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Les Taliban reçoivent un coup de poignard dans le dos

Par Syed Saleem Shahzad
Asia Times Online, publié le 26 avril 2008

article original : "Taliban bitten by a snake in the grass"

KARACHI - Les Taliban et leurs associés d'al-Qaïda, dans ce qu'ils ont considéré comme un coup de maître, ont commencé cette année à cibler les lignes d'approvisionnement de l'alliance occidentale vers l'Afghanistan, qui passent par le Pakistan.

Leur point de convergence était Khyber Agency, dans les Zones Tribales pakistanaises administrées au niveau fédéral, un point de transit clé pour jusqu'à 70% des approvisionnements de l'alliance, nécessaires pour maintenir son combat contre l'insurrection afghane.

L'attentat spectaculaire du 20 mars dernier de 40 citernes d'essence à Torkham - le passage frontalier de Khyber Agency vers la province afghane de Nangarhar - a envoyé des ondes de choc dans toute la coalition de l'OTAN. A tel point qu'elle a dû passer un accord pour qu'une partie des approvisionnements transitent par la Russie, un itinéraire beaucoup plus ardu.

Le succès de Torkham a été suivi d'une quantité d'attaques plus petites, et le plan des Taliban semblait se dérouler mieux que ce qu'ils pouvaient espérer.

Puis est arrivé l'incident de cette semaine, dans lequel les Taliban ont enlevé deux membres du Programme Alimentaire Mondial (PAM) à Khyber Agency, et il est devenu évident que les Taliban avaient été trahis, et tout cela pour la somme princière de 150.000 dollars.

Leurs rêves concernant Khyber sont à présent presque réduits à néant.

Avec des amis comme cela…

Lorsque la nouvelle tactique des Taliban a fait surface, la CIA - dont la communauté de renseignements pakistanaise dit que c'est au Pakistan qu'elle maintient sa plus grosse présence en Asie du Sud - est passée à l'action et a fomenté son propre coup.

Mais revenons en arrière dans cette histoire…

Après avoir subi une intense pression dans leurs fiefs traditionnels des zones tribales du Nord- et du Sud-Waziristân, al-Qaïda et les Taliban ont organisé une shura (conseil) commune. Cette réunion a conclu qu'ils devaient se méfier particulièrement des membres de tribus et des partis politiques locaux, qui étaient bien trop prêts à se laisser acheter dans la quête étasunienne pour mettre la main sur Oussama ben Laden et son adjoint, Ayman al-Zawahiri. Ce conseil a cité l'exemple de l'Irak, où la politique étasunienne consistant à courtiser les tribus sunnites pour qu'elles se retournent contre al-Qaïda a connu un net succès.

A ce stade, le conseil a eu l'idée de prendre l'initiative et de tourner l'attention des Taliban et d'al-Qaïda sur Khyber Agency dans l'objectif de saigner la coalition occidentale sans avoir à lancer des batailles majeures.

En théorie, c'était astucieux, mais il y avait des difficultés pratiques : Khyber Agency est l'endroit le plus improbable pour une "Talibanisation". La majorité de la population est constituée de Musulmans brelvi-soufistes, traditionnellement opposés à la pensée Deobandi des Taliban et à l'idéologie salafiste d'al-Qaïda. Etant un itinéraire historique pour les armées et les commerçants, la population est politiquement libérale et pragmatique, ne se laissant pas facilement influencer par l'idéologie idéaliste et utopique des Taliban et d'al-Qaïda.

Les Taliban ont donc envoyé leurs propres corps de combattants, rassemblés depuis d'autres zones tribales, et ils ont fait venir Oustad Yassir, un chef afghan de poids, d'Afghanistan. Ces combattants essentiellement pachtounes considèrent les tribus Afridi et Shinwari, les autochtones de Khyber Agency, comme matérialistes et non idéologiques, mais, un hôte local était tout de même essentiel à leur opération.

Les Taliban ont dragué l'un des rares Salafistes de la zone, Hadji Namdar, pour qu'il soit leur aiguilleur. Namdar n'est pas un membre traditionnel de tribu, c'est un commerçant qui a travaillé en Arabie Saoudite. Son idéologie salafiste et le fait qu'il soit un Musulman pratiquant lui a conféré de la crédibilité - il était digne de confiance - aux yeux des Taliban.

Namdar s'est embarqué dans cette affaire, offrant de fournir aux Taliban un refuge pour leurs hommes, leur armes et leurs approvisionnements, le long de la route principale conduisant à la zone frontalière. Il a fait ces promesses dans sa propre maison.

Les Américains étaient parfaitement conscients des desseins des Taliban à Khyber Agency et ils avaient investi un grand nombre de tribus pour protéger cet itinéraire. En riposte, les Taliban avaient menacé les chefs de tribus et lancé une attaque suicide contre une jirga(une réunion) réunie pour discuter d'éradiquer les Taliban de la région. Plus de 40 membres de tribus ont été tués.

Le secrétaire d'Etat adjoint John Negroponte s'est aussi rendu à Khyber Agency pour rencontrer les chefs, mais, par peur des Taliban, seulement six anciens des tribus se sont manifestés. Il semblait que la manœuvre des Américains avait été déjouée, mais ceux-ci n'avaient pas dit leur dernier mot.

En tout cas, avec l'arrangement que les Taliban avaient passé avec Namdar, tout était prêt, et ils ont intensifié progressivement leurs attaques contre les convois se dirigeant vers l'Afghanistan, conduisant à la capture des deux membres du PAM et de leur véhicule, lundi dernier.

Les choses commencent à aller de travers

Au contraire des précédentes attaques des Taliban dans cette zone, les forces paramilitaires locales se sont lancées à la poursuite des Taliban après cet incident. Les Taliban ont riposté et cinq soldats ont été tués, mais ensuite ils se sont retrouvés à court de munitions et ils ont libéré les deux travailleurs humanitaires et ont essayé de fuir, mais ils ont été bloqués.

Les Taliban ont appelé des renforts, mais les soldats paramilitaires aussi, et ils sont arrivés à une impasse. Au bout du compte, les Taliban ont réussi à capturer un agent politique local (représentant le gouvernement central) et ils se sont servis de lui comme otage pour assurer leur fuite.

Ils se sont retirés vers leurs diverses cachettes, mais à leur horreur, les troupes paramilitaires les y attendaient et un grand nombre de Taliban ont été arrêtés, et leurs caches d'armes saisies. Toutefois, beaucoup de Taliban ont réussi à s'échapper une fois que ce qui se tramait a été su.

La seule personne qui était courant de ces caches était Namdar, leur présupposé protecteur : ils avaient été vendus.

Leurs pires soupçons ont été confirmés lorsque Namdar est sorti au grand jour et a annoncé sur une radio locale que les chefs Taliban, dont Oustad Yassir, devraient se rendre ou faire face à un "massacre", comme cela s'est produit lorsque les tribus locales se sont retournées contre les combattants ouzbeks au Waziristân-Sud en janvier 2007.

Namdar a dit qu'il avait derrière lui tout le poids des forces de sécurité et qu'il ne craignait aucune attaque suicide.

Al-Qaïda et les Taliban ont immédiatement convoqué une shura d'urgence au Waziristân-Nord pour passer cette situation en revue. Les investigations d'al-Qaïda ont révélé que la CIA et les services secrets pakistanais avaient mis Namdar dans le coup et l'avaient payé 150.000 dollars en devise locale.

Le résultat immédiat est que les opérations des Taliban à Khyber Agency ont été suspendues. Ceci est en lui-même un revers majeur, alors que les attaques contre les lignes d'approvisionnement avaient touché un point sensible de l'Otan.

Dans un contexte plus large, la trahison de Namdar illustre de façon très nette les dangers que constituent les traîtres au sein des rangs des Taliban et d'al-Qaïda. La crainte est que les divers accords de paix qui ont été signés à présent entre le gouvernement d'Islamabad et des chefs de tribus triés sur le volet pourraient conduire à une toute nouvelle série de trahisons.

Par conséquent, la conclusion [pour les Taliban] est de faire tout leur possible pour stopper le processus de dialogue initié par le gouvernement avec les partisans de la lutte armée et les membres des tribus.

Syed Saleem Shahzad est le chef du bureau au Pakistan de l'Asia Times Online.

Copyright 2007 Asia Times Online Ltd/Traduction : Questionscritiques