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"Guerre contre la terreur"

Le Pakistan fait un pas en arrière

Par Syed Saleem Shahzad

Asia Times Online, 12 janvier 2008
article original : "Pakistan takes a step backwards"

KARACHI - À un moment où les institutions nationales pakistanaises à la tête du pouvoir soupçonnent l'existence de plans internationaux pour introduire la controverse dans le programme nucléaire pakistanais, le repositionnement de la politique étrangère de ce pays, qui deviendrait neutre vis-à-vis de la"guerre contre la terreur" menée par les Etats-Unis, est prise sérieusement en considération.

Cela signifierait une non-interférence dans les zones tribales indépendantistes à la frontière avec l'Afghanistan. Ce sont virtuellement des zones autonomes où les activistes Taliban et d'al-Qaïda ont établi des bases et des lignes vitales d'approvisionnement en Afghanistan.

Un tel changement aurait des effets dévastateurs sur les efforts de l'OTAN visant à contrôler l'insurrection toujours plus grande en Afghanistan.

A la suite d'une réunion du corps des commandants pakistanais, organisée par le nouveau chef d'état-major de l'armée, le Général Ashfaq Kiani, un communiqué de presse a déclaré que la situation dans les zones tribales serait passée en revue et, plutôt que de parler de plans pour des opérations militaires, là-bas, contre les partisans de la lutte armée, ce communiqué a déclaré que les décisions de l'armée se baseraient sur "les souhaits de la nation".

Cette nouvelle réflexion d'Islamabad a été provoquée par la violence et la crise politique qui a résulté de l'assassinat de l'ancien Premier ministre Benazir Bhutto, à Rawalpindi le mois dernier. En retour, cela a alimenté une intense spéculation dans les médias occidentaux sur la possibilité que l'arsenal nucléaire du Pakistan tombe entre les mains des partisans de la lutte armée.

Très récemment, Mohammed El-Baradei, le chef de l'agence de surveillance atomique des Nations-Unies, l'Agence Internationale à l'Energie Nucléaire, a exprimé les inquiétudes concernant cette possibilité. "Je crains le chaos … un régime extrémiste pourrait s'enraciner dans ce pays, qui possède de 30 à 40 têtes nucléaires", a dit El-Baradei au quotidien pan-arabe al-Hayat.

De tels commentaires sont perçus dans les milieux stratégiques du Pakistan comme une malice délibérée de la part de l'Occident. D'un côté, l'Ouest insiste pour qu'Islamabad attaque lourdement les partisans de lutte armée, mais lorsque cela se produit, les agitateurs s'en prennent au gouvernement. L'Occident pointe alors du doigt le problème de l'extrémisme croissant et fait la projection sur le danger posé par l'arsenal du Pakistan.

L'ancien chef du puissant Inter-Services Intelligence [les services secrets pakistanais] et ancien ambassadeur auprès de l'Arabie Saoudite et de l'Allemagne, le général de corps d'armée à la retraite, Assad Durrani, a déclaré à l'Asia Times Online, "Je considère que de telles déclarations [à propos de l'arsenal nucléaire du Pakistan] ne valent même pas la peine d'être commentées. Ce sont des questions réglées, tout débat sur des questions réglées est inutile. Washington a conscience des mécanismes de protection de ces armes. Il n'y a nul besoin de réagir. Ces réactions ne font que générer de la confusion et il n'y a pas besoin d'être troublé par l'arsenal nucléaire du Pakistan. Il se trouve entre des mains sûres".

Durrani, qui participe régulièrement à des sessions internationales des groupes de réflexion britanniques et américains, a déclaré que les opérations militaires du Pakistan dans les zones tribales qui font partie de la "guerre contre la terreur" avaient eu comme résultat de générer des problèmes dans les villes pakistanaises.

Questionné sur la conférence du corps des commandants et la possibilité d'un dialogue de paix entre les tribus et le gouvernement au lieu d'opérations militaires, Durrani a dit : "Je ne connais pas l'ordre du jour exact de la conférence, mais vous ne pouvez pas me parler de quelque désaccord que ce quoi n'importe où dans le pays sur le fait que le Pakistan devrait rejeter les opérations militaires et initier le dialogue".

Durrani, qui a participé aux efforts de paix conjoints entre le Pakistan et Afghanistan dans la ville pakistanaise de Peshawar l'année dernière, a poursuivi : "Personne n'est favorable à des opérations [militaires], pas même ceux qui mènent actuellement ces opérations. Même les gens de [la ville portuaire] de Karachi, qui sont considérés comme étant ultra-libéraux, [sont contre les opérations] et, sur l'opération contre la Mosquée Rouge, j'ai découvert qu'ils disaient qu'elle est irrationnelle". Durrani se référait aux forces de sécurité prenant d'assaut la mosquée radicale à Islamabad l'année dernière pour déloger les activistes.

Si le Pakistan devait réduire ou arrêter ses opérations dans les zones tribales, où il a des milliers de soldats, les Etats-Unis pourraient être forcés d'agir. Des rapports ont tourné depuis un certain temps sur des projets étasuniens d'entreprendre des opérations agressives secrètes à l'intérieur du Pakistan.

L'administration de George W Bush est inquiète à la suite de rapports des services de renseignement qui suggèrent qu'al-Qaïda et les Taliban intensifient leurs efforts pour déstabiliser le gouvernement pakistanais. Des rapports disent que la Secrétaire d'Etat US Condoleeza Rice, le vice-Président Dick Cheney et des conseillers de premier plan sur la sécurité nationale se sont rencontrés pour discuter de cette proposition, qui fait partie d'une large réaffirmation de la stratégie étasunienne à la suite de la mort de Bhutto. Bhutto a été promue par Washington comme visage libéral acceptable pour adoucir l'image du Président Pervez Musharraf et de son administration.

Cette réunion a aussi discuté de la manière de faire face à la période qui court de maintenant jusqu'aux élections générales du 18 février et l'après immédiat de ces élections. On rapporte que plusieurs des participants ont affirmé que la menace contre le gouvernement de Musharraf est à présent si grave que tant celui-ci que la nouvelle direction militaire donneront probablement plus de latitude aux Etats-Unis. Les investigations de l'Asia Times Online suggèrent que le Pakistan puisse se soumettre aux exigences étasuniennes et mener des opérations dans les zones tribales, mais, au mieux, ils seront un peu mous.

Maulana Fazlur Rehman, l'ancien chef de l'opposition au Parlement, et probablement l'ecclésiastique le plus ardemment pro-Taliban dans le pays, a dit à l'Asia Times Online : "Il y a beaucoup d'informations qui circulent à propos d'opérations dans les zones tribales. Tout le monde parle d'une mobilisation des troupes dans les jours à venir pour une opération militaire spectaculaire au Waziristân [zone tribale], qui se résumerait à une guerre totale.

"Une conséquence logique [d'une telle opération] serait un délai dans le processus électoral. Mais, croyez-moi, nous connaissons une situation extrêmement normale dans les zones tribales, et particulièrement au Waziristân. Tout est normal et je ne pressens aucune opération de la part de l'armée pakistanaise. Je ne peux pas parler d'une initiative américaine, mais en ce qui concerne l'armée pakistanaise, je ne vois aucune escalade".

Rehman est le chef du Jamaat-ul-Ulema Islam Pakistan (Le Parti Islamique des Chefs Religieux) et fut le meneur principal derrière les accords de paix de 2006 entre les Taliban du Pakistan et les troupes de l'OTAN en Afghanistan. Le résultat fut un accord pour commencer les jirgagai (petits conseils tribaux), qui donneraient pour la première fois une représentation aux Taliban. Ce processus a été stoppé lorsque l'armée pakistanaise a commencé des opérations intensives pour combattre la lutte armée dans la Vallée de Swat, dans la Province Frontière du Nord-Ouest vers la fin de l'année dernière.

"Bien que le gouvernement ne m'ait pas contacté pour une médiation, je vous dis que je ne prévois aucune opération dans les zones tribales - si cela se produit, ce serait le résultat d'une pression immense de la part des Etats-Unis - et il n'y a aucune indication que le Pakistan veuille cela", dit Rehman.

"Ceci a été notre position de principe, que l'on doive donner une chance à la paix, et c'est pourquoi mon parti et moi-même avons toujours essayé d'obtenir la réconciliation. Cependant, je sens que certains intérêts particuliers ne veulent pas la paix dans la région", a répondu Rehman à une question sur les chances de succès d'un dialogue entre les Taliban et l'OTAN.

"Les opérations militaires au Pakistan et en Afghanistan n'ont engendré que l'extrémisme. Le Pakistan devrait éviter cela. L'Occident devrait apprendre les leçons sur ces jours de l'Inde britannique, lorsque l'empire est resté éloigné des zones tribales et a même signé un accord pour [reconnaître] la nature indépendante des zones tribales. Le Pakistan respecte lui aussi ce même accord avec les tribus", dit Rehman.

De façon ironique, tandis que les Etats-Unis parlent d'opérations militaires contre al-Qaïda et les Taliban et que le Pakistan penche pour des accords de paix, al-Qaïda, elle-même, est opposée à toute ouverture de paix dans les zones tribales. Ceci, dans un sens, place al-Qaïda et les Etats-Unis dans le même camp. Il y a quelques jours, al-Qaïda a tué neuf chefs tribaux qui essayaient de passer des accords de paix.

Un analyste de premier plan en matière de sécurité à fait ce commentaire à Asia Times Online, sous réserve de préserver son anonymat, "Le Pakistan est une fois de plus à un carrefour étrange, où ses intérêts nationaux sont en jeu. Nous avons été sous une pression immense de la part des Etats-Unis, qui a eu pour conséquence de nous faire abandonner notre politique nationale afghane [le soutien des Taliban]. A cause de l'énorme pression américaine, nous n'avons réellement aucune option. Mais il faudrait rappeler que nous n'avons pas succombé à la question du Cachemire. Nous avons fait un compromis sur notre soutien à l'opposition armée des Cachemiris contre les forces indiennes, mais pas totalement. Et je pense que le temps est venu pour nous de reconsidérer nos options et nos priorités dans la région".

Washington pourrait être dans le processus de perdre un ami.

Syed Saleem Shahzad est le chef du bureau au Pakistan de l'Asia Times Online.

Copyright 2007 Asia Times Online Ltd/Traduction : Questionscritiques