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Indiana Jones rencontre le Da Vinci Code

Par Spengler

Asia Times Online, le 15 janvier 2008
article original : "Indiana Jones meets the Da Vinci Code"

Les observateurs de l'Islam ont blogué pendant tout le week-end à propos d'informations selon lesquelles une archive secrète de textes anciens islamiques avait fait surface après 60 ans de dissimulation. Andrew Higgins du Wall Street Journal rapporte que l'enregistrement photographique de manuscrits coraniques, censés avoir été détruits durant la Deuxième Guerre Mondiale mais occultés par un érudit aux supposées sympathies nazies, se lit comme un croisement du Da Vinci Code et d'Indiana Jones et la Dernière Croisade.

Le Da Vinci Code a proposé une histoire fantastique dans laquelle l'Opus Dei, des moines homicides et des milliardaires tordus couraient après la preuve que la Chrétienté était bidon. Mais l'histoire de l'archive photographique de l'Académie des Sciences Bavaroise, à présent bien installée dans une chambre forte à Berlin, est un cas de vie imitant un art vraiment effroyable. Il y a même des Nazis. "Je déteste ces types !" disait Indiana Jones.

Bien sûr, personne ne va produire de preuve que Jésus ne s'est pas levé de sa tombe trois jours après la Crucifixion. L'humanité choisira de croire ou non que Dieu s'est révélé lui-même de cette façon. Mais l'Islam est en danger par un effet du type Da Vinci Code, parce que dans l'Islam la révélation de Dieu lui-même a pris la forme, non pas de l'Exode, ni de la révélation au Mont Sinaï, ni de la Résurrection, mais plutôt d'un livre, nommément le Coran. L'Encyclopédie de l'Islam (1982) observe : "L'analogie la plus proche dans la croyance chrétienne par rapport au rôle du Coran dans la croyance musulmane n'est pas la Bible, mais le Christ". Le Coran n'est pas à lui seul l'événement révélateur dans l'Islam.

Et si les érudits peuvent prouver sans aucun doute possible que le Coran n'a pas été dicté par l'Archange Gabriel au Prophète Mahomet au cours du 7ème siècle, mais qu'il fut plutôt rédigé par des auteurs plus tardifs, puisant dans diverses sources chrétiennes et juives ? Cela équivaudrait précisément à prouver que le Jésus Christ des Evangiles était vraiment un composite de plusieurs personnes, dont certaines ont vécu un ou deux siècles plus tard.

Il y a longtemps que l'on sait que des copies différentes du Coran existent, y compris certaines qui ont été découvertes en 1972, dans une tombe de parchemins à Sanaa au Yémen. Ce fut le sujet d'un article en couverture de l'Atlantic Monthly en janvier 1999. Avant que les autorités yéménites ne ferment la porte aux spécialistes occidentaux, deux universitaires allemands, Gerhard R Puin et H C Graf von Bothmer, ont fait 35.000 copies sur microfilms, qui reposent à l'Université de la Sarre. Un grand nombre d'érudits pensent que l'archive allemande, qui inclut les photocopies de manuscrits remontant aussi loin qu'à 700 après JC, apportera plus de preuves de la variation du Coran.

L'histoire de cette archive se lit comme une version islamique du Da Vinci Code. On ne sait pas trop pourquoi son existence a été occultée pendant 60 ans, ni pourquoi elle fait surface aujourd'hui, ou quand les spécialistes auront un accès libre à ce document. Le compte-rendu d'Higgins commence ainsi :

Dans la nuit du 24 avril 1944, des bombardiers de la Royal Air Force ont pilonné un ancien collège jésuite qui abritait l'Académie des Sciences Bavaroise. Le bâtiment datant du 16ème siècle s'effondra dans cet enfer. Parmi les trésors perdus, s'est lamenté plus tard Anton Spitaler, un spécialiste du monde arabe de cette académie, se trouvait une archive photographique unique d'anciens manuscrits du Coran.

Les 450 pellicules avaient été assemblées avant la guerre pour une aventure audacieuse : une étude de l'évolution du Coran, des textes que les Musulmans considèrent comme la transcription mot à mot de la parole de Dieu. Leur destruction au cours de la guerre rendit ce projet "absolument impossible", écrivait M. Spitaler dans les années 70.

M. Spitaler mentait. Les photos avaient survécu et il les gardait cachées depuis tout ce temps. La vérité ne fait que sortir maintenant au compte-gouttes pour les érudits - et un programme de recherche sur le Coran, enterré pendant plus de 60 ans, est sorti de la tombe. On ne sait pas pourquoi Spitaler a caché cette archive, mais les critiques coraniques, qui mettent en doute la version musulmane reçue, ont une idée sur ses motivations. Voici ce qu'Higgins rapporte :

"Toute la période après 1945 a été empoisonnée par les Nazis", dit Günter Lüling, un érudit qui a été expulsé de son université dans les années 70 après avoir avancé des théories hétérodoxes à propos des origines du Coran. Sa thèse de doctorat argumentait que le Coran avait été pompé en partie dans des cantiques chrétiens. Blackboulé par Spitaler, Lüling perdit son emploi de professeur et se lança dans une bataille judiciaire vaine de six ans pour être réintégré. Me quereller avec le Coran, dit-il, "a ruiné ma vie".

Il a écrit des livres et des articles chez lui, financés par sa femme, qui prit un travail dans une pharmacie. Invité par un journal français à écrire un article sur les Orientalistes allemands, Lüling se rendit à Berlin pour examiner les archives de guerre. Les Orientalistes allemands de premier plan après la guerre, dit-il, "étaient tous liés aux Nazis".

Pourquoi les Nazis étaient-ils si pressé de supprimer la critique coranique ? Le plus probable est que la réponse se trouve dans leur alliance avec des dirigeants islamistes, qui partageaient leur haine des Juifs et cherchaient aussi une force d'appui contre les Anglais au Moyen-Orient. Le plus récent des nombreux livres écrits sur ce sujet, Jihad and Jew-Hatred [Le Djihad et la Haine des Juifs] de Matthias Kuntzel, a été critiqué dans le New York Times du 13 janvier par Jeffrey Goldberg, qui écrit :

Kuntzel livre un argument audacieux et conséquent : la dissémination des modèles européens de l'antisémitisme auprès des Musulmans ne fut pas un hasard, mais un réel programme du Parti Nazi, destiné à retourner les Musulmans contre les Juifs et le Sionisme. Il dit que dans les années qui ont précédé la Deuxième Guerre Mondiale, deux dirigeants musulmans, en particulier, ont porté volontairement et en connaissance de cause l'idéologie nazie aux masses musulmanes. Il s'agissait de Hadj Amin al-Husseini, le mufti de Jérusalem, et de l'Egyptien proto-islamiste Hassan al-Banna, le fondateur des Frères Musulmans.

Il pourrait s'écouler beaucoup de temps avant que le contenu des archives bavaroises ne soit connu. Certains critiques du Coran, en particulier l'érudit qui écrit sous le pseudonyme "Ibn Warraq", prétendent que la Professeure Angelika Neuwirth, la gardienne de ces archives, en a refusé l'accès aux érudits qui s'éloignent de l'interprétation traditionnelle [du Coran]. Neuwirth admet qu'elle a eu ces archives depuis 1990. Elle dispose du financement pour18 années d'études sur les archives bavaroises et on ne sait pas trop qui y aura accès.

Lorsque l'article de l'Atlantic Monthly sur la critique du Coran a paru il y a neuf ans, l'auteur Toby Lester s'attendait à de premiers résultats sur les découvertes yéménites.

Von Bothmer, Puin et d'autres érudits auront finalement une chance de scruter ces textes et de publier librement leurs découvertes - une perspective qui ravit Puin. "Tant de Musulmans ont cette croyance que tout ce qui est écrit entre les deux couvertures du Coran est juste la parole inaltérée de Dieu", dit-il. "Ils aiment citer le travail de texte qui montre que la Bible a une histoire et qu'elle n'est pas directement descendue du ciel mais, jusqu'à présent, le Coran a échappé à cette discussion. Le seul moyen de se frayer un passage à travers ce mur est de prouver que le Coran a lui aussi une histoire. Les fragments de Sanaa nous aideront à le faire".

En 2005, Puin a publié un recueil d'articles sous le titre, Die dunklen Anfange. Neue Forschungen zur Entstehung und fruhen Geschichte des Islam ("Les débuts sombres : Une nouvelle recherche sur les origines et l'histoire du début de l'Islam", Hans Schiller Verlag, 2005). Ils ont été puisés dans les travaux du philologue allemand écrivant sous le pseudonyme "Christoph Luxenburg", qui a cherché à prouver que des passages incompréhensibles du Coran furent écrits en Araméen syriaque plutôt qu'en Arabe. La thèse de Luxenburg est devenue célèbre avec son explication selon laquelle les "vierges" fournies aux Djihadistes islamiques au paradis n'étaient que des raisins secs. Le Coran, selon les recherches de Puin et de ses associés, a copié un gros paquet de documents chrétiens existants.

A part un petit groupe à l'Université de la Sarre et une poignée d'autres, l'Académie Occidentale déteste toutefois l'idée d'approcher cette question. Aux Etats-Unis, où les Etudes Arabes et Islamiques reposent sur le financement des Etats du Golfe, un intérêt dans la critique du Coran est un moyen sûr de commettre un suicide de carrière.

Neuwirth a mené l'attaque contre "Christoph Luxenburg" et les autres critiques du Coran, qui contestent la version traditionnelle musulmane. Selon Higgins, "Mme Neuwirth, l'experte berlinoise du Coran, et M. Marx, son directeur de recherche, ont essayé d'expliquer ce programme au monde musulman lors de voyages en Iran, en Turquie, en Syrie et au Maroc. Lorsqu'un journal allemand a vanté, en automne dernier, les mérites de leur travail en une et prédit qu'il 'renverserait des dirigeants et ferait tomber des royaumes', M. Marx a appelé le réseau de télévision al-Jazeera et d'autres médias pour nier toute attaque contre les dogmes de l'Islam".

Malgré ses meilleurs efforts pour rassurer l'opinion islamique, rapporte Higgins, Neuwirth a marché toute seule sur un champ de mines. "Mme Neuwirth, bien que considérée comme respectueuse de la tradition islamique, s'est vue raillée par la suspicion arabe vis-à-vis des érudits Occidentaux. Elle a été licenciée d'un poste d'enseignante en Jordanie pour, dit-elle, avoir mentionné un érudit révisionniste radical lors d'un cours en Allemagne".

Jusqu'à présent, cette histoire rappelle la fin d'un autre film d'Indiana Jones (Les Aventuriers de l'Arche Perdue), dans lequel l'Arche d'Alliance est remisée dans un immense entrepôt, sans doute pour ne plus jamais être touchée. Le monde musulman continuera de traiter la critique coranique comme un risque existentiel et appliquera toute la pression nécessaire pour la décourager - y compris sans doute les moines albinos.

Mais ce n'est pas la fin du problème. Le monde islamique est obligé d'adopter une position ouvertement irrationnelle, employant sa puissance pour intimider les érudits et entraver la recherche de la vérité. Il est impossible pour les Musulmans de proposer un dialogue avec les religions occidentales, ainsi que 38 érudits islamiques l'ont fait le 13 octobre dans une lettre adressée au Pape Benoît XVI et à d'autres responsables chrétiens, où ils ont exclu de la discussion toute critique du texte [coranique].

C'est précisément pour cette raison que les dirigeants de l'Eglise voient peu de bases pour un dialogue avec l'Islam. Le Cardinal Jean-Louis Tauran, qui dirige le Conseil Pontifical pour le Dialogue Inter-Religieux, a déclaré au quotidien français La Croix : "Les Musulmans n'acceptent pas de discussion au sujet du Coran parce qu'ils disent qu'il a été écrit sous la dictée de Dieu. Avec une telle interprétation prédestinée, il est difficile de discuter du contenu de la foi".

Sur tout Internet, des sites islamistes dénoncent le travail d'une poignée d'érudits marginalisés comme évidence d'un complot par des missionnaires chrétiens pour saboter l'Islam. Ce que le monde musulman ne peut pas cacher est sa vulnérabilité et sa peur face à la critique coranique. Dans les grandes batailles pour les conversions à travers le Sud Mondialisé, ceci pourrait se révéler être un désavantage paralysant.

Copyright 2008 Asia Times Online Ltd/Traduction : JFG-QuestionsCritiques.