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Irak

La renaissance politique de Nuri al-Maliki

Par Sami Moubayed
Asia Times Online, le 7 février 2009

article original : "The political re-birth of Nuri al-Maliki"

DAMAS – Le Premier ministre Nuri al-Maliki est sorti vainqueur des élections provinciales en Irak, qui se sont déroulées le 31 janvier dernier. 14.000 candidats au total concouraient pour 440 sièges dans 18 conseils provinciaux, et cinq d’entre eux ont été assassinés pendant la période qui a précédé les élections.

Les résultats préliminaires sont sortis jeudi, mais les résultats finaux seront annoncés le 22 février. Certains Irakiens étaient enchantés des résultats, tandis que d’autres faisaient la tête, espérant la défaite magistrale de Maliki dans ce scrutin. Pendant des semaines, la presse arabe alignée sur l’Arabie Saoudite racontait que Maliki, considéré comme une extension de l’influence iranienne dans le monde arabe, était politiquement fini.

Ils spéculaient qu’avec le Président Barack Obama à la Maison Blanche, la lune de miel de Maliki avec les Etats-Unis prendrait fin d’ici à la mi-juin 2009. En l’absence de tout soutien de la part des Etats-Unis, disaient ces observateurs, il ne serait pas réélu par les Irakiens ordinaires aux élections provinciales.

Ils étaient nombreux dans le monde arabe à ne pas pouvoir cacher leur joie à l’idée de sa déroute politique. Certains affirmaient même avec jubilation que Maliki était un clown sectaire, lequel, depuis son arrivée au pouvoir en 2006, avait fait avancer les intérêts chiites en Irak, aux dépens des Irakiens sunnites. Beaucoup voyaient Maliki comme un larbin à la fois des Etats-Unis et de l’Iran, qui avait transformé des poches de l’Irak en théocratie miniature, basée sur le modèle iranien.

Les résultats préliminaires du 5 février ont prouvé qu’ils avaient tort. Maliki a littéralement « ressuscité ».

L’équipe de Maliki a remporté Bagdad dans une victoire écrasante, ainsi que huit des 9 provinces chiites d’Irak. Quoique l’on en dise, ce fut une sacrée démonstration de confiance vis-à-vis du Premier ministre. Il faut ajouter également que ces élections ont été les plus pacifiques en Irak depuis l’invasion anglo-américaine de 2003 – un fait remarqué par tout le monde, y compris par Obama.

Plus de 50% des Irakiens se sont rendus aux urnes le 31 janvier, montrant ainsi la confiance qu’ils accordaient dans les mesures de sécurité prises par le Premier ministre (la participation a toutefois été moindre qu’en 2005, où elle avait atteint 55,7%). Maliki ne se présentait pas lui-même, mais il a mis tout son poids derrière son équipe qui se présentait sous les couleurs de « la Coalition de la Loi et de l’Ordre ».

Bien qu’issu d’un parti prêchant l’Islam politique, ni le Premier ministre ni personne dans son équipe n’a fait campagne sur des slogans religieux, dans une tentative d’appel à la fois aux Sunnites et aux Chiites. Ce déplacement vers la laïcité a été reçu chaleureusement par les Irakiens, surtout les jeunes, qui semblent finalement repus de la violence sectaire qui a été une menace constante depuis 2003. Beaucoup voulaient une narration politique nouvelle et, assez étrangement, celui qui l’a délivrée était Maliki.

Selon les résultats électoraux, l’équipe de Maliki a remporté 38% des voix à Bagdad et 37% dans la ville pétrolière de Bassora. Les alliés de Maliki au Conseil Islamique Irakien Suprême (CIIS), qui s’étaient lourdement reposés sur des slogans religieux (comme ils l’avaient fait durant les élections de 2005), ont été étonnamment sanctionnés par lse urnes dans 7 des 10 provinces qu’ils contrôlaient précédemment.

Le bloc politique de l’ecclésiastique chiite Muqtada al-Sadr, qui a lui aussi utilisé des slogans religieux durant sa campagne, a perdu de façon similaire, avec moins de 30.000 voix à Bassora, une ville qu’il contrôlait fermement depuis 2003. On s’attend à ce que l’équipe de Sadr obtienne un ou deux sièges à Bassora, un nouveau revers majeur pour les politiciens dont la motivation est religieuse. Les partis laïcs ont fait un meilleur score que ce que l’on attendait, montrant que le vote pour des personnalités religieuses – la tendance en 2005 – pourrait à présent s’estomper.

Ce fut le résultat le plus important des élections irakiennes : Une réduction visible de la loyauté religieuse et son remplacement par les pan-irakiens. A un niveau, ces résultats ont été une défaite pour le CIIS, tandis qu’à un autre ils sont considérés comme un revers majeur pour l’Iran. Les relations de l’Iran avec le CIIS remontent aux années 80, lorsque la milice du CIIS, la Brigade Badr, fut fondée et armée par les Iraniens pour aider à combattre l’armée irakienne entre 1980 et 1988. Le dirigeant mal en point du CIIS, Abdul-Aziz al-Hakim, est très proche des plus hautes instances du pouvoir à Téhéran et sa défaite dans de telles élections est à prendre au sérieux.


Les raisons du succès, qui pourraient expliquer pourquoi le Premier ministre se réjouit, sont les suivantes :

La participation sunnite

Les Sunnites ont participé aux élections, ce qui explique pourquoi ils ont réussi à s’assurer des positions importantes dans des districts auparavant violents, comme Ninive et Anbar. En 2005, la communauté sunnite avait largement boycotté l’élection pour protester de leur statut après la chute de Saddam Hussein. Plus que n’importe qui d’autre, Maliki les avait encouragés à participer activement en 2008, parce qu’une forte participation signifiait une meilleure sécurité et que cela lui serait attribué. À cause du précédent boycott, par exemple, Ninive était contrôlée par les Kurdes depuis 2005.

Ninive se trouve désormais de nouveau entre les mains des Sunnites irakiens. A Anbar, la victoire se répartie entre les laïcs, les Sunnites, les Irakiens islamiques et les dirigeants de partis et de tribus qui sont membres des Comités d’Eveil. Lorsque des notables d’Anbar ont accusé le gouvernement de fraude électorale, l’adjoint de Maliki, Rafaa al-Issawi, a demandé le 4 février le recomptage des voix afin d’éviter que les partis sunnites ne claquent la porte en signe de protestation. Il y a eu une confusion majeure à Anbar, où les dirigeants tribaux ont soutenu qu’ils seraient arrivés en tête du scrutin s’il n’y avait eu 100.000 bulletins prétendument illégaux en faveur de leurs rivaux, le Parti Islamique.

Ahmad Abou Risbeh, le dirigeant des Comités d’Eveil, l’a dit franchement : « Ne nous accusez pas si nous menaçons de recourir à l’usage des armes. C’est le destin. Cela doit être ou ne pas être », ajoutant, « Ce n’est pas la démocratie. C’est un abus de démocratie. » Maliki a fait en sorte que cette crise ne fasse pas boule de neige à Anbar.

Un nouveau Saddam Hussein

La volonté de Maliki d’imposer des mesures strictes de sécurité, qui ont déclenché une série de critiques au cours des semaines précédant les élections (nombreux sont ceux qui l’ont accusé de devenir un autre Saddam), a conduit à des résultats favorables dans ces élections. Maliki a réalisé que pour que l’Irak se ressaisisse, la sécurité était plus importante que la démocratie et la stabilité dans la rue était plus importante que la réputation.

Maliki est allé jusqu’à sévir lourdement – et sérieusement, cette fois-ci – dans les foyers des milices chiites, comme à Bassora, Maysan et Diyala. Il n’a même pas épargné les bidonvilles de Sadr City, qui sont contrôlés par son ancien allié Muqtada al-Sadr, qui contrôle 30 sièges au parlement.

L’Amérique d’Obama

S’exprimant, la semaine dernière, devant le Centre de la Presse Irakienne, Maliki a marqué encore des points aux yeux des Irakiens ordinaires, en disant que les troupes étasuniennes pourraient commencer à se retirer des villes avant juillet 2009 et de tout l’Irak avant 2011.

Cela a été doux aux oreilles des Irakiens ordinaires. Maliki a déclaré : « La nouvelle administration des Etats-Unis a envoyé des messages sur ses plans de retraite des forces étasuniennes, en préliminaire à une programmation mutuellement acceptée. C’est quelque chose que nous considérons comme bon et nous sommes prêts à tout engagement politique ou militaire auquel l’Irak ferait face dans la phase à venir. »

Ensuite, il a rendu une visite de courtoisie au Grand Ayatollah Ali al-Sistani, l’ecclésiastique chiite de plus haut rang en Irak, et, après avoir reçu sa bénédiction, il a annoncé que les troupes irakiennes étaient prêtes à combler le vide laissé derrière elles par les forces étasuniennes. Maliki a ensuite reçu un appel d’Obama, qui a discuté du retrait des troupes et l’a félicité pour sa victoire électorale.

Une meilleure sécurité et, par conséquent, plus de reconstruction, d’emplois et de meilleurs salaires pour ses concitoyens, le tout complété par une nouvelle relation de travail avec l’Amérique d’Obama, pourraient expliquer pourquoi Maliki est sorti victorieux des urnes cette semaine, alors que la plupart des observateurs irakiens annonçaient, depuis février 20008, que ses jours étaient comptés à la tête du gouvernement.

Jeudi dernier, alors que la victoire semblait trop belle pour durer, un poseur de bombe kamikaze a déclenché sa bombe dans un restaurant populaire dans la ville kurde de Khanaqin, tuant au moins 15 personnes. Cette attaque – l’une des plus violentes depuis des semaines – a ébranlé le cabinet du Premier ministre, lui rappelant qu’après la victoire, le véritable travail concerne la sécurité, qui semblait stable avant, durant et juste après les élections, parce qu’elle pourrait disparaître en une minute de folie.

Sami Moubayed est le rédacteur en chef de Forward Magazine en Syrie.

copyright 2009 : Asia Times On Line / Traduction : JFG-QuestionsCritiques.