de ce qui est présenté comme des armes fournies par l’Iran, incluant des roquettes et des armes anti-chars, destinées au Hezbollah au Liban.

Il est clair qu’Israël ne laissera pas les choses en l’état et, si l’histoire peut donner une indication, cela pourrait être utilisé comme prétexte pour livrer une nouvelle guerre contre le Hezbollah ou même frapper l’Iran.

Le contre-amiral israélien, Ran Ben-Yehuda, a dit que ces armes transportées par le Francop, battant pavillon Antigua, ont été découvertes derrière une cargaison civile d’au moins 40 containers et étaient suffisantes pour approvisionner le Hezbollah pendant un mois de combats. Elles auraient voyagé depuis l’Iran vers la Syrie, en passant par l’Egypte.

La presse israélienne a fait un grand battage autour de cet événement, disant que cela signalait une victoire sur la Syrie, l’Iran et le Hezbollah. S’exprimant depuis Téhéran, le ministre syrien des affaires étrangères, Walid al-Mouallem, a déclaré que ce bateau « ne transportait pas des armes iraniennes vers la Syrie, seulement une cargaison, rien de plus. » Ses propos ont été fermement repris par le Hezbollah et par son homologue iranien, Manouchehr Mottaki.

La brève déclaration du Hezbollah disait : « Le Hezbollah conteste fermement tout lien avec ces armes que l’ennemi sioniste a saisies sur le Francop. En même temps, le Hezbollah dénonce les actes de piraterie d’Israël dans les eaux internationales. »

A part jeter un doute sérieux sur la sécurité des eaux de la Méditerranée, cet événement soulève plusieurs points.

Les officiels israéliens disent que le trajet du navire a commencé en Iran et qu’il est arrivé, il y a une semaine, à Beyrouth, puis qu’il s’est dirigé vers Damiette en Egypte, où les armes ont été chargées et ont ensuite pris la mer vers le port syrien de Latakieh. Il est cependant difficile de croire que des armes pour le Hezbollah ont été chargées en Egypte. Israël soutient avoir découvert des documents sur le bateau prouvant que ces armes étaient fabriquées par les Iraniens pour le Hezbollah. Pourtant, Israël n’a fourni aucune preuve de ces documents.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a déclaré que cet événement était un crime de guerre, critiquant les Nations-Unies pour n’avoir pas riposté à cet incident. « La communauté internationale devrait se concentrer sur cela », a-t-il dit, « mais, à la place, le monde condamne Israël et les Forces de Défense d’Israël [FDI] et sape notre droit à l’autodéfense. »

Netanyahou a poursuivi : « Le gros de cette cargaison incluait des roquettes destinées à frapper nos citoyens et en tuer autant que possible ». Il a ajouté que cette cargaison d’armes pour le Hezbollah était une « violation flagrante des résolutions du Conseil de Sécurité ».

La référence de Netanyahou aux FDI était le rapport Goldstone mandé par l’ONU et créé pour enquêter sur les crimes de guerre à Gaza durant la guerre israélienne de 2008-2009. Dans ce rapport, qui a fait sensation depuis sa publication à la mi-septembre, Israël et le Hamas sont accusés de crimes de guerre.

Ce rapport condamnait les deux camps dans ce conflit, qui a fait 1300 victimes palestiniennes et 13 victimes israéliennes, mais il était plus critique envers Israël. Jeudi, l’Assemblée Générale de l’ONU a voté qu’Israël et les Palestiniens devraient être exhortés à enquêter sur ces accusations. Cette résolution élaborée par les Arabes n’a pas force de loi.

Des reportages qui circulent en Syrie et au Liban soutiennent qu’Israël a gonflé cette histoire de saisie d’armes pour détourner l’attention du monde du rapport Goldstone. Quant aux résolutions onusiennes, il y en a au moins 60 qui critiquent Israël, depuis les attaques illégales contre ses voisins à l’installation de colonies illégales.

En fin de compte, la rue arabe réalise que les Israéliens, peu importe l’authenticité de leur récit, pourraient s’en servir comme prétexte, soit pour justifier une attaque contre le Hezbollah ou contre l’Iran – ou pour couler le rapport Goldstone.

En 1982, les Israéliens voulaient un prétexte pour frapper l’OLP à Beyrouth. Le secrétaire d’état US, Alexander Haig, refusa fermement de soutenir toute attaque à moins qu’un prétexte valable ne soit trouvé. Il fut créé lorsque des militants palestiniens ont tiré sur l’ambassadeur israélien à Londres, Shlomo Argov, qui est resté paralysé.

Le cabinet israélien s’était réuni pour discuter de cet événement et des hauts-fonctionnaires avaient prévenu le premier ministre d’alors, Ménahem Béguin, que les assassins d’Argov n’étaient pas le Fatah d’Arafat, mais une faction palestinienne rivale, dirigée par le tristement célèbre Abou Nidal. Raphaël Eitan, alors chef d’état-major de Tsahal, avait répliqué, « Abou Nidal, Abou Shmidal. Ce sont tous les mêmes. »

Vingt ans plus tard, en janvier 2002, dans un incident similaire à l’actuelle saisie d’armes, les FDI avaient saisi dans la Mer Rouge un cargo palestinien, le Karine A, qui transportait 50 tonnes d’armes. Israël protesta vivement, en accusant le dirigeant de l’OLP, Yasser Arafat, et le Hezbollah – une autre histoire difficile à croire, étant donné la relation tendue entre Arafat et les combattants libanais. Le dirigeant palestinien enviait la popularité du Hezbollah, considérant qu’ils lui avaient volé, ainsi qu’aux Palestiniens, le « titre de héraut de la résistance ».

Les deux groupes contestèrent ces rapports et Arafat ordonna même qu’une enquête soit diligentée – mais les dégâts avaient été faits. George W. Bush accusa Arafat de mentir et utilisa cet événement pour rompre tout contact avec le président de l’OLP – un boycott qui a duré jusqu’au décès d’Arafat en novembre 2004.

Nous ne savons pas comment se développera l’affaire Francop ou si elle se matérialisera dans une nouvelle confrontation entre le Hezbollah et Israël, quelque chose que Netanyahou envisage depuis son arrivée au pouvoir, il y a neuf mois, insatisfait par les résultats de la guerre de 2006, qui n’a pas réussi à éliminer, à désarmer ou même à affaiblir le parti libanais.

Sami Moubayed est le rédacteur en chef de Forward Magazine en Syrie.

copyright 2009 : Asia Times On Line / Traduction : JFG-QuestionsCritiques.